Un nouveau phénomène est apparu récemment sur les bancs de l’Assemblée Nationale. En effet, lors du débat parlementaire sur la loi instituant le « mariage pour tous », des incidents d’un nouveau genre se sont mêlés aux habituels esclandres agrémentant ce genre de débat de société. Ainsi, certains députés ont préféré taper un texte en 140 caractères plutôt que d’en lire un devant l’hémicycle, ce qui a donné lieu à des scènes très inhabituelles. Au final, un nouveau débat inattendu a vu le jour : faut-il interdire Twitter à l’Assemblée nationale ? Les députés sont divisés sur la question.
Une suite d’incidents
Le tollé qu’avait provoqué le tweet du député UMP Lionel Tardy sur les propos de Raymond Domenech, lors de son audition devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale en 2010, était un présage de ce qui s’est déroulé ces derniers mois. Car depuis, Twitter s’est considérablement popularisé, et aujourd’hui, 227 députés ont un compte sur le célèbre réseau social. Ce n’est cependant qu’en juillet 2012 que la wi-fi a pu être accessible depuis les bancs de l’Assemblée nationale. Depuis, il n’était pas rare de voir quelques tweets fleurir concernant les débats se déroulant dans l’hémicycle, mais le phénomène a vraiment éclaté au grand jour lors du débat sur le « mariage pour tous », à l’occasion duquel le hashtag #DirectAn est apparu à plusieurs reprises dans les trend (10 références les plus utilisées).
Le débat a d’abord été marqué par des échanges tendus entre Serge Coronado, député EELV, et Hervé Mariton, député UMP. Serge Coronado a commencé à comparer ce dernier à Bree Van de Kamp, personnage de la série américaine Desperate Housewives, ce que s’est empressé de dénoncer Christian Jacob devant la chambre – avec un peu d’exagération – accusant le débuté Vert d’avoir traité M. Mariton de « conservatrice coincée », et a obtenu une suspension de séance. Un autre jour, M. Coronado constatant que le député UMP n’était pas présent, a tweeté « Mariton n’est pas là. Ça avance a une allure folle », puis « Mariton absent. A quelle heure finit la messe ce dimanche ? ». Sur cette dernière attaque, Mariton est intervenu, en colère, au micro de l’Assemblée : « Participant à une réunion ce matin à Evry, j’étais en effet en retard en séance et je prie mes collègues et le président de m’en excuser. Ce départ a été imputé par monsieur Coronado à une affaire d’horaire de messe. Puis-je me permettre de vous rappeler cher collègue que nous sommes ici pour défendre les convictions qui nous paraissent utiles et heureuses ? Et s’agissant de l’argument que vous évoquez, je pense qu’il est aussi utile que les députés sachent lire et je vous renvoie à ma fiche Wikipédia », faisant référence à ses origines juives.
D’autres tweets ont également marqué le débat, à l’instar de celui de Xavier Breton, député UMP, comparant les députés socialistes favorables au mariage gay à des « talibans ». Le député a également fait appel au règlement suite à un tweet laconique de Jérôme Guedj (député PS) « ils voulaient un débat, ils le souillent ».
Un tweet a aussi fait couler beaucoup d’encre, lorsque le député UMP des Côtes d’Armor Marc Le Fur a posté une photo d’un homme jouant au Scrabble sur Twitter, identifié comme étant Guillaume Bachelay, avec pour commentaire « Mariage gay, adoption, PMA, GPA, ce député décide du sort des enfants en France. Et vous ? www.exigeonsunreferendum.fr ». Il s’est par la suite avéré que le député en question n’était pas Guillaume Bachelay, et Marc Le Fur s’est empressé de s’excuser auprès de lui sur le réseau social.
On voit donc que le débat s’est densifié, car il se déroule non seulement au sein de l’hémicycle, mais également sur la toile donc dans le monde virtuel. Comme le dit Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, Twitter est entré en une nuit dans le droit parlementaire. Il faut être présent partout pour comprendre la teneur du débat, car ce qui se passe sur un des tableaux peut déborder sur l’autre. Il n’était en effet pas rare de voir un débat s’amorcer sur Twitter pour finir au micro de l’Assemblée national. Cela permet-il d’enrichir le débat, ou au contraire le réduit-il ? Plusieurs courants d’opinion se font voir sur la question parmi les députés.
L’interrogation sur la légitimité de Twitter dans l’hémicycle
Comme c’est le cas pour le téléphone portable (même si ce n’est pas vraiment respecté), certains députés veulent interdire Twitter au sein de l’hémicycle. Ainsi, le député UMP Gérard Darmanin souhaite déposer une modification du règlement de l’Assemblée nationale pour que les députés n’aient plus accès à Internet dans l’hémicycle. Son collègue Guillaume Larrivé soutient son initiative. Un autre député UMP, Patrick Hetzel, s’interroge également sur la présence de Twitter à l’Assemblée.
