Par une décision du 25 octobre 2013, les juges du Conseil Constitutionnel ont déclaré contraire à la Constitution les mots « par les 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7°, 8° » du dernier alinéa de l’article 48 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Le Conseil Constitutionnel avait en effet été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par la commune Pré Saint-Gervais, relative à la conformité de l’article 47, et de l’alinéa 1 et 8 de l’article 48 de la loi de 1881. Le requérant considérait que ces articles méconnaissaient le principe du droit à un recours effectif, le principe d’égalité et le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Les juges du Conseil Constitutionnel vont considérer qu’il résulte de la combinaison des articles 46, 47 et 48 que « lorsqu’elles sont victimes d’une diffamation, les autorités publiques dotées de la personnalité morale autre que l’État ne peuvent obtenir la réparation de leur préjudice que lorsque l’action publique a été engagée par le ministère public, en en se constituant partie civile à titra incident devant la juridiction pénale ». Le Conseil continue en affirmant que « la restriction ainsi apportée à leur droit d’exercer un recours devant une juridiction méconnaît les exigences de l’article 16 de la déclaration de 1789 et doit être déclarée contraire à la Constitution ». C’est ainsi qu’il déclare les mots « par les 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7°, 8° » figurant à l’article 48 contraires à la Constitution. Cependant le Conseil Constitutionnel a répondu par la négative en ce qui concerne l’inconstitutionnalité de l’article 47 et du premier alinéa de l’article 48 puisque ces dispositions « ne méconnaissent ni le principe d’égalité, ni le principe de la libre administration des collectivités territoriales, ni aucun autre droit ou liberté que la constitution garantit ».
Cette solution permet donc aux collectivités territoriales, ainsi qu’à l’ensemble des personnes visées au premier alinéa de l’article 48, de mettre en mouvement l’action publique lorsqu’elles s’estiment victimes d’une infraction de presse.
La décision du Conseil Constitutionnel, qui peut paraître anodine et trop spécifique pour que l’on s’y intéresse, vient véritablement bouleverser le droit processuel spécifique au secteur des médias. En effet il y avait une confusion importante dans l’interprétation de l’article 48 de la loi sur la liberté de la presse, aussi bien au niveau jurisprudentiel que doctrinal. Cela entrainait donc une instabilité des décisions et ne respectait pas le principe de prévisibilité.
Le cadre processuel spécifique aux infractions de presse
L’article 47 de la loi du 21 juillet 1881 dispose que « la poursuite des délits et contraventions de police commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication aura lieu d’office et à la requête du ministère public ». Il pose donc un principe selon lequel le ministère public est seul compétent pour mettre en mouvement et exercer l’action publique en matière d’infraction de presse.
L’article 48 vient le compléter en apportant des exceptions à ce principe. Il précise en effet, dans son dernier alinéa, que l’action publique pourra être mise en mouvement par la victime de l’infraction dans une série d’hypothèses. Il prévoit par exemple le cas de la diffusion d’image de personne menottée (8°), la diffamation envers un particulier (6°), la diffamation envers un fonctionnaire public (3°), et un ensemble d’autres infractions. Cependant le dernier alinéa n’évoque pas au sein des exceptions les injures et diffamations envers « les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués, et les administrations publiques » (1°). C’est à dire que ces personnes ne peuvent pas mettre en mouvement elles mêmes l’action publique. De plus l’article 46 de la même loi prévoit que « l’action civile résultant des délits de diffamation ( pour les personnes précitées ) ne pourra, sauf dans les cas de décès de l’auteur du fait incriminé ou d’amnistie, être poursuivie séparément de l’action publique ».
De ces dispositions il résulte que « les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués, et les administrations publiques », ne peuvent ni mettre en mouvement l’action publique devant des juridictions pénales, ni même agir devant les juridictions civiles afin d’obtenir réparation de leur préjudice. On voit donc que la combinaison des articles 47, 46 et 48 de la loi de 1881 aboutie à une incohérence dans la mesure ou certaines infractions risquent de ne pas aboutir à une réparation. Cependant la question de l’application de l’article 48 n’avait pas posé problème uniquement pour les personnes prévues au premier alinéa de l’article 48. C’est bien l’interprétation de l’article, en générale, qui a abouti à une confusion.
