Le géant chinois des télécommunications n’est toujours pas le bienvenu en Australie ! Le gouvernement australien a en effet décidé de ne pas revenir sur la décision du précédent gouvernement, qui avait refusé à Huawei la possibilité de déposer une offre concernant le haut débit. Huawei traverserait-il une mauvaise passe ? Après avoir été exclu des appels d’offres aux États-Unis, après avoir été au cœur de nombreuses enquêtes dans divers pays, le gouvernement français aurait également réclamé le démantèlement de certains équipements de télécommunications fournis par Huawei dans les DROM-COM.
Des problèmes relatifs à la sécurité nationale
Le géant chinois est régulièrement accusé d’espionnage au profit de la Chine. Il rejette intégralement ces accusations et remarquent qu’elles sont plus liées à un « protectionnisme économique » qu’à un réel problème de sécurité nationale. Cette inquiétude des pays occidentaux est largement partagée. Selon bfm.tv, qui a révélé cette affaire très récemment, le gouvernement français aurait imposé le démantèlement de plusieurs équipements fournis par Huawei dans les DROM-COM.
Certains opérateurs intervenant dans les DROM-COM auraient ainsi installé des cœurs de réseaux, normalement soumis à l’agrément de l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) en raison de leur rôle stratégique. Or, ces équipements, installés de longue date, n’auraient jamais reçu l’agrément de l’agence. Si le gouvernement indique que l’ANSSI est totalement indépendante, il est difficile d’ignorer les accusations d’espionnage dont Huawei et ZTE font l’objet. Le groupe est accusé d’espionnage au profit de la Chine via ses équipements : certains observateurs ont ainsi parlé de « backdoors ». Des accusations avaient déjà été formulées dans un rapport d’information sénatorial déposé le 18 juillet 2012. Dans celui-ci, l’auteur, M. Jean-Marie Bockel, estimait « crucial que l’Union européenne adopte une position ferme d’une totale interdiction concernant le déploiement et l’utilisation des « routeurs » chinois sur le territoire européen, ou d’autres grands équipements informatiques d’origine chinoise ne présentant pas toutes les garanties en matière de sécurité informatique ». Le rapporteur défendait également une coopération industrielle au niveau européen afin de ne « plus dépendre uniquement de produits américains ou asiatiques ».
Protectionnisme économique, patriotisme économique, ou sécurité nationale ?
Pour Huawei, cette situation résulte d’un « protectionnisme économique ». La récente chute d’Alcatel-Lucent et les divers appels « au patriotisme économique » accréditent cette thèse. Les opérateurs de télécommunications français ont en effet été priés de se fournir auprès du groupe franco-américain, qui est en proie à de sérieuses difficultés financières et sociales. Certains opérateurs ont par ailleurs répondu à cet appel récemment. La puissance financière d’Huawei Technologies trouble les équipementiers européens : le géant chinois se développe en effet massivement sur le continent africain, où ses politiques de prix lui permettent de conclure de nombreux marchés. L’Europe est alors tentée d’appeler au « patriotisme économique » sous couvert de sécurité nationale afin de sauver ses propres industries chancelantes. Les grands groupes chinois sont de surcroît également accusés de pratiquer du « dumping ». Ainsi, Huawei et ses compatriotes, comme ZTE, pratiqueraient des politiques de prix extrêmement agressives que ne pourraient pas suivre les groupes européens. Cette situation a grandement inquiété la Commission européenne. Celle-ci s’est en effet auto-saisie et avait émis la possibilité d’ouvrir une enquête sur ces accusations de dumping. Une préoccupation mise entre parenthèses le temps pour les groupes européens de signer des contrats importants en Chine. Si l’enjeu de la sécurité nationale est souvent invoqué, il semblerait que ce soit plus des manœuvres purement financières qui dirigent cet orchestre économique. La crise économique actuelle incite en effet les équipementiers européens, tels Alcatel-Lucent, Nokia ou Siemens, à développer de nouveaux marchés. La Chine apparaît alors comme un havre de développement économique, ou les réseaux doivent être construits rapidement et massivement afin de pouvoir soutenir le développement. Ainsi, d’importants contrats ont pu être récemment conclus par les groupes européens.
Cependant, Huawei, qui invoque le protectionnisme pour sa défense, pourrait être également l’objet de telles accusations. En effet, le groupe a pu disposer d’une ligne de crédit importante (près de 30 milliards de dollars), notamment ouverte auprès de la CDB (China Development Bank), elle-même accusée de soutenir les groupes chinois sur ordre du gouvernement central. De plus, à la lecture du Registre de transparence, il est aisé de s’apercevoir que Huawei dépense de fortes sommes en frais de représentation auprès des institutions européennes. En 2012, l’estimation des coûts « liés aux activités directes de représentation d’intérêts effectuées par l’organisme auprès des institutions européennes » s’élevaient, en 2012, à la somme de 3 millions d’euros. Pour le même exercice, les dépenses effectuées par le groupe Alcatel-Lucent étaient estimées entre 1 million et 1,25 million d’euros. À titre d’illustration, les dépenses réalisées par Monsanto étaient estimées entre 400000 et 450000 euros, celles de Microsoft entre 4,5 millions et 4,75 millions d’euros, et celles de Google entre 1 million et 1,25 million d’euros. Ainsi, la guerre économique menée par Huawei Technologies fait rage jusque dans les couloirs des institutions européennes.
Et à l’étranger ?
Dans les pays anglo-saxons, l’attitude est à la prudence. Les États-Unis se méfient des groupes de télécommunications chinois depuis quelques années. Au risque de voir certains contrats chinois être signés par d’autres puissances, la première puissance mondiale a privilégié la sécurité de ses réseaux. Au Canada, Huawei a également été écarté il y a un an d’un important appel d’offres concernant la construction d’un réseau gouvernemental. Sur le continent océanien, le gouvernement australien a, le 29 octobre 2013, réaffirmé la position du précédent gouvernement qui avait banni Huawei d’un appel d’offres relatif au haut débit. Toutefois, il est intéressant de relever dans le dernier Livre blanc dédié à la cyber-sécurité que Huawei a été invité à soumettre ses commentaires et ses suggestions sur les activités législatives relatives à la cyber-sécurité (Livre blanc sur la cyber-sécurité 2013, p.16). La lecture du rapport d’information de M. Jean-Marie Bockel nous apprend qu’en Angleterre, Huawei a « investi significativement le marché britannique des télécommunications ». Récemment, le réseau londonien 4G, construit par Huawei, a été amélioré.
Sur le continent africain, Huawei fait l’objet d’une investigation de la part de l’Éthiopie : si ce pays avait signé un important contrat récemment, du matériel a été saisi par les douanes. Cependant, l’expansion du géant en Afrique n’est ni stoppée, ni ralentie, et de nombreux contrats sont signés fréquemment.
Huawei est certes un géant des télécommunications en plein développement international. Mais un géant qui a de moins en moins de marge de manœuvre, souffrant d’une image négative en Occident.
SOURCES
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BOCKEL (J.-M.), Rapport d’information n° 681 (2011-2012) de M. Jean-Marie BOCKEL, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 18 juillet 2012, mis en ligne le 18 juillet 2012, consulté le 9 novembre 2013, disponible sur : <http://www.senat.fr/rap/r11-681/r11-681_mono.html#toc205>
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ANONYME, « Huawei : un champion chinois controversé », www.chineconquerante.com, mis en ligne le 2 juillet 2013, consulté le 5 novembre 2013, disponible sur : <http://www.chineconquerante.com/2013/07/huawei-un-champion-chinois-controverse/>
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