D’autres députés ne sont pas non plus satisfaits de son utilisation, mais sont plus mesurés à l’idée de l’interdire. Notamment Philippe Gosselin, député UMP, est intervenu pendant les débats pour réclamer au président de l’Assemblée nationale une concertation urgente sur l’utilisation des réseaux sociaux au sein de l’hémicycle, et « fixer des règles de bonne conduite ». Il a déclaré : « Je ne préconise pas l’interdiction du tout mais quand on est en pleine discussion parlementaire, qu’un président de commission, qu’un rapporteur, alors même que nous sommes en séance, ne dise rien à la représentation nationale mais s’exprime sur les réseaux, ça pose de vraies questions ». Hervé Mariton, pourtant très actif sur le réseau social, est également interrogatif sur la question considérant qu’« il y a dans Twitter, pour un homme politique, un vrai danger narcissique ». Il déclare « Il y a un sujet mais il faut le gérer. Il y a déjà un encadrement de la loi : ce n’est pas parce que c’est sur Twitter qu’on a le droit de diffamer les gens, de les injurier, de porter atteinte à leur vie privée. (…) Comme le disait un collègue socialiste, il faut tourner son pouce plusieurs fois avant d’écrire. Il faut vivre avec en gardant des principes solides, le numérique, c’est un support, c’est une technique.(…) Twitter, cela n’efface par la politesse. Twitter, cela n’efface par la raison, cela n’efface pas le cadre juridique de sanctions de la diffamation, de l’injure ». Et lorsque la suppression de Twitter dans l’hémicycle est envisagée, il déclare « Pourquoi pas. Le temps que les députés consacrent à Twitter dans l’hémicycle, c’est autant de temps qu’ils ne consacrent pas au débat ».
Mais ce qui revient le plus à propos de la présence de Twitter à l’Assemblée nationale est la notion d’autorégulation. Il s’agirait pour les députés de se brider eux-mêmes pour ne pas que le débat dérape sur Internet, mais nullement d’interdire l’usage de Twitter. Yann Galut, député PS, la définit ainsi « l’autorégulation est simple : pas de tweets qui pourraient être violents, diffamatoires ou mal interprétés ». François de Rugy prône lui aussi cette solution, lui qui s’est battu pour avoir la wi-fi au sein de l’hémicycle. Il en va de même pour Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement, qui considère que Twitter permet de partager plus largement le débat. Pascal Cherki, député PS, est également pour cette solution.
Pour lui, pas question de l’interdire : « Enlever Twitter serait un recul pour la démocratie, pour la circulation de l’information. On a tellement avancé qu’il n’y aura pas, à mon avis, de retour en arrière ». C’est le discours de nombreux députés, qui voient en Twitter une avancée positive. Sergio Coronado dit ainsi que « Il ne faut pas utiliser twitter comme une Pravda, un organe officiel. Je le vois comme un regard décalé, un peu piquant dans les débats. » De même pour Yann Galut : « Cela fait partie de la nouvelle façon de communiquer avec les gens qui suivent le débat, dans nos circonscriptions ».
Finalement, le fin mot revient au président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. Ce dernier ne veut en aucun cas interdire la wi-fi, mais ouvre la voie à une possible régulation de son utilisation : « Il n’y aura pas d’interdiction du wi-fi parce qu’aujourd’hui les méthodes de communications électroniques font partie de la vie, mais je veux qu’il y ait une règle du jeu ». Il a annoncé récemment que le groupe de travail qui réfléchit actuellement sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale va aussi réfléchir sur l’utilisation des réseaux sociaux.
Aujourd’hui, la question de Twitter dans le débat politique se pose donc sérieusement. Ce qui pouvait ressembler à un instrument de démocratisation, s’est transformé en instrument de bassesses et a nivelé le débat vers le bas. Les discussions concernant Twitter ont souvent pris la place de ceux faisant l’objet de la session parlementaire en question, et les débats sur le fond ont laissé place aux petites phrases et aux mesquineries. L’autorégulation semble alors une solution idéale, mais dans la pratique, les députés sauront-ils se montrer suffisamment responsables pour que les dérapages ne se reproduisent plus ? Faudra-t-il alors modifier le règlement et même, de façon radicale, interdire la wi-fi dans l’hémicycle ? La question reste ouverte.
Sources :
BRUNET E., « Twitter à l’Assemblée : “il faudra des règles” », nouvelobs.com, mis en ligne le 6 février 2013, consulté le 23 février 2013, <http://tempsreel.nouvelobs.com/video/20130206.OBS7885/twitter-a-l-assemblee-il-faudra-des-regles.html>
CHAPUIS Th., « Twitter bientôt interdit à l’Assemblée nationale ? », ozap.com, mis en ligne le 4 février 2013, consulté le 23 février 2013, <http://www.ozap.com/actu/twitter-bientot-interdit-a-l-assemblee-nationale/445371>
Anonyme, « Quand Twitter s’invite sur les bancs de l’Assemblée nationale pendant le débat sur le mariage gay », huffingtonpost.fr, mis en ligne le 4 février 2013, consulté le 23 février 2013, <http://www.huffingtonpost.fr/2013/02/03/twitter-deputes-assemblee-nationale-mariage-gay_n_2610144.html>
Anonyme, « Scrabble, Twitter et délation à l’Assemblée nationale », leparisien.fr, mis en ligne le 5 février 2013, consulté le 23 février 2013, <http://www.leparisien.fr/politique/scrabble-twitter-et-delation-a-l-assemblee-nationale-05-02-2013-2542269.php>
Anonyme, « Twitter : ce truc en plumes à l’Assemblée nationale », yagg.com, mis en ligne le 5 février 2013, consulté le 23 février 2013, <http://yagg.com/2013/02/05/twitter-ce-truc-en-plumes-a-lassemblee-nationale/>
Anonyme, « Mariage homo : Twitter, invité surprise à l’Assemblée nationale », bfmtv.com, mis en ligne le 7 février 2013, consulté le 23 février 2013, <http://www.bfmtv.com/politique/mariage-homo-twitter-invite-surprise-a-lassemblee-nationale-442940.html>