C’était lors du repos dominical du 24 novembre dernier et dans l’indifférence générale que le sommet final de l’accord Trans-Pacific Partnership (TTP) a pris fin. Si le nom n’est pas évocateur pour tous, il est d’une importance insoupçonnée, illustrant ainsi la pratique décisionnelle : un acte conséquent se doit de rester discret. On aura jamais aussi bien lustré l’or de son silence…
Il faut à nouveau saluer le courage de l’équipe de wikileaks pour qui l’accès à l’information est la mission première, de par la mise à disposition et de l’analyse sous forme écrite du TTP dont le sommet se déroulait à Salt Lake City, dans l’Utah, du 19 au 24 novembre. Un énième accord de libre-échange sous des dehors commerciaux qui réunit un nombre limité d’acteurs étatiques, qui se doivent d’ailleurs d’être expressément cités : les États-Unis, le Japon, le Mexique, le Canada, l’Australie, la Malaisie, le Chili, Singapour, le Pérou, le Vietnam, la Nouvelle-Zélande et le Brunei.
La soumission du droit des états signataires aux caprices de l’oncle Sam
On le sait depuis l’accumulation des différents scandales qui mettent à mal la réputation de nos gouvernants et dégrade a fortiori la confiance avec les gouvernés (Prism et consorts). Généralement, les alertes de Wikileaks ne sont pas faîtes pour tomber dans l’oreille d’un sourd et cette publication mérite une attention toute particulière que la voie médiatique classique occulte trop discrètement. Ainsi, le TPP n’en est pas moins présenté comme le plus important accord commercial inter étatique du monde, dont les enjeux touchent 40 % du PIB mondial. Si le volet intitulé « Intellectual Property (Rights) Chapter » présenté par wikileaks n’est qu’une fraction de cet accord, il n’en reste pas moins un ensemble d’une centaine de pages, aussi le plus controversé tant les enjeux sont pluriels et considérables. Mais c’est surtout la portée tentaculaire des effets qu’il peut avoir sur des domaines non négligeables, partant des brevets dans la recherche médicale ou pharmaceutique, à la responsabilité légale des fournisseurs d’accès à Internet et leurs moyens d’actions, aux droits des éditeurs de contenus sur internet, voire jusqu’aux libertés individuelles, qui effraie… Tous ces domaines sont abordés sous la houlette du droit d’auteur, du droit des marques et des brevets.
Concrètement Wikileaks présente précisément dans ce chapitre les différentes positions, accords et désaccords des 12 états participant à ce partenariat.
Certains spécialistes du web sur ces questions ont fait suivre cette information en examinant de plus près quelles étaient notamment les modifications de fond des domaines en question. Ils ne s’étonnent avant tout pas de l’entêtement constant par les états de régler ces questions dans l’ombre, surtout quand elles ont pour finalité de sérieusement modifier les droits des utilisateurs et restreindre la liberté sur internet de manière générale encore une fois au nom du droit d’auteur. D’un côté, Marc Rees, rédacteur en chef de Pcinpact.com ainsi que l’Electric Frontier Foundation, mettent surtout en avant des démonstrations claires comme la proposition par le Mexique de l’extension de la protection des œuvres phonographiques de 70 à 100 ans, ou pire encore de 95 à 120 pour les sociétés concernant les œuvres non publiées, mesure fortement soutenue par les États-Unis.
L’EFF met particulièrement en garde sur la mainmise des œuvres orphelines ainsi que la perte significative pour le domaine publique. En effet, depuis 1990, cette organisation internationale sans but lucratif basée aux Etats Unis se bat pour défendre les intérêts des utilisateurs sur internet. Aujourd’hui, elle pointe notamment du doigt les États-Unis en les accusant d’entraîner les autres états signataires à l’accord dans une puissante spirale restrictive et d’adapter sans retenue leur législation à celle que l’oncle Sam revendique pour cet accord, quitte à saper l’apport culturel à la communauté de ces états. Pourtant, il est clair que s’agissant du domaine public, tous ne partent pas de la même durée de protection avant d’y entrer,
L’EFF précise d’ailleurs que depuis l’adoption du Copyright Term extension Act en 1998 par le congrès américain, la date d’entrée des œuvres dans le domaine public a été repoussée de 20 ans. En clair, cet acte, qui était initialement dévolu à Walt Disney Company pour lui permettre de conserver tous les droits sur ses œuvres depuis la création de la société en 1923, a pour effet de geler toute entrée dans le domaine public jusqu’en 2019. Ainsi, l’objet de cette disposition n’a pour autre but d’étendre cette protection sur tous les autres états signataires comme évoqué précédemment.
