L’enseigne britannique Virgin Megastore a déposé le bilan le 9 janvier 2013 et s’apprête à être mise en vente. L’heure à présent de nous intéresser au déclin de Virgin et d’observer la concurrence encore solide de la FNAC. Ceci afin de nous interroger plus généralement sur l’avenir des magasins de produits culturels face au numérique.
L’entreprise Virgin Megastore
Virgin Megastore est une chaîne mondiale de commercialisation de biens culturels, créée par le milliardaire britannique Richard Branson en 1971. Elle fait partie des nombreuses filiales du groupe Virgin qui propose des services diversifiés comme le divertissement, le bien-être, la téléphonie ou encore le tourisme spatial. Son pôle culturel représenté par Virgin Megastore a connu dès le début une croissance fulgurante, et le premier magasin français a élu domicile sur Les Champs Elysées en 1988 dans le but de concurrencer la FNAC. Il se présente comme « le premier magasin de musique au monde » et le groupe y réalise 20% de son chiffre d’affaires. Mais ce symbole culturel pourrait être remplacé dans quelques mois par un showroom d’une entreprise automobile.
En décembre 2007, Virgin Megastore est racheté à Lagardère Services (qui l’avait acquis en 2001) par Butler Capital Partners, un fond d’investissement spécialisé dans la restructuration d’entreprises en difficulté. Lagardère Services reste cependant actionnaire à 20% du groupe Virgin et conserve cinq magasins situés dans les lieux de transport (concept « Railways »). D’ailleurs, en mai 2011, Lagardère Services s’associe à la FNAC pour exploiter ce concept de magasins Railways, ce qui explique le fait que depuis 2011, c’est la FNAC qui est présente dans les aéroports et les gares, à la place de Virgin. Cela démontrait déjà la volonté de la FNAC de diversifier sa stratégie commerciale.
Le déclin d’un symbole de la vente de produits culturels
Cela préjugeait également de la fin de Virgin, qui a fermé dix magasins français depuis 2006 et qui ne compte plus que 26 magasins en activité en France. Et leur fermeture est imminente puisque Virgin Megastore s’est déclaré être en cessation de paiement le 4 janvier 2013 et a déposé le bilan le 9 janvier. L’entreprise aurait accumulé une dette de 22 millions d’euros en plus des retards sur le paiement de ses factures et cotisations sociales. Le tribunal de commerce de Paris a placé le 14 janvier, l’enseigne en redressement judiciaire avec une période d’observation de 4 mois. Et parmi les repreneurs potentiels, l’enseigne Cultura serait intéresser pour renforcer son poids face à la FNAC ou encore Patrick Zelnik, co-fondateur du Virgin des Champs-Élysées qui souhaiterait créer un « souk culturel » avec location d’espaces éphémères pour des marques.
Certains expliquent le déclin de Virgin, notamment les syndicats et certains politiques, par l’incohérence des repreneurs successifs, et en particulier de Walter Butler qui a reconnu son échec dans cette affaire en tant qu’investisseur industriel « Les megastores de Branson, c’est de la communication, estimait un connaisseur du groupe. C’est beaucoup de paillettes sur des sites emblématiques comme les Champs-Elysées, mais Branson n’a jamais été un grand distributeur.» D’ailleurs les loyers de ces magasins emblématiques, stratégiquement installés en centre-ville, représentent un gouffre financier considérable. En effet, le Virgin Megastore des Champs payerait un loyer de 6 millions d’euros par an ! C’est une des raisons pour lesquelles « certains reprochent à Virgin des fautes de gestion. Ce qui est certain, c’est que l’enseigne ne peut lutter contre l’adversaire déloyal qu’est le piratage qui, lui, ne paie ni salaires, ni loyers, ni charges sociales. Les maisons de disques sont déjà durement touchées. C’est au tour des distributeurs »* En effet, « l’essor du commerce en ligne a mis à mal les distributeurs traditionnels de produits culturels en France. »**
Virgin écrasé par la FNAC qui a su s’adapter au numérique
D’autres expliquent la faillite de Virgin par le bouleversement de la distribution de biens culturels par la concurrence d’Internet et le développement des produits numériques destinés à remplacer les CD et DVD, mais cela reviendrait à nier la réalité. La FNAC, autre grande enseigne de produits culturels, n’a cessé de multiplier les initiatives afin de retrouver un modèle de distribution viable. Contrairement a Virgin, elle n’a pas manqué le virage du commerce en ligne, suivant les traces d’Amazon et Apple, pionniers en la matière. La différence non négligeable étant que ces deux acteurs ne sont pas immatriculés en France et ne sont donc pas soumis aux mêmes règles légales et fiscales que les enseignes Virgin ou FNAC. Ils proposent également une offre exhaustive, un temps de livraison record et parfois même la livraison offerte ! Mais si la FNAC veut s’adapter en diversifiant ses services et en s’adaptant au nouveau défi du numérique, elle n’est pas épargnée pour autant puisqu’elle doit faire face à un recul de 3,2% de son chiffre d’affaires pour atteindre 4,16 milliards d’euros en 2011. La filiale de PPR, faute de trouver un repreneur, cherche désormais à s’en séparer par le biais d’une introduction en Bourse prévue en 2013. Malgré tout, le PDG de la FNAC Alexandre Bompard, tente de redresser le navire grâce à son plan FNAC 2015 en proposant notamment des offres diversifiées en magasin avec des espaces dédiés aux enfants, à des partenariats comme SFR ou à l’électroménager (ce qui est critiquable).
