Le match Burkina Faso-Algérie du samedi 12 octobre 2013, qualificatif pour la phase finale de la Coupe du monde de football 2014 est entré dans l’histoire de l’audiovisuel algérien et probablement africain.
Le lundi 14 octobre dans un communiqué rendu public sur son site internet, La chaîne Qatarienne Al-Jazeera sport, détentrice des droits de retransmission sur la rencontre, a annoncé qu’elle allait poursuivre en justice la chaîne publique algérienne ENTV en raison de la violation de ses droits dont elle avait acquis les autorisations auprès de la société SportFive. Elle a également saisi les plus hautes instances de la Confédération Africaine de Football (CAF) et de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) afin de défendre son droit de propriété sur la rencontre.
La chaîne d’Al-Jazeera Sport a qualifié cette diffusion illégale de« vol » et de « délit ». L’acte de diffusion illégal a été sanctionné par une réaction immédiate des responsables d’Al-Jazeera Sport qui ont diffusé, après la rencontre, une pancarte rédigée à la main avec un marqueur sur une simple feuille,où l’on pouvait lire : « Le match est diffusé par la télévision nationale algérienne de façon illégale sans qu’elle n’ait obtenu aucune autorisation ».
Les responsables d’Al Jazeera, qui ne possèdent plus de bureaux permanents à Alger, ont exigé la réouverture de leurs bureaux en Algérie, fermés depuis 2004, en contrepartie de la retransmission du match. les dirigeants algériens ont refusé cette offre, et ont décidé de rompre les négociations, après avoir reçu des instructions de la part des plus hauts responsables du pays. Vexé et afin de décourager les Algériens, la chaîne Al Jazeera a exigé la somme de 1,5 million de dollars pour s’offrir les droits de retransmettre le match uniquement sur l’ENTV ».
Refusant catégoriquement ce chantage, la télévision nationale algérienne a alors piraté le match par le biais de la télévision burkinabé RTP pour pouvoir le diffuser, un vol qui a été assumé pleinement par la chaîne publique.
En effet, pour leur défense, les dirigeants de la télévision algérienne accusent Sportfive, le leader européen et africain dans la gestion des droits marketing et audiovisuels sportifs, et agence détentrice des droits auprès de la CAF, d’avoir vendu les droits sans véritable pourparlers en exclusivité totale à Al-Jazeera Sport et ce, sans tenir compte du droit« inviolable et légitime » des nations pour leur territorialité. Or, cet agrément n’est pour le moment préservé que lorsqu’un pays abrite une rencontre. Le match entre Algérie et le Burkina Faso s’étant disputé à Ouagadougou, celui-ci ne rentrait donc pas dans ce cas de figure. l’ENTV affirme que la diffusion du match retour le 19 novembre prochain ne posera pas autant de problèmes, car il se déroulera à Blida, en Algérie : « Nous produirons le signal, nous le diffuserons sur la chaîne terrestre, et nous allons négocier avec Al-Jazira le droit pour le satellite. »
Toufik Khelladi, le PDG d’ENTV, dans une interview accordée à El Watan, dit assumer « cette décision et ses conséquences », considérant que « le match de l’équipe nationale (algérienne) est un événement d’importance majeure. Tout citoyen algérien, tout citoyen sur la planète a le droit de suivre ce genre d’événements à la télévision en clair ».
Cependant, il n’existe dans ces pays africain aucune législation obligeant la diffusion en clair des grandes finales et des grandes compétitions comme la Coupe du monde de football ou les Jeux olympiques, comme c’est le cas dans les pays européens.
L’absence de législation concernant les événements d’importance majeure dans le monde arabe.
L’Algérie en tant que membre actif de l’Union arabe de radiotélévision (ASBU) a pour effet de réguler la diffusion par satellites des chaînes arabes. La réflexion a fait ressortir un vide juridique notamment en ce qui concerne les droits sportifs pour les événements d’importance majeure dans le domaine de la communication audiovisuelle arabe (Ligue arabe et ASBU), ce qui a permis de constater que le contenu diffusé par les chaînes TV arabes n’obéit à aucune règle écrite contrairement aux chaînes TV européennes qui sont régies par une directive européenne dénommée “Directive Télévision Sans Frontière”.
L’Algérie a donc suggéré à l’ASBU de réfléchir sur une proposition de réglementation de la diffusion des programmes TV par les chaînes arabes.
Cependant, un problème majeur d’ordre juridique s’est véritablement posé puisqu’à l’inverse des états européens qui sont guidés par un parlement européen, les pays arabes n’en possèdent pas. Comment est-il possible de coordonner chaque état arabe sur la question du droit d’accès libre à des événements sportifs. Qui pour juger l’importance de ces événements ?
Tenant compte de la proposition de l’Algérie au niveau de l’ASBU (Union des Radiotélévision arabes), union sous l’égide de la Ligue arabe et qui initie les textes et procédures audiovisuelles auprès du Conseil des ministres arabes de l’Information, a été retenue la proposition de réglementer ce domaine d’activité en se calquant sur la réglementation européenne
L’une des dispositions contenues dans le projet texte, soumis à la Ligue arabe, par le canal de l’ASBU, porte en effet sur les droits de retransmission d’événements sportifs.
