Le samedi 26 octobre 2013, la chaine privée de télévision M6 lors de son journal télévisé, imitée par la suite par TF1 dans son magazine Sept à Huit, a diffusé les spectaculaires images de l’évasion de Redoine Faïd de la prison de Lille-Sedequin dans le Nord de la France le 13 avril dernier provoquant ainsi l’indignation de la ministre de la justice Christiane Taubira ainsi que la colère des principaux syndicats professionnels notamment FO pénitentiaire.
Redoine Faïd : un poids lourd dans le monde du grand banditisme
Redoine Faïd, alias le « Doc », réputé pour son ingéniosité hors norme et fort d’un physique impressionnant est une figure importante du grand banditisme français. C’est en s’inspirant de films tels que Scarface épluché plus de dix fois que Redoine y a appris l’école du gangster modèle. Selon ses dires, « le cinéma est un véritable mode d’emploi pour apprendre à braquer ». Après avoir visionné le film Heat, ce caïd de la délinquance originaire de Creil en Picardie, véritable expert de casses en tout genre, décide alors de s’attaquer à ce qu’on qualifiera de coups de maitre dans le milieu de la criminalité : l’attaque de fourgons blindés afin de gravir l’échelon suprême. Il ne passera pas entre les mailles du filet de la police et pour ces faits sera condamné à 18 ans de prison ferme mais sa peine sera allégée pour bonne conduite. C’est ainsi qu’il quittera le milieu carcéral en 2009 et c’est sous l’apparence d’un homme repenti qu’il se présente devant les différentes caméras de télévision. Se refusant de faire l’apologie du banditisme, il porte un regard sévère sur lui-même, osant même remercier le système répressif français de l’avoir stoppé dans son ascension infernale de la violence. Auteur d’une biographie Braqueurs : des cités au grand banditisme, il semble vouloir tourner définitivement la page de ses ennuis avec la justice affirmant que ses vieux démons sont morts à jamais. Mais en juin 2011, il est de nouveau arrêté suite à des soupçons portant sur une énième attaque à main armée dont il serait l’auteur et qui aurait provoqué le deuil de la communauté policière suite au décès de la jeune policière municipale Aurélie Fouquet. De nouveau placé derrière les barreaux, « cet homme d’action » selon les propos de son avocat maitre Jean Louis Pelletier n’aurait pas supporté de devoir vivre de nouveau reclus et aurait placé toute son expérience pour monter un plan diabolique à l’image d’Antonio Ferrara quelques années auparavant pour s’évader. Ainsi, c’est à l’aube du 13 avril 2013 qu’il s’extirpe de sa cellule grâce à un système d’explosifs et prend en otage quatre gardiens de prison avant de prendre la fuite et retrouver l’air libre après presque deux ans de captivité. Professionnel de la cavale avec déjà près de trois ans de « belle » à son actif, ce Jacques Mesrine des années 2000 verra son épopée prendre fin prématurément dans la nuit du 29 mai 2013 dans un hôtel en Seine et Marne. Il est actuellement incarcéré dans le plus grand centre pénitentiaire d’Europe et placé sous haute surveillance dans un quartier d’isolement où il encourt la réclusion à perpétuité. Redoine Faïd aurait dû ne plus faire entendre parler de lui mais récemment des vidéos de son évasion audacieuse ont été visibles sur deux chaines de télévision et ont déchainé la chronique.
