«Tu reviens on te crève les yeux», « pute » et « boloos » sont les termes utilisés par des collégiens pendant plusieurs mois sur Facebook à l’encontre de Marion, 13 ans, et qui l’ont amenée au suicide en début 2013. Une tragédie qui a relancé le débat sur le cyber-harcèlement, phénomène récent, apparu il y a environ trois ans, concomitamment à l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication, et qui s’amplifie aujourd’hui en particulier sur les réseaux sociaux.
Le ministre de l’éducation, Monsieur Peillon, annonçait en 2012 la nécessité de « briser la loi du silence » régnant autour de ce sujet et l’a ainsi concrétisé le 26 novembre dernier en lançant une campagne sur la lutte contre le harcèlement scolaire destinée à « lever le tabou » et « responsabiliser » élèves et parents, ainsi que l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale pour agir notamment contre la cyber-violence. Le gouvernement prend donc le pari de l’efficacité de la prévention, sans prévoir de dispositif particulier de répression associé à cette mesure.
La notion de cyber-harcèlement
En ligne, en l’absence de définition juridique, le harcèlement peut être entendu comme « un acte agressif, intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule ». Ainsi, cette cyber-violence se rencontre de plus en plus fréquemment en milieu scolaire : 40% des élèves français disent avoir subi une agression en ligne, et parmi les 10 % des écoliers et de collégiens confrontés à cette situation, 6 % d’entre eux sont victimes d’un harcèlement sévère, voire très sévère.
Le phénomène est amplifié par la multiplication des supports de communications électroniques. En effet, le cyber-harcèlement se pratique par l’intermédiaire des téléphones portables (20 % des agressions), messageries instantanées, forums, sites de partage, réseaux sociaux ou courriers électroniques accessibles aux plus jeunes, sachant que l’âge moyen des premiers pas sur internet est de 9 ans et ne cesse de diminuer. À la différence du harcèlement physique, le danger est d’autant plus élevé en ligne, lié à la facilité de diffusion large des messages sur lesquels il est difficile de garder le contrôle. De plus, avec des nouvelles technologies, les agressions nées au sein de l’établissement scolaire ne s’interrompent plus en fin de journée et se poursuivent sans discontinuité dans le cadre extrascolaire, sans répit pour la victime. L’acte agressif, objet du cyber-harcèlement, peut prendre la forme d’insultes, de moqueries, de propagation de rumeurs, de photos ou vidéos voire d’une usurpation d’identité.
Pour les psychologues, la situation de cyber-violence, de cyber-intimidation subie par un enfant peut avoir des conséquences graves sur sa santé mentale, accentuée par le silence provoqué par la honte ou la peur des représailles. La jeune victime, fragilisée, peut perdre toute confiance en elle, être en décrochage scolaire, manifester des troubles psychologiques, sombrer en dépression et être amenée à irrémédiable extrémité qu’est le suicide. Ces drames ont été fréquents ces dernières années à l’étranger, notamment en 2012 pour Amanda Todd, canadienne de 12 ans, harcelée par un homme envoyant sans cesse, sur Facebook, des photos de celle-ci poitrine dénudée, à ses nouveaux camarades. Même conséquence pour Rehtaeh Parsons, canadienne de 17 ans, victime d’un viol alors qu’elle était en état d’ébriété, photographiée, et dont le cliché avait circulé sur Facebook. En France, le premier cas connu est celui de Marion, 13 ans, menacée et agressée durant plusieurs mois sur Facebook, qui s’est acculée à la mort en janvier 2013.
Le ministère de l’Éducation nationale, conscient des difficultés de la lutte contre le cyber-harcèlement a considéré qu’il était avant tout nécessaire d’agir « en amont, par le biais de la prévention et d’un enseignement des bonnes pratiques ». La loi pour la refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013 a fait de la lutte contre le harcèlement scolaire un enjeu éducatif majeur et une priorité pour les établissements scolaires.
En amont : la prévention
La campagne de prévention du harcèlement a ainsi été lancée le 26 novembre dernier avec l’objectif affirmé que les adultes, et notamment l’Éducation nationale, doivent jouer un rôle fondamental dans la prévention contre le cyber-harcèlement en transmettant aux plus jeunes les clés d’un usage responsable d’internet et de la compréhension des risques encourus sur ce support.
Dans ce but, un plan de huit mesures spécifiques a été dévoilé. Il prévoit dans un premier temps, la création de 31 référents académiques qui seront à l’écoute des élèves, parents et personnels de l’éducation informés de situations de harcèlement et responsables des plateformes téléphoniques d’appel mises en place dans chacune de ces académies. De plus, au niveau des établissements scolaires et sur le site education.gouv.fr, sont mis à disposition un guide pour lutter contre le cyber-harcèlement ainsi que des fiches techniques indiquant les démarches à suivre selon les cas rapportés.
Le plan accentue dans un second temps la nécessité d’informer les élèves. Par l’intermédiaire du Brevet informatique et internet, les enseignants seront chargés d’inculquer un usage sûr et éthique d’internet aux adolescents. S’agissant des enfants, 10 dessins animés présentés à l’école doivent permettre de les sensibiliser face au harcèlement. En ce sens et plus largement, 2 vidéos du ministère de l’Éducation sont diffusées à la télévision, sur internet et sur les réseaux afin d’informer le grand public. Sont associés à cette campagnes des personnalités françaises telles Chimène Badi ou Christophe Lemaitre témoignant de la situation de harcèlement vécue durant leur enfance.