Des dispositions démesurées dans leurs effets au nom du droit d’auteur
De nombreuses questions n’ont bien sûr pas fait l’unanimité notamment concernant la possibilité aux intermédiaires techniques et particulièrement les fournisseurs d’accès à internet de surveiller le contenu des sites et de bloquer l’accès à des sites renvoyant directement ou indirectement à une violation constatée du droit d’auteur, (comprendre : à un lien de téléchargement), ou encore de sanctionner sans délai l’utilisateur frauduleux. C’est en somme un équivalent de la Hadopi actuellement en vigueur en France à ceci près qu’elle serait bien plus efficace en terme de sanction, comme des pouvoirs spécifiques en terme de droit d’auteur reconnu aux fournisseurs d’accès ou la suspension de la ligne de l’abonné. L’EFF et Wikileaks ont néanmoins constaté des prises de positions divergentes notamment un refus catégorique du Canada quant à l’application d’une telle mesure, fortement revendiqué, sans surprise, par les Etats-Unis, d’ailleurs fortement soutenue sur les tous les plans par l’Australie.
D’autres propositions sont émises concernant un meilleur respect de la gestion numérique des droits (DRM Anti-circumvention), ce mode de gestion des droits qui s’apparente simplement à des mesures techniques de protection vise à apporter des restrictions maximums sur l’utilisation d’un support et son interopérabilité. L’EFF illustre notamment le DRM comme l’impossibilité de lire un livre numérique provenant du site internet Amazon.com sur une liseuse de son choix.
Une autre mesure particulièrement démesurée est évoquée dans l’accord mais qui heureusement, a été écarté du texte final. Les droits d’auteur auraient aussi eu vocation à s’appliquer aux copies temporaires générées automatiquement ou volontairement sur internet mais aussi lors de l’utilisation sur un terminal hors connexion. Bien heureux de voir qu’elles ont été exemptés car un nombre suffisant de pays était contre comme le Chili, la Nouvelle-Zélande et la Malaisie, mais les États-Unis ont souligné le fait que les signataires ne seraient pas totalement réfractaire au concept…
Le texte va tellement loin que les consommateurs lambda ont aussi du souci à se faire. En matière de santé, les Etats-Unis proposent une extension de l’exclusivité des brevets dans le domaine de la recherche médicale, et donc de retarder considérablement l’arrivée sur le marché des médicaments génériques. C’est tout un pan de la concurrence qui est menacé, de par la pression des lobbys pharmaceutiques. A cela ; s’ajoutent des propositions tellement controversées qu’elles peuvent relever de la science-fiction, et dont les Etats Unis étaient les seuls à soutenir, comme la possibilité de breveter les plantes et les animaux ou encore des méthodes de soins sur des humains (diagnostic, thérapie, chirurgie)…
Des accords commerciaux aux fins liberticides
Cet accord est vu par certains comme un moyen pour « verrouiller » la loi américaine déjà très musclée en la matière dixit Matt Wood, directeur de la communication chez Free Press. Il s’apparente, symboliquement à une forme de concession volontaire de souveraineté et peut être même rattaché à la notion de Pacta Sund servanda qui veut, en droit international public, que les états parties à une convention ou norme supra nationale, (sans forcément bénéficier d’un statut légal mais du moins politique ou tacite), se doit d’être respectée. Que l’on soit dans une position volontariste ou objectiviste, il n’est pas difficile d’imaginer, en extrapolant, que les Etats-Unis aspireraient ; dans le pire des cas, à lui donner jusqu’à la forme d’une norme erga omnes.
Même si en tout état de cause, ce partenariat ne concerne en lui-même pas les états-membre de l’Union Européenne, le fond de cet accord comme le culte du secret dont il fait l’objet, n’est pas sans rappeler des accords comparables et sensiblement tout aussi graves dont L’Union Européenne a été, ou peut faire partie.