Diffusion de la vidéo où le combat entre la volonté de sauvegarder l’ordre public…
A la suite de la divulgation des images de l’évasion de Redoine Faïd résultant du système de caméra surveillance de la prison de Lille-Sedequin, nombreux sont les protagonistes à avoir exprimé leurs mécontentements envers les chaines de télévision en cause. De ces images, on y reconnaît le détenu prendre en otage au fur et à mesure de son avancée au sein de la prison quatre gardiens avant de faire exploser les portes et fenêtres composant le dispositif de sécurité et ainsi pouvoir prendre la fuite en voiture. Dès lors, la ministre de la Justice Christiane Taubira ainsi que des syndicats défendant les intérêts de la profession se sont révoltés d’un tel manque de discernement de la part de TF1 et M6. Nicolas Caron, gardien à la prison de Sedequin estime à juste titre que ces images chocs peuvent se révéler néfastes vis à vis du système carcéral français. D’une part, on dénote une atteinte évidente au secret de l’instruction. La vidéo ainsi présentée au grand public l’a été dans un contexte particulier. En effet, l’enquête sur cette évasion n’est pas encore achevée et la transmission de ces informations peut mettre un frein incontestable à l’avancée du dossier. Des gardes à vue sont encore en cours concernant des détenus de la prison mais également trois surveillants qui auraient pu être des complices dans l’entreprise déconcertante de l’homme qui par ses actes est devenu l’individu le plus recherché de France. D’autre part, c’est la question de la sécurité de la maison d’arrêt de Sedequin mais également de tout le système pénitencier français qui est fragilisée à la suite de la propagation de telles images. Dans le reportage, on porte à la connaissance du public le dysfonctionnement du centre de détention en présentant l’agencement de zones inaccessibles (dispositif de sécurité, portes blindées etc) ainsi que les pratiques professionnelles en vigueur (tour de garde, déplacement des détenus). Il apparaît certain que les deux chaines de télévision à aucun moment n’ont imaginé que dans d’autres cellules des prisons françaises, des détenus pouvaient avoir accès à ces images et répéter de tels actes de guerre. L’agissement de ces chaines apparaît critiquable au regard de la sauvegarde de la sécurité dans ces endroits placés à très haut risque notamment du fait du surpeuplement des cellules, de la dégradation des conditions de vie mais aussi d’un manque de moyens humains et financiers afin de contrôler au mieux ces lieux privatifs de liberté. Cette recherche du sensationnel de la part des rédactions aurait dû être évitée afin de ne pas prendre le risque d’avoir à revivre de telles scènes de chaos. Les chaines ont également négligé le fait que ces images pourraient raviver des souvenirs sombres pour le personnel de l’administration carcérale. Le syndicat Force ouvrière pénitentiaire fait part de ses inquiétudes vis à vis des gardiens de prison « victimes de cette évasion pour qui le traumatisme est encore présent ». Il aurait été intelligent de la part de TF1 et M6 de communiquer aux victimes la diffusion du reportage afin d’éviter à celles-ci et à leurs familles de découvrir par surprise des images qui ont marquées à jamais leurs vies (les gardiens touchés psychologiquement n’ont toujours pas repris le chemin du travail depuis le 13 avril). La ministre de la justice a jugé utile à travers un communiqué du 27 octobre d’intervenir sur la diffusion de cette évasion. Ces actes criminels portés aux yeux des téléspectateurs amènent la Garde des sceaux à s’interroger sur la question de la transmission de ces informations à la presse mais aussi de la respons
abilité des chaines et de la dignité du personnel pénitencier. La ministre en profite pour mettre en avant le plan de sécurisation des établissements pénitenciers qui a été présenté le 3 juin 2013 et dont le budget non négligeable de 33 millions d’euros vise d’une part à renforcer la formation du personnel mais également le financement de dispositifs de sécurité performants (portique plus résistant, création de deux unités cynotechniques). Enfin, il est également prévu un contrôle plus accru à l’égard des « détenus les plus particulièrement signalés » (DPS) par l’application d’une nouvelle circulaire. La diffusion de telles images aurait dû être prohibée au regard de ces différents principes mais dans notre société démocratique il convient de rappeler que la liberté de la presse et le concept d’information au public pèsent aussi très lourds dans la balance.
… et la nécessité de préserver la liberté de la presse et le principe d’information au public.
