« Vous pouvez compter sur nous » affirme BlackBerry dans une lettre ouverte du mois d’octobre afin de rassurer ses clients et ses investisseurs.
Historiquement, BlackBerry a été créée en 1984 tout d’abord sous le nom de Research In Motion (RIM) avant d’adopter le nom unique de BlackBerry en janvier 2013. La société, rapidement devenue la référence des téléphones portables professionnels haut de gamme, est restée pendant longtemps en avance sur ces concurrents (notamment grâce à son système d’exploitation ou l’instantanéité de sa messagerie).
Cependant, son image de marque s’est effondrée suite à des nombreux scandales politiques (des communications espionnées par la NSA) mais aussi techniques (en 2011 avec la panne généralisée dans le monde). En 2012, la société a annoncé la suppression de 5 000 emplois, puis a quitté le Nasdaq-100 (indice boursier réunissant les 100 plus grandes entreprises non-financières issues du domaine des nouvelles technologies). En janvier 2013, le groupe canadien joue sa dernière carte avec le lancement du nouveau Smartphone « BlackBerry 10 » qui n’obtiendra pas le succès escompté. Le mécontentement et la perte de confiance des utilisateurs, accompagnés d’une chute importante du chiffre d’affaires, ont laissé exsangue le groupe Canadien, distancé par des géants comme Apple ou Samsung.
N’ayant pas réussi à apporter d’innovation majeure sur le marché au cours de ces dernières années, la société a conclu, en septembre 2013, une lettre d’intention de rachat du Groupe avec un consortium emmené par Fairfax Holdings. Le canadien avait jusqu’au 4 novembre pour trouver d’autres acheteurs potentiels : date à laquelle l’offre de Fairfax expirait.
De nombreux projets de rachat finalement abandonnés
Tout comme Nokia racheté en 2007 par Microsoft, Ericsson absorbé par Sony en 2011, Motorola racheté par Google (2012) ou en encore la branche mobile d’Alcatel vendue à la Chine en 2004, BlackBerry a vu son triomphe retomber et a fait l’objet d’offres de rachat.
Différentes pistes potentielles de rachat ont semblé envisagées, notamment par le fonds d’investissement américain Cerberus Capital Management, par Cisco Systems ou Google, par un ancien dirigeant d’Apple ou encore par Facebook. Mais même si les investisseurs ont semblé nombreux, peu d’entre eux étaient prêts à verser les 4,7 millions de dollars nécessaires pour finaliser l’opération.
De plus, le gouvernement canadien semble avoir jouit d’un droit de veto sur la vente de BlackBerry face à certaines entreprises étrangères intéressées par cette vente (comme la firme chinoise Levono). En effet, le gouvernement considérait que la vente à une entreprise étrangère engendrerait des préoccupations sécuritaires importantes puisque l’infrastructure canadienne des Télécoms utilise actuellement des technologies misent en place par la société BlackBerry.
De ce fait, la piste la plus évidente de rachat s’est avérée être celle initialement proposée par Fairfax Financial Holdings, l’actionnaire le plus important de BlackBerry (10%). Son souhait de racheter le groupe comprenait une sortie de la Bourse de la société, afin d’envisager une stratégie plus « discrète » et à long terme de restructuration ainsi qu’une stabilisation des finances de l’entreprise. Cette idée de société non-cotée avait notamment était suivie par le groupe Dell lors de sa restructuration. Cette stratégie, vivement souhaitée par BlackBerry, permettrait à l’entreprise de ne plus dépendre des aléas boursiers.
Cependant, à l’expiration des six semaines de « due diligence » prévues, BlackBerry a décidé de faire marche arrière et a finalement abandonné, le 4 novembre 2013, son rachat par Fairfax. En effet, son actionnaire principal a écarté ce projet d’acquisition (n’arrivant pas à rassembler les fonds nécessaires) au profit d’un investissement dans la société.
La nécessité d’une restructuration profonde grâce à la levée de fonds
Par cet abandon, le groupe canadien exprime donc clairement sa volonté d’indépendance et son souhait de poursuivre son activité actuelle. C’est dans cet objectif qu’il a préféré lever un milliard de dollars grâce à une augmentation de capital. Fairfax ayant fait le choix de participer au placement à hauteur de 250 millions de dollars, le reste sera financé par des investisseurs institutionnels.
L’objectif de cette injection est d’une part de permettre un refinancement (avec un taux d’intérêt moindre que sur les marchés de capitaux) mais aussi de mettre en avant la confiance des investisseurs dans le futur du groupe.