Le texte a été approuvé et adopté par le Conseil des ministres arabes lors de sa session extraordinaire des 12 et 13 février 2008.
Ce texte qui s’inspire grandement de la convention européenne en la matière a été approuvé par l’ensemble des ministres arabes de l’Information à l’exception du Qatar, qui, conscient des visées de ce texte vis-à-vis de la chaîne Al Jazeera, a émis une réserve. Il convient de signaler que le texte réglemente également la question relative à l’exclusivité des droits sportifs que détiennent certaines chaînes arabes à caractère sportif dont Al Jazeera Sport, à l’effet de gérer et prévoir les impacts et effets négatifs sur le sport, comme nous l’avons déjà vécu lors de la Coupe du monde 2006 où l’exclusivité détenue par ART a privé le téléspectateur arabe en général et algérien de suivre ce grand événement.
Même si les algériens ne peuvent bénéficier du droit à l’information sportive en raison de l’absence de législation sur les événements d’importance majeure, la FIFA, détentrice des droits de propriété sur ces rencontres sportives devrait prendre en considération l’absence de ce droit à l’information et les difficultés économiques rencontrées par ces pays et ainsi, adopter une certaine complaisance dans la vente de ses matchs. . Ce compromis pourrait se trouver dans l’instauration de certaines règles pondératrices. A titre d’exemple, la cession gratuite ou à des prix réduits aux pays compétiteurs sinon des prix étudiés pour les pays pauvres ou traversant des situations difficiles
La FIFA s’est limitée à vendre les droits en encaissant l’argent sans instaurer de garde-fous dans l’usage de ce produit spécifique. Pourtant, une position éthique médiane obligatoire doit être trouvée entre les droits des propriétaires du produit ou de la marchandise (les diffuseurs) et le respect des droits à l’information sportive. Cette moyenne pourrait se trouver dans l’instauration de certaines règles pondératrices. A titre d’exemple, la cession gratuite ou à des prix réduits aux pays compétiteurs sinon des prix étudiés pour les pays pauvres ou traversant des situations difficiles.
Les coûts des droits de retransmission sont parfois prohibitifs pour certains pays africains qui rencontrent des difficultés économiques, des crises, ou encore des catastrophes naturelles. Ce fut le cas du Burkina Faso concernant la CAN Angola de 2010, alors que le pays se relevait difficilement des inondations. La société LC2 Afnex, détentrice des droits de retransmission, demandait 877 millions de francs CFA à la télévision burkinabée. Une dépense impossible à assumer au vu des préoccupations de la population. La chaîne publique avait donc décidé de se passer de la CAN. Le fait de qualifier la CAN «d’événement d’importance majeure» et d’instaurer une législation inspirée de la directive communautaire « TSF » permettrait peut-être aux Etats africains de suivre les grands événements footballistiques de leur continent gratuitement.
L’Algérie aurait intérêt à développer sa diplomatie sportive et commencer à œuvrer pour une réforme de l’ordre sportif mondial. Aujourd’hui, acquérir une compétition comme la coupe du monde de football, en raison du prix exorbitant des droits TV demandé par la FIFA par notamment une mise en concurrence entre les chaines publiques, gratuites et les chaines privées à péage semble être impossible à assumer financièrement pour ces chaines de télévision publique ou gratuite sans l’intervention du législateur. Comment se fait-il qu’en Algérie celui ci n’ait pas cru bon intervenir dans un sujet aussi important ?
La difficulté d’uniformisation des états européens concernant les événements d’importance majeure.
A l’inverse de l’Algérie et de la plupart des pays africain, au niveau européen, le public dispose, librement et gratuitement d’un droit à l’information sportive. Ce droit est désormais bien encré dans les textes européens puisqu’il est reconnu dans la Convention européenne sur la télévision transfrontière du 5 mai 1989 complété par la directive TSF « télévision sans frontières » du 3 octobre 1989 modifié le 30 juin 1997. Cette modification a introduit un nouvel article 3bis qui crée un mécanisme permettant aux Etats membres de prendre des mesures, conformément au droit communautaire, pour s’assurer que les organismes de radiodiffusion télévisuels relevant de sa compétence ne retransmettent pas d’une manière exclusive des événements qu’il juge d’une importance majeure pour la société, d’une façon qui prive une partie importante du public.
Cet article 3bis de la directive « TSF » du 30 juin 1997 modifié est venu préciser que chaque état membre de l’Union Européenne est libre d inscrire les événements qu’il juge important.
