Suite à deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 22 octobre 2013 concernant des affaires relatives au trafic de stupéfiants d’une part et aux soupçons d’actes de terrorisme d’autre part, la haute juridiction a invalidé des pièces de procédures recueillies grâce à la pratique dite de géolocalisation dans le cadre d’une enquête préliminaire. Elle a en effet jugé que ce procédé est attentatoire au droit au respect de la vie privée, en précisant notamment que la géolocalisation constitue « une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge. » De ce fait, cette pratique utilisée pour des téléphones portables ainsi que pour des balises GPS installées sur des véhicules de suspects ou d’auteurs d’infraction afin de les suivre à distance en temps réel ne sera plus possible sans l’accord du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention.
Une décision susceptible de faire obstacle à l’efficacité des enquêteurs
Les policiers se retrouvent désarmés face à une telle décision dans la mesure où la pratique de la géolocalisation était devenue habituelle dans le cadre des enquêtes préliminaires dont il faut préciser que ces dernières constituent la majorité de leurs investigations. Il s’agit en effet d’enquêter pour des cas de non flagrant délit or, le fait de recourir à cette méthode également appelée « suivi dynamique » dans le jargon policier offrait aux enquêteurs la possibilité de suivre à distance un suspect ou l’auteur d’une infraction sans se faire repérer. En d’autres termes, cette décision met donc un frein à un nombre majoritaire d’enquêtes.
En effet, avant le prononcé de ces arrêts les enquêteurs pouvaient recourir à cette méthode en contactant directement le Procureur de la République afin que celui-ci adresse une demande aux opérateurs de leur délivrer les données et les informations utiles concernant un suspect. Une telle décision a suscité la colère des syndicats de police qui invoquent le fait qu’elle entrainerait une inefficacité déconcertante dans leur travail c’est-à-dire que l’obligation d’obtenir l’autorisation du juge d’instruction provoquerait une perte de temps dans leurs investigations, estimée à 48 heures minimum, avant que ce dernier accède à leur requête dans la mesure où ce juge lutte déjà contre un surencombrement de dossiers. En outre, le temps écoulé pour cette procédure conduirait même à la perte d’une éventuelle personne portée disparue ou enlevée. Cela signifie que pour les forces de l’ordre la géolocalisation revêt toute son importance puisqu’elle permet d’agir rapidement et de façon discrète.
Si cette pratique suscite de vifs débats en France, aux États-Unis elle ne fait pas l’ombre d’un doute. En effet, la géolocalisation ne pose pas de difficultés puisqu’il n’est pas nécessaire d’obtenir l’accord de l’État fédéral. Les forces de l’ordre américaines vont collecter les informations sur un suspect directement auprès des opérateurs qui, par le biais de leurs bases de données, permettent de retracer le parcours d’un suspect et de le localiser en temps réel moyennant toutefois un prix puisqu’il s’agira pour les enquêteurs de payer des frais de recherche pour chaque demande effectuée. A titre d’exemple, ils paieront 325 dollars pour l’activation de cette surveillance et 10 dollars par jour supplémentaire. Dès lors, cette méthode a déjà fait ses preuves: selon le New York Times, le recours à la géolocalisation a permis de sauver en février 2012, une victime qui s’était réfugiée dans un sous sol après avoir été poignardée par son agresseur.
Une décision susceptible de fragiliser les juridictions compétentes
Il est évident que ce procédé pourrait être constitutif d’abus dans la mesure où il pourrait être utilisé à d’autres fins que celles invoquées par les forces de police comme par exemple pour l’utilisation des données d’un suspect à titre personnel. Cependant, dans une analyse a contrario, les policiers craignent que cette jurisprudence s’applique à d’autres moyens que la géolocalisation des téléphones portables: il serait ainsi possible de l’élargir au suivi des véhicules outre par le biais de balises GPS, faisant de ce fait obstacle à la poursuite imminente de véhicules transportant de la drogue. Par conséquent, les policiers seraient contraints de surveiller des véhicules tout en étant sur le terrain alors que le manque d’effectif se fait sentir et ne leur donne pas la possibilité de pouvoir agir promptement.