Enfin, le ministère de l’Éducation nationale a établi un partenariat avec l’association E-Enfance, reconnue d’utilité publique, chargée de la sensibilisation des enfants et mis en place le numéro vert Net Ecoute donnant des réponses juridiques et techniques aux personnes concernées par le cyberharcèlement. Cette association agit avec le soutien de la Commission Européenne qui avait d’ailleurs déjà mis en place, dès 2004, le « Safer Internet Program » ayant pour vocation de protéger les enfants et adolescents dans leur usage du numérique et de les amener à prendre conscience des risques inhérents.
En outre, certains acteurs d’internet ont également procédé à la mise en place d’outils destinés à lutter contre le cyber-harcèlement. Facebook a notamment créé de nouveaux moyens de signalements d’éléments (images, écrits, sons…) susceptibles d’être utilisés à des fins de harcèlement et prévoit un traitement des demandes d’aide, en particulier pour les plus jeunes profils, ceci en moins de 24h.
Ainsi, les moyens de prévention mis en place ont pour vocation de sensibiliser les citoyens à cette nouvelle forme d’agression en ligne. S’agissant de la répression de ce comportement, le ministre de l’Éducation nationale déclarait que « Nous pouvons convoquer les élèves harceleurs, prendre des sanctions, nous tourner vers les services de police et de justice, c’est notre responsabilité ». Cependant, à ce jour, il n’existe pas, en aval, d’infraction pénale spécifique au cyber-harcèlement.
En aval : la répression
En effet, le cyber-harcèlement n’est pas une infraction réprimée par la loi française. Toutefois, il existe de nombreux moyens pour la victime de faire reconnaître son préjudice devant le juge. La responsabilité de l’auteur de l’acte est susceptible de voir engager sa responsabilité sur plusieurs fondements de Droit civil, Droit pénal ou Droit de la presse.
En droit pénal, sa responsabilité pourra par exemple être engagée pour atteinte au droit à l’image (un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende), pour usurpation d’identité ( un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende) ou pour la diffusion de contenu à caractère pornographique d’un mineur (5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende). Le responsable peut de plus se voir condamner pour harcèlement moral (un an de prison et 15 000 euros d’amende).
De la même manière mais sur le fondement de la loi du 28 juillet 188 sur la liberté de la presse, l’auteur pourra être poursuivi pour injure ou diffamation publique punie d’une amende de 12 000 euros.
Les juges n’hésitent d’ailleurs pas à reconnaître la responsabilité de l’auteur de l’agression en ligne au profit de la victime. C’est ce qu’a compris Serge, 21 ans, poursuivi pour « usurpation de l’identité d’un tiers ou usage de données permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération » et condamné à 8 mois de prison assortis d’un sursis et de mise à l’épreuve pendant 2 ans, avec obligation de soins, obligation de suivre une formation ou d’occuper un emploi, ainsi qu’à 5000 euros de dommages et intérêts. En l’espèce, suite à une rumeur d’ordre sexuel sur la victime et pour s’assurer de la véracité des faits, il avait créé une page Facebook et un compte Skyblog au nom de la victime pour propager une rumeur entachant la réputation de celle-ci.
Le dispositif préventif mis en place par le ministère de l’éducation dans l’objectif de « briser la loi du silence » va permettre de sensibiliser plus largement le public au cyber-harcèlement et pourrait réduire des comportements harceleurs. En tout état de cause, dans l’attente de la création d’une infraction spéciale, de nombreux textes permettent de réparer le préjudice subi. Hélas, les drames tels celui de Marion, bien que ses parents aient intentés une action en justice, ne peuvent être réparés.
Sources :
ANONYME., « Peillon lance une campagne contre le harcèlement scolaire », le monde.fr, mis en ligne le 26 novembre 2013, consulté le 27 novembre 2013, disponible sur <http://www.lemonde.fr/education/article/2013/11/26/peillon-lance-une-campagne-contre-le-harcelement-scolaire_3520163_1473685.html>
ANONYME., « Peillon s’attaque au harcèlement scolaire », nouvelobs.com, mis en ligne le 26 novembre 2013, consulté le 27 novembre 2013, disponible sur http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20131126.OBS6904/peillon-s-attaque-au-harcelement-scolaire.html>
DUQUESNE M., « Peillon s’attaque au harcèlement scolaire », linformaticien.com, mis en ligne le 26 novembre 2013, consulté le 27 novembre 2013, disponible sur <http://www.linformaticien.com/actualites/id/31157/le-cyberharcelement-fleau-des-enfants-a-l-ecole.aspx>
JULIEN L., « Le plan de Vincent Peillon contre le cyber-harcèlement », numerama.com, mis en ligne le 30 novembre 2013, consulté le 30 novembre 2013, disponible sur <http://www.numerama.com/magazine/27667-le-plan-de-vincent-peillon-contre-le-cyber-harcelement.html>