S’en s’attarder sur l’ensemble des accords commerciaux transatlantiques passés et présents, certains vont bien au-delà de leur aspect commercial.
Tout d’abord, Il est évident que l’aura comme le contenu du TTP, fait écho au fantôme du non regretté ACTA. l’Anti-counterfeiting Trade Agreement, fut alors négocié entre 2007 et 2010 entre L’Union-Européenne, les Etats Unis et le Japon dans le plus grand secret. Ses divers objets portaient notamment sur la coopération des acteurs de l’internet avec les industrie du divertissement en vue de censurer une grande partie des contenus publiés sur la toile et en outre de passer, par une procédure extra judiciaire, par l’intermédiaire des ayants-droit eux même et non plus par la police et la justice pour sanctionner les prétendus contre facteurs, ou encore de collecter eux-mêmes des données personnelles, tout ceci figurant dans un accord d’aspect commercial.
Heureusement massivement rejeté par le parlement européen le 04 juillet 2012 par 478 voix contre 39 lors du vote final, les utilisateurs et les acteurs d’internet ont pu respirer et crier victoire pour un temps, mais c’est à peine sorti de la menace qu’elle rampe à nouveau sous deux formes, répondant respectivement au doux nom de Ceta et Tafta.
D’un côté, il y a le Canada E-U Trade agreement (CETA) aussi connu comme l’accord économique et commercial global négocié entre l’Union Européenne et le Canada depuis 2009, et de l’autre le Trans Altantic Free Trade Agreement( TAFTA) également appelé Transatlantic trade and investment partnership(TTIP) un projet de partenariat commercial entre l’Europe et les Etats unis, tous deux sont exactement de la même veine qu’ACTA . A ce stade, il faut bien distinguer le TPP du TTIP (TAFTA) le premier ne concerne pas l’UE, le second oui, depuis l’adoption du mandat le 23 mai dernier, qui autorise explicitement, par son article 12, la commission européenne à prévoir une « protection solide de secteurs précisément définis des droits de propriété intellectuelle. » Si CETA est à un stade plus avancé (signé le 18 octobre 2013 mais nécessite encore l’approbation des états-membres et des provinces canadiennes) que TAFTA, les deux textes revêtent des aspects très similaires, les négociations ont d’ailleurs été faites en secret par un groupe non officiel dirigé par le commissaire européen Karel de Gucht, lui-même à l’origine de l’introduction d’ACTA devant le parlement européen. Outre le fait qu’ils sont le pendant transatlantique de celui faisant principalement l‘objet ici, ils méritent une vigilance constante de la part des citoyens car tous les acteurs du web s’accordent à dire, en Europe comme outre atlantique, et de plus en plus relayés par les médias classiques, qu’ils sont un réel danger pour les libertés individuelles voire pour la démocratie.
SOURCES :
ANONYME., « Secret Trans-Pacific Partnership Agreement », wikileaks.org, mis en ligne le 13 novembre 2013, consulté le 18 novembre 2013, disponible sur <https://wikileaks.org/tpp/#start>
REES M., « Wikileaks dévoile les ombres de l’accord Trans-Pacific Partnership », pcinpact.com, mis en ligne le 14 novembre 2013, consulté le 18 novembre 2013, disponible sur <http://www.pcinpact.com/news/84423-wikileaks-devoile-ombres-l-accord-trans-pacific-partnership-tpp.htm>
SUTTON M., HIGGINS P., « TPP Leak Confirms the Worst… », eff.org, mis en ligne le 13 novembre 2013, consulté le 20 novembre 2013, disponible sur <https://www.eff.org/deeplinks/2013/11/tpp-leak-confirms-worst-us-negotiators-still-trying-trade-away-internet-freedoms>
WALLACH L-M., « Le traité transatlantique, un typhon qui menace les européens », monde-diplomatique.fr, mis en ligne en novembre 2013, consulté le 23 novemnbre 2013, disponible sur http://www.monde-diplomatique.fr/2013/11/WALLACH/49803
ZIMMERMANN J., « TAFTA : Non aux négociations anti-démocratiques US-UE ! », laquadrature.net, mis en ligne le 12 novembre 2013, consulté le 21 novembre 2013, disponible sur <http://www.laquadrature.net/fr/tafta-non-aux-negociations-anti-democratiques-us-ue>