Les chaines de télévision ont certes commis des imprudences au regard des principes évoqués précédemment mais cette recherche de sensationnel est protégée par le dispositif incontestable de la liberté de la presse. De plus, si on se réfère à la réflexion menée par Benoit Grevisse, professeur de Déontologie à l’Université de Louvain en Belgique, les chaines M6 et TF1 n’auraient pas commis de faute déontologique. En effet, lors de la diffusion d’une information il y’a deux logiques à respecter : d’une part « une logique intellectuelle et politique » afin de vérifier si celle-ci justifie d’un intérêt public mais également « une logique entrepreneuriale et commerciale » où l’objectif est d’attirer un maximum d’audience. La société M6 n’a pas désiré faire de commentaire alors que concernant TF1, la directrice de l’information en la personne de Catherine Nayl a félicité sa rédaction pour son travail d’investigation et soutient celle-ci par ce message transmis à la Voix du Nord « ce reportage de Sept à Huit est une enquête contextualisée qui revient sur l’évasion de Redoine Faïd, mais également sur sa cavale. Une enquête qui repose sur plusieurs témoignages ainsi que sur des documents qui portent à la connaissance du public des éléments d’information sur un fait d’actualité». Selon le professeur, il ne fait aucun doute que les chaines ont eu raison de transmettre au grand public cette information qui met la lumière sur un problème des plus inquiétants; celui de l’existence d’une faille dans le système carcéral. Il y’a donc un intérêt public à répandre ces informations même s’il aurait été préférable encore une fois d’en avertir les victimes. Cependant, il admet que les acteurs de l’information sont de plus en plus professionnels quant à l’exercice de leurs fonctions. Ainsi, afin ne pas heurter le public auquel s’adresse les programmes télévisuels, les chaines adoptent un degré de prudence de plus en plus élevé et la « souffrance est montrée avec plus de précaution ». Dès lors, contrairement à la société RTL en Belgique qui avait diffusé aux téléspectateurs des images où on voyait un tireur d’élite abattre un braqueur en lui tirant une balle dans la tête, la chaine avait été condamnée pour avoir véhiculé de la violence gratuite sur les écrans de télévision. Ici, il ne s’agissait pas de divulguer des images choquantes mais avant tout de montrer au public la possibilité pour un détenu particulièrement dangereux (donc davantage surveillé) de réussir à prendre la fuite d’une prison. D’autre part, il ne semble pas que les chaines aient commis de dérapage à l’effigie de certains tabloïds anglais comme News of the World coupable d’écoutes téléphoniques illégales et de pratiques incompatibles avec la déontologie reconnue à la profession. Pour se procurer ces images, il sera bien difficile de savoir comment les médias s’y sont pris. De ce point de vue, ils sont inattaquables car il existe un principe corolaire à celui de la liberté de la presse : le secret des sources. En effet, ce dernier est reconnu juridiquement et même protégé par l’ordre européen. Le seul moyen de lever cette protection est prévu dans le cas où des actes terroristes viendraient à être commis à l’encontre des intérêts de la Nation ou encore pour prévenir des crimes ou des délits, or en l’espèce les faits ont déjà été commis et Redoine Faïd est de nouveau incarcéré et ne présente plus de danger pour l’Etat français. Ainsi, il apparaît impossible aux enquêteurs ou encore à la ministre de la justice qui en avait fait le souhait de lever le voile sur cette problématique. Il convient de se demander si ce n’est pas le personnel lui-même du milieu carcéral qui aurait transmis ces images de vidéosurveillance aux chaines de télévision pour interpeller l’opinion publique sur les difficultés quotidiennes de leurs missions et le dysfonctionnement des lieux privatifs de liberté mais aussi espérer que l’Etat réagisse face à ce péril imminent (tel que le communiqué de la Garde des Sceaux). La polémique autour de la diffusion de ces images a eu le mérite de prendre en considération ces problèmes majeurs ainsi que d’accélérer le mouvement pour y faire face.