Suite à la mise à disposition du milliard de dollars, Thorsten Heins, le PDG du groupe, sera remplacé par John Chen qui deviendra PDG par intérim. Ce dernier est connu grâce à son succès à la tête de Sybase (société américaine spécialisée dans les services informatiques aux entreprises) puisqu’il avait su reconcentrer la société et lui faire retrouver des bénéfices ; Il nourrit donc d’espoir la survie de BlackBerry. Le groupe canadien a toujours de nombreux atouts notamment au travers de son portefeuille de brevets, son réseau très sécurisé ou encore du fait que la société n’a pratiquement pas de dettes.
Il faut aussi noter que, contrairement aux apparences, les investisseurs de cette augmentation de capital ne prennent pas de risques démesurés. En effet, en dernier recours le groupe canadien se placera sous le régime de protection de la faillite (régime propre au système juridique du Canada et des Etats-Unis). Or, en échange de cette injection de fonds, le groupe Fairfax va devenir le titulaire d’obligations et donc détenteur de titres de créances auprès de BlackBerry. Ainsi, en tant que créancier principal Fairfax fera donc l’objet d’un remboursement en priorité grâce à la vente des actifs du groupe.
D’autre part, BlackBerry va devoir mettre en place une recentralisation sur le marché des entreprises et des professionnels qui avait fait le succès de la marque à ses débuts. D’autant plus que le secteur des professionnels est souvent sources de marges plus importantes qu’une cible grand public.
Enfin, pour réduire le manque de trésorerie auquel il doit faire face, le groupe a déclaré qu’il allait réduire sa gamme à seulement quatre Smartphones, contre six actuellement.
Des changements à la hauteur des attentes du marché ?
Le lendemain de l’annonce du non-rachat l’action BlackBerry est tombée à 6,75 dollars alors que cette même action valait plus de 200 dollars avant l’arrivée de l’IPhone sur le marché (en 2007).
Ce milliard de dollars supplémentaire ne devient-il pas alors un simple gain de temps ?
Pour de nombreux analystes, l’échec du rachat met en évidence la perte de confiance totale des investisseurs dans le groupe. Cette idée est renforcée par le manque de prise de risque de Fairfax qui a choisi de n’investir finalement qu’un quart de la somme initialement prévue en cas de rachat. On se doute alors que cette mise en scène de rachat potentiel par l’actionnaire principal n’était en fait qu’une illusion pour trouver un réel investisseur…
D’autre part, la réelle faiblesse de BlackBerry reste son offre d’applications qui ne fait pas le poids face à la concurrence de Google ou d’Apple. En effet, le canadien propose environ 120 000 applications, alors que Google en propose plus de 850 000 et 900 000 pour Apple. Ces applications sont pourtant aujourd’hui un argument de vente incontestable. Or, pour pouvoir développer de nouvelles applications, il faut avoir des développeurs et donc des utilisateurs. Mais pour l’instant le groupe licencie par vagues ses salariés et se doit trouver une stratégie nouvelle afin reconquérir et d’attirer de nouveaux utilisateurs.
Concernant les prix, BlackBerry n’a pas non plus d’avantage concurrentiel puisque ses Smartphones ont des coûts élevés alors que ces performances ne sont pas meilleures que celles de ces concurrents.
En résumé la situation du groupe risque de le contraindre à devoir trouver d’autres acheteurs potentiels. En effet, la somme injectée dans le capital va permettre à l’entreprise d’envisager de nouvelles solutions mais deviendra rapidement insuffisante. Même si elle est accompagnée de profondes restructurations dans l’entreprise cela amènera probablement le groupe à devenir un marché de niche (pour les professionnels). Et dans le cas où ces restructurations s’avèrent insuffisante BlackBerry pourrait se retrouver démanteler et être contraint de vendre certains de ces actifs majeurs comme ses logiciels, des services ou encore ses brevets. Ces actifs restent en effet aujourd’hui convoités par ces concurrents.
L’échec de BlackBerry semble donc être aujourd’hui plus commercial que technologique, c’est pourquoi le groupe tente donc un pari risqué, mais pas perdu d’avance.
SOURCES
- ANONYME « BlackBerry renonce à trouver un acheteur », www.lemonde.fr, mis en ligne le 4 novembre 2013, consulté le 10 novembre 2013, disponible sur :<http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/11/04/blackberry-renonce-a-se-vendre_3507829_3234.html>
- BEMBARON (E.) « BlackBerry se met en vente », www.lefigaro.fr, mis en ligne le 12 août 2013, consulté le 15 novembre 2013, disponible sur : <http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2013/08/12/01007-20130812ARTFIG00328-blackberry-se-met-en-vente.php>
- VILLECHENON (A.) « BlackBerry : comment le verre est entré dans le fruit », www.lemonde.fr, mis en ligne le 30 janvier 2013, consulté le 15 novembre 2013, disponible sur : <http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/01/30/blackberry-comment-le-verre-est-entre-dans-le-fruit_1823586_3234.html>