Mais cette décision n’inquiète pas seulement les forces de l’ordre puisque de nombreux magistrats ont soutenu les arguments des syndicats de police. En effet, ces derniers se voient obligés de supprimer de leur dossier tous les actes d’enquête liés à ce procédé au risque de voir les dites enquêtes frappées de nullité dans la mesure où la Cour de cassation a refusé des pièces de procédure relevant de la géolocalisation. Ainsi les magistrats ont-t-ils envoyé un courrier à la Commission des lois de l’Assemblée Nationale pour qu’une disposition législative soit prise afin de remédier à ce problème. D’autre part, une loi relative à la programmation militaire est déjà en cours pour redessiner les contours notamment de cette utilisation mais il est évident que l’ensemble de ces dispositions législatives ne seront pas suffisantes car le législateur français ne peut que difficilement appréhender des normes suffisamment générales capables de recouvrir la géolocalisation et d’autres technologies comparables à celle-ci telles que les données de connexion à internet ou encore les factures téléphoniques détaillées.
Enfin, le fait de juger que seuls les juges d’instruction et les juges des libertés et de la détention pourront accorder l’autorisation de recourir à cette pratique a crée de facto une faille dans le système judiciaire. En d’autres termes, au travers de sa jurisprudence la Cour de cassation reproche indirectement le manque d’indépendance du Procureur, membre du parquet dans la mesure où ce dernier commandite les enquêtes et qu’il dépend de l’exécutif. Dès lors, afin de garantir les libertés individuelles, la haute juridiction a-t-elle pris le soin de donner cette compétence aux juges d’instruction et des libertés et de la détention, les considérant plus aptes à prendre des mesures en la matière. Les syndicats de police invoquent à ce propos une défiance de la part de la Cour de cassation auprès du parquet.
Face à une situation devenue figée, ces arrêts sont une bonne illustration des discordances existantes en la matière, notamment au regard du fait que la législation française est elle-même dépassée par l’évolution croissante des nouvelles technologies. A titre d’exemple, la loi du 9 mars 2004 dite loi Perben II, relative à la lutte contre la criminalité organisée offrait la possibilité aux enquêteurs d’avoir notamment recours aux écoutes téléphoniques mais aucune disposition ne concernait la géolocalisation. Le système judiciaire se retrouve démuni face aux nouvelles technologies, provoquant par là même une insécurité juridique. Dès lors, cela devrait amener le législateur à remanier les textes afin de les rendre plus efficaces en la matière, susceptibles d’appréhender ce genre de situations afin de garantir une protection optimale des individus et de remédier à cette incontestable instabilité juridique.
SOURCES :
ALLAIN (E.), « Le magistrat du parquet n’est pas un juge pour la Cour de cassation », Forum Pénal Dalloz, mis en ligne le 26 octobre 2013, consulté le 15 novembre 2013, disponible sur: http://forum-penal.dalloz.fr/2013/10/26/le-magistrat-du-parquet-nest-pas-un-juge-pour-la-cour-de-cassation/
LECLERC (JM.), « Des enquêtes en panne de géolocalisation », Le Figaro, mis en ligne le 20 novembre 2013, consulté le 20 novembre 2013, disponible sur: http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/11/20/01016-20131120ARTFIG00568-des-enquetes-en-panne-de-geolocalisation.php
MOREAS (G.), « Géolocalisation : les enquêteurs devront s’adapter », Le Monde, mis en ligne le 12 novembre 2013, consulté le 15 novembre 2013, disponible sur: http://moreas.blog.lemonde.fr/2013/11/12/geolocalisation-les-enqueteurs-devront-sadapter/
TOURANCHEAU (P.), « Géolocalisation des personnes suspectées : la police balise », Libération, mis en ligne le 15 novembre 2013, consulté le 15 novembre 2013, disponible sur: http://www.liberation.fr/societe/2013/11/15/geolocalisation-des-personnes-suspectees-la-police-balise_947389