La justice comme arbitre de cet affrontement virulent
Ce qu’il convient de noter c’est que la justice n’est pas intervenue pour se pencher sur la question de l’atteinte à la dignité des personnes prises en otage suite à la réception de ces images. Néanmoins, celle-ci dans une ordonnance de référé du 8 novembre a statué en urgence sur la demande de Redoine Faïd qui désirait empêcher la chaine M6 lors de son émission Enquête Exclusive de diffuser de nouveau les images de son évasion au motif qu’elles représenteraient une atteinte à son droit à l’image à l’occasion de « faits commis à des fins personnelles et couverts par le secret de l’instruction ». Selon lui, le visionnage de telles images aurait pour conséquence de lui causer un dommage moral irrémédiable. Ce à quoi le juge des référés de Nanterre a répondu que la diffusion de ces images « est une illustration pertinente du reportage consacré à la violence dans le milieu carcéral dont ces faits d’évasion sont un exemple approprié ». Le juge met donc en avant le principe d’information au public et renforce le fait que cette affaire est relative à un sujet d’intérêt général en autorisant la chaine M6 à diffuser le 10 novembre les images en question. Le Parquet de Lille a quant à lui ouvert une information judiciaire pour violation du secret de l’enquête et de l’instruction dont les fins sont encore inconnues.
Dans cette tourmente médiatique, c’est la liberté de la presse et le devoir d’information au public qui en sont sortis vainqueurs. Les chaines ont eu le mérite d’alerter l’opinion publique et de susciter une réaction de l’Etat qui, nous l’espérons, prendra à bras le corps l’inquiétante détérioration du système carcéral français. Néanmoins au rang des perdants de cette tourmente, ce sont les victimes de cette prise d’otage et la communauté de l’administration pénitentiaire qu’il convient de mentionner. Pas sûr que le soutien communiqué à travers des appels et des messages via les réseaux sociaux suffise à effacer des plaies déjà difficiles à panser et ré-ouvertes par la transmission de telles images. Ainsi selon M. Grévisse « de tout temps des criminels ont fasciné l’opinion publique, mais de tout temps ces criminels ont toujours fait des victimes ».
Sources :
Caron (N.), « Redoine Faïd: les vidéos de TF1 et M6 sont un outrage aux collègues qui ont vécu l’évasion », nouvelobs.com, mis en ligne le 28 octobre 2013, consulté le 02 novembre 2013. <http://leplus.nouvelobs.com/contribution/961776-redoine-faid-les-videos-de-tf1-et-m6-sont-un-outrage-aux-collegues-qui-ont-vecu-l-evasion.html>.
Propos recueillis par Mélissa Bounoua du professeur de Déontologie de l’Université de Louvain de Louvain Benoit Grevisse, « M6 et TF1 diffusent les images d’une évasion : elles n’ont pas fait de faute déontologique », nouvelobs.com, mis en ligne le 29 octobre 2013, consulté le 02 novembre 2013. <http://leplus.nouvelobs.com/contribution/961710-m6-et-tf1-diffusent-les-images-d-une-evasion-elles-n-ont-pas-fait-de-faute-deontologique.html>.
Vidéo descriptive de Redoine Faïd diffusée sur Itélé le 15 avril 2013, « Redoine Faïd : portrait d’un braqueur médiatique », consulté le 04 novembre 2013. <http://www.itele.fr/france/video/redoine-faid-portrait-dun-braqueur-mediatique-46285>.
Communiqué de presse de Christiane Taubira, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, « diffusion d’images valorisant des actes criminels », justice.gouv.fr, mis en ligne le 27 octobre 2013, consulté le 04 novembre 2013. <http://www.presse.justice.gouv.fr/archives-communiques-10095/archives-des-communiques-de-2013-12521/diffusion-dimages-valorisant-des-actes-criminels-26178.html>.
Haushalter (L.), « Évasion de Redoine Faïd : polémique autour des images », europe1.fr, mis en ligne le 01 novembre 2013, consulté le 07 novembre 2013. <http://www.europe1.fr/Medias-Tele/Evasion-de-Redoine-Faid-polemique-autour-des-images-1689427/>.
Anonyme, « Evasion de Redoine Faïd: La justice autorise M6 à diffuser des images dimanche », 20minutes.fr, mis en ligne le 08 novembre 2013, consulté le 08 novembre 2013. <http://www.20minutes.fr/societe/1247783-20131108-evasion-redoine-faid-justice-autorise-m6-a-diffuser-images-dimanche>.