En France, le décret n°2004-1392 du 22 décembre 2004 est venu définir de façon explicite une liste d’événements d’importance majeure, dont notamment le match d’ouverture de la Coupe du monde, les demi-finales et finales de la Coupe du monde et de l’Euro, ainsi que les matchs de l’équipe de France dans les phases finales de ces compétitions. La France n’a pas cru bon d’inclure les phases éliminatoires ainsi que tous les matchs de coupe du Monde dans la liste des événements majeurs. Cependant, Aurélie Filippetti en coordination avec la ministre des sports souhaite réformer le décret de 2004 afin d’étendre la liste actuelle des événements sportifs d’importance majeure à des compétitions féminines. Le projet de texte a déjà été soumis pour avis au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et sera par la suite notifié à la Commission européenne, conformément à la procédure instituée par la directive Services de médias audiovisuels. De plus, les députés ont la volonté d’ajouter à cette liste toutes les compétitions sportives se déroulant sur le territoire français en vu notamment de ne pas perdre la diffusion de Roland Garros sur France télévisions et de permettre à tous les Français d’accéder à l’Euro 2016 de Football, droits TV acquis par la chaîne payante Bein Sport.
La Belgique et la Grande-Bretagne sont allées au-delà puisque leur nouvelle réglementation prévoit que l’ensemble de la Coupe du monde et de l’Euro serait soumis à une diffusion par une chaîne de «télévision à accès libre».
En effet, dans trois arrêts rendus le 18 juillet 2013 par la CJCE, la cour de justice de l’Union Européenne a débouté la FIFA en estimant que l’importance majeure pour la société que représentent les phases finales de la Coupe du monde permet d’interdire les retransmissions exclusives de ces événements. Ainsi, le Royaume-Uni et la Belgique aura la chance de bénéficier de ces rencontres en accès libre.
Au vu de ces différences, sur quels critères peut-on juger l’importance d’un évènement ?
Le juge communautaire, dans les arrêts du 18 juillet 2013 rendu par la CJCE, a tenté de donner une définition précise de ces événements. Les événements inscrits sur les listes des différents états européens doivent remplir au moins deux des critères suivants, considérés comme des indicateurs de l’importance de ces événements pour la société :
– ils trouvent un écho particulier dans l’État membre concerné et intéressent d’autres personnes que celles qui suivent généralement la discipline sportive ou l’activité en question.
– ils présentent une importance culturelle spécifique largement reconnue pour la population de l’État membre concerné et constituent notamment un élément d’identité culturelle.
– ils impliquent l’équipe nationale dans le contexte d’une compétition ou d’un tournoi d’importance nationale.
– l’événement a toujours été retransmis sur des chaînes de télévision gratuites et attiré de nombreux spectateurs.
L’avocat général de la CJCE, Niilo Jaaskinen précise dans ces arrêts « ce n’est pas à l’Union européenne de décider si le football doit être payant ou gratuit mais à chacun des Etats membres de l’UE. »
A noter que dans le procès qui les a opposés aux trois Etats, la FIFA et l’ UEFA ont fondé leur recours principalement sur le fait que la notion d’événement d’importance majeure n’était pas uniforme et ne pouvait englober une compétition entière composée de plusieurs dizaines de matchs. La FIFA et l’UEFA ne s’opposent donc pas, du moins officiellement, au droit à l’information et à l’accès au grand public sans payement à certains événements d’importance majeure «mais contestent la définition donnée par ces Etats aux événements majeurs».
Le tribunal de l’Union européenne a fait preuve d’encore plus de clarté en considérant que la Coupe du monde et l’Euro n’ont pas à remplir les critères pour être inscrits sur la liste. En conclusion, cette décision porte un sérieux coup aux droits des fédérations internationales sur les événements dont elles détiennent la propriété. Elle devrait notamment avoir pour conséquence d’obliger les propriétaires de la Coupe du monde et de l’Euro à revoir leur stratégie de commercialisation des droits audiovisuels au sein de l’Union européenne dans la mesure où les agences marketing, confrontées à l’obligation pratique de limiter leurs offres aux seuls diffuseurs en accès libre, auront certainement moins d’engouement à se porter acquéreurs exclusifs. En outre, le développement de la télévision par satellite ayant éliminé la notion de frontière, le coup devrait être encore plus sévère. En effet, dès lors que les programmes des télévisions belge ou anglaise seront accessibles dans le monde entier à quiconque possède un décodeur et une antenne satellite, chacun pourra regarder l’ensemble des matchs de ces événements sans devoir s’abonner à une chaîne cryptée.
Sources :
Fabrice Rizzo, « La fifa doit composer avec la directive TSF », Cahier droit du sport num 23, 2011
www.jurist4medias.fr Diffusion des rencontres sportives à la télévision http://www.jurist4medias.fr/2013/10/14/diffusion-des-rencontres-sportives-a-la-television-vers-une-modification-du-decret-de-2004-relatif-aux-evenements-dimportance-majeure/
www.france24.com bras de fer entre Al-Jazeera et la télévision algérienne http://www.france24.com/fr/20131014-football-al-jazeera-television-algerienne-entv-burkina-faso-mondial-retransmission
www.elwatan.com Si l’Algérie se qualifie, le problème se reposera pour les autres matchs du mondial 2014