Suite à la diffusion le 7 février dernier d’un reportage sur la guerre au Mali dans l’émission « Envoyé spécial », le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel mettait fermement en garde la chaine France 2. En effet, ce documentaire « choc » révélait au public des images souvent insoutenables de corps calcinés et en état de décomposition avancé, sans aucun avertissement donné aux téléspectateurs. La réplique du CSA ne s’était pas faite attendre, et le 12 février, il avait fait part à France 2 de son mécontentement, sommant la chaine de ne plus reproduire de tels manquements.
Cet événement fut le point de départ d’une concertation menée durant ces derniers mois avec les opérateurs audiovisuels et les organisations représentatives des journalistes sur la question de savoir jusqu’où peut on aller dans la diffusion des images de guerre ? Où se situe la limite entre le droit à l’information du public et le voyeurisme ?
Une réaction justifiée du CSA ?
L’autorité de régulation a tenté de répondre à cette question en publiant le 3 décembre 2013 une recommandation « relative au traitement des conflits internationaux, des guerres civiles et des actes terroristes », destinée à toutes les chaines de télévision.
En effet, celle ci appelle les chaines