Le dernier conflit en date entre les deux groupes de médias constitue une nouvelle illustration de l’état délétère des relations entre les actionnaires de Canal Plus France sur fond de marasme économique touchant “la maison-mère” Vivendi endettée à hauteur de 14 milliards d’euros.
Les deux parties s’opposent sur la question de la licité d’une convention de trésorerie passée entre le Groupe Canal, dont Vivendi est propriétaire à 100%, et Canal Plus France dont il est l’actionnaire majoritaire.
A suivre l’argumentation de Lagardère, les dispositions de ladite convention donneraient une trop grande latitude à Vivendi pour disposer de l’excédant de la société. Lagardère s’estime ainsi flouée dans la distribution des dividendes issus des bénéfices dégagés par le groupe.
A l’appui de sa demande de restitution des quelques 1,6 milliard d’euros de trésorerie dont elle s’estime lésé, la société requérante estime que le mécanisme selon lequel Vivendi emprunte à sa filiale avec un taux d’intérêt dérisoire de 0,1% au-dessus de l’Euribor, serait contraire à l’intérêt social du Groupe.
La question de la nature juridique de la convention de trésorerie
Le cœur du débat réside dans l’appréciation de la nature juridique de la convention de trésorerie liant Vivendi à Canal Plus France. La société requérante estime que le contrat est constitutif d’une convention réglementée contrairement à Vivendi pour qui il s’agit d’une convention courante.
L’appellation “convention réglementée” désigne toutes les conventions qui ne résultent pas des agissements habituels d’une société donnée alors que les conventions courantes portent sur des opérations qui sont intrinsèques à l’activité de la société. Si les premières sont soumises à un formalisme particulier, il n’en est rien des secondes.
La summa distinctio entre les deux types de convention réside dans le fait que l’approbation du conseil de surveillance est nécessaire quant à la validité d’une convention réglementée. Justement, selon Lagardère, la convention litigieuse serait nulle dans la mesure ou elle constituerait une convention réglementée n’ayant pas été préalablement agréée par le conseil de surveillance.
Il parait intéressant de relever que les juridictions de second degré ont déjà eu a se prononcer sur la question de la nature des conventions de trésorerie.
Dans un arrêt d’avril 2002, la Cour d’Appel de Versailles a tranché qu’une convention de trésorerie intra-groupe “constituait une opération courante des activités de la société et relevait en ce sens du régime des conventions courantes” rappelle Jean-Marc Franceshi, avocat associé chez Hogan Lovells. La même approche pragmatique a été adoptée par la commission nationale des commissaires aux comptes qui avait qualifié ce type de convention de conventions courantes.
Au vu de la jurisprudence antérieure, le moyen invoqué par la société requérante semble ainsi susceptible de retenir l’attention des juges du tribunal de commerce de Paris.
Une manœuvre de Lagardère ?
Cette action en justice constitue l’aboutissement de plusieurs années de conflit entre les actionnaires au cours desquelles Lagardère n’a jamais caché sa volonté de se débarrasser de l’ensemble de ses actions de Canal Plus France qui s’élèvent à 20% du total.
Vivendi interprète cette action en justice comme étant constitutive d’une «tentative de déstabilisation intentée dans le but de [le] forcer à racheter sa participation dans Canal+ France».
Ainsi que l’a fait remarquer la multinationale française dans son communiqué de presse, il parait étrange qu’à aucun moment Lagardère n’ait contesté la tacite reconduction de la convention depuis sa signature en 2007. Les raisons de cette soudaine dénonciation pourrait s’expliquer dans les perspectives à court terme de Canal Plus France.
Il était question d’une introduction en Bourse de la participation de Lagardère dans Canal+ France au premier semestre de cette année. Or, force est de constater que la remise en cause de la convention de trésorerie semble intervenir à un moment opportun pour durablement bloquer le projet. Les analystes d’UBS, confirment qu’il est désormais improbable que l’introduction en bourse ait lieu avant le règlement de la procédure judiciaire.
Cette action constituerait-elle une tentative non avouée de Lagardère pour faire machine arrière s’agissant de l’introduction de ses part en bourse ? Cela semble être l’avis de son adversaire qui a d’ores et déjà annoncé son intention de répliquer en poursuivant Lagadère pour abus de procédure.
Le tribunal de commerce de Paris procèdera aux premières auditions le 21 mars prochain.
Sources
DE ROULHAC (B.), “Vivendi et Lagardère relancent le débat sur les conventions de trésoreries”, L’AGEFI, mis en ligne le 14 février 2013, consulté le 24 février 2013
HENNI (J.), “Canal Plus : la guerre est déclarée entre Vivendi et Lagardère” , BFMTV, mis en ligne le 13 février 2013, consulté le 24 février 2013
http://www.bfmtv.com/economie/canal-plus-guerre-est-declaree-entre-vivendi-lagardere-447466.html
MONIN (C.), “Vivendi : Lagardère réclame 1,6 milliards d’euros de trésorerie à Vivendi”, zonebourse.com, mis en ligne le 13 février 2013, consulté le 24 février 2013.