« En réalité, les méthodes classiques de la grande distribution ont englouti la culture d’entreprise de la Fnac. » Cette culture traditionnelle tournait autour d’un pivot : le vendeur. Si dix ans auparavant le vendeur pouvait encore choisir ses produits, faire ses propres commandes et gérer son rayon comme son propre magasin et selon ses goûts (ce qui faisait de lui une personne appréciée et impliquée) ce n’est plus possible « aujourd’hui, la pression économique interdit cette liberté. […] Désormais les commandes sont centralisées, les stocks gérés par le siège et les têtes de gondole imposées par les contrats avec les éditeurs. » Et si « La Fnac a pu se développer en étant au service du client. Aujourd’hui, on ne cherche plus à comprendre ce dont il a besoin, mais à vendre, coûte que coûte. »*** La FNAC entend désormais concilier ventes en rayon et commerce en ligne. C’est le cas des offres « click and collect » qui permettent aux clients de commander sur fnac.com et de retirer leurs achats en magasin. Le « contact-client », la qualité de service sont les clés du succès de la FNAC. L’enseigne a toujours souhaité être proche de ses clients, les conseiller en fonction de leurs goûts et de leurs moyens. Ce service privilégié ne trouve pas son pareil dans le commerce électronique, mais est-ce que cela suffira à faire pencher la balance en faveur des magasins culturels ? Nous ne le croyons pas, malheureusement.
Des concurrents encore combattifs mais jusqu’à quand ?
La problématique de l’industrie culturelle que nous envisageons pose à nouveau le problème du téléchargement illégal et de la chute des ventes de disques. Il y a dix ans les ventes de CD faisaient des chiffres records mais depuis 2005 ces chiffres ont été divisés par deux ! Désormais, les consommateurs préfèrent acheter ou télécharger (légalement ou illégalement) ces supports CD ou DVD sur Internet, notamment les plus jeunes qui sont 62% à regarder des films en streaming.**
« Depuis des années, nous rappelons que le piratage est une atteinte aux droits des créateurs, mais aussi une atteinte à la liberté d’entreprendre. Le piratage et le téléchargement illégal entraînent une dévalorisation des biens culturels. A partir du moment où les disques et les DVD n’ont plus de valeur, le piratage est le principal concurrent de Virgin. Les difficultés de Virgin sont notre Florange à nous. Il faut une nécessaire prise de conscience devant l’assèchement des industries culturelles. Le silence des ministres de la culture et du redressement productifs sont assourdissants. »*.
* Selon David El Sayegh, directeur général du Syndicat de l’Edition Phonographique (Snep).
** Analysent de Philippe Moati (chercheur au Crédoc) et Olivier Dauvers (expert de la grande consommation).
*** Explique José Da Silva, vendeur à la FNAC depuis 1977
Sources
– AFP, « Virgin / SNEP : ‘‘Le Florange’’ du disque », lefigaro.fr mis en ligne et consulté le 7 janvier 2013, disponible sur http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2013/01/07/97002-20130107FILWWW00542-virginsnep-le-florange-du-disque.php
– ALBERTINI (D.), « Virgin, des paillettes au naufrage », liberation.fr, mis en ligne le 7 janvier 2013 et consulté le 30 janvier 2013, disponible sur http://www.liberation.fr/economie/2013/01/07/virgin-des-paillettes-au-naufrage_872187
– BÉNABENT (J.) « Où est passée la FNAC ? », telerama.fr, mis en ligne le 11 février 2013 et consulté le 17 février 2013, disponible sur http://www.telerama.fr/monde/o-est-pass-e-la-fnac,93191.php
– CALINAUD (F.), « Virgin en cessation de paiement : les salariés n’ont plus grand chose à espérer », leplus.nouvelobs.com, mis en ligne le 8 janvier 2013 et consulté le 8 février 2013, disponible sur http://leplus.nouvelobs.com/contribution/755089-virgin-en-cessation-de-paiement-les-salaries-n-ont-plus-grand-chose-a-esperer.html
– CATHELINAIS (C.) « Comment la Fnac veut éviter le sort de Virgin », bfmtv.com, mis en ligne le 8 janvier 2013 et consulté le 15 février 2013, disponible sur http://www.bfmtv.com/economie/fnac-veut-eviter-sort-virgin-419562.html
– NICOT (M.), « Pinault prépare la scission de la Fnac », le journal du dimanche, mis en ligne le 2 février 2013 et consulté le 15 février 2013, disponible sur http://www.lejdd.fr/Economie/Entreprises/Actualite/Pinault-prepare-la-scission-de-la-Fnac-589366
– RAYMOND (G.), « Virgin, Fnac… Pourquoi la vente de biens culturels est devenue impossible en France », huffingtonpost.fr, mis en ligne le 4 janvier 2013 et consulté le 15 janvier 2013, disponible sur http://www.huffingtonpost.fr/2013/01/04/virgin-fnac-ventes-cd-megastore-amazon-itunes_n_2408057.html
– Société.com, consulté le 8 janvier 2013, disponible sur http://www.societe.com/societe/virgin-stores-344260286.html