Une confusion générale dans l’interprétation de l’article 48
Selon Christophe Bigot « l’article 48 de la loi sur la presse est, de loin, le texte de procédure le plus complexe ». En effet c’est le terme de « poursuite » employé dans l’article 48 qui porte à confusion. Il existe deux interprétations divergentes de cette notion. Certains considèrent que la notion de poursuite recouvre aussi bien l’action civile que l’action pénale, cette interprétation aboutit à ce que les personnes victimes des infractions non prévues à l’article 48 ne puissent ni agir au civil, ni agir au pénal. D’autres considèrent quant à eux que la notion de poursuite doit être interprétée de façon restrictive et qu’elle ne recouvre donc que les actions pénales. Cette interprétation permet donc d’engager une action civile.
Ces divergence dans l’interprétation du terme de poursuite se retrouve également dans la jurisprudence. Alors que l’on pensait que la Cour de Cassation avait donné une solution de principe mettant un terme à cette querelle, de nouveau rebondissement sont intervenus. En effet dans un arrêt de la première chambre civile en date du 25 novembre 2004 la Cour de Cassation avait affirmé qu’il « résulte des articles 47 et 48 de la loi du 29 juillet 1881 que l’infraction prévue par l’article 39 bis de cette loi ne peut être poursuivie à la seule requête de la partie lésée qui n’a donc pas le droit d’exercer l’action civile séparément de l’action publique ». Avec cette solution la Cour de cassation vient ici appliquer strictement l’article 46 et balaye les différentes interprétations de la notion de poursuite. Cependant dans deux arrêts, du 28 avril et du 7 juillet 2011, la même chambre a prévu la possibilité de séparer les actions pour les infractions non prévues à l’article 48. On remarque tout de même que ces décisions concernent des actions en référé, on peut donc penser que ces solutions sont spécifiques aux actions en référé et ne sont pas applicables dans les autres situations. Ces deux arrêts ne viennent donc pas totalement contredire le principe posé en 2004. De plus un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, en date du 11 avril 2012, est revenu sur une interprétation stricte de l’article 48. Les juges ont en effet considéré que « la mise en mouvement de l’action publique ne peut avoir lieu que sur une délibération prise en assemblée générale et requérant des poursuites ». Ici on voit que les juges vont plus loin, puisqu’ils rappellent que la rigueur de l’application de l’article 48 doit aller jusque dans l’application de la chronologie des évènements. En l’espèce la mise en mouvement de l’action avait été faite antérieurement à la délibération de l’assemblée générale.
Christophe Bigot estimait que « ces questions méritent au plus vite clarification ». C’est aujourd’hui chose faite puisque le Conseil Constitutionnel a mis un terme à ces divergences en rendant sa décision le 25 octobre 2013.
La solution attendue du Conseil Constitutionnel
Bien que cette solution soit tout à fait nécessaire, Emmanuel Derieux considère que cela n’est pas suffisant. Il affirme que les particularité de procédure de la loi de 1881 « ont été voulues, à l’origine, pour conforter la « liberté de la presse ». Elles sont aujourd’hui bien moins justifiées. Elles sont difficilement acceptables en ce qu’elles font obstacle à la possibilité d’engager une action en justice. Plutôt que de continuer à intervenir par des remises en cause et des modifications partielles, ne conviendrait-il pas, dans un souci d’équilibre des droits, de reconsidérer ce texte dans sa globalité ? »
SOURCES:
Conseil Constitutionnel, 25 octobre 2013, Commune du Pré-Saint-Gervais, n°2013-350 QPC.
C. BIGOT, « un an de droit processuel de la presse », Communication commerce électronique, mars 2013, n°3, pp.19-24
M. VERON, « Mise en mouvement de l’action publique en matière de diffamation envers les corps constitués », Droit pénal, juillet 2012, n°7, pp.30-31
E. DERIEUX, « Diffamation envers une collectivité territoriale : ouverture de l’action en justice », JCPG semaine jurisique, novembre 2013, n°46, p.2071
G. LECOMMANDEUR, « Collectivités territoriales : l’action en justice contre les médias est désormais possible », consulté le 10 novembre 2013, disponible sur : http://scp-amisse-gauthier-lecommandeur.domen-avocat.fr/fr/article/collectivites-territoriales-laction-en-justice-contre-les-medias-est-desormais-possible
ANONYME, « Les collectivités territoriales peuvent désormais attaquer les medias en justice », L’Express, mis en ligne le 25 octobre 2013, consulté le 10 novembre 2013, disponible sur : http://www.lexpress.fr/actualite/medias/les-collectivites-territoriales-peuvent-desormais-attaquer-les-medias-en-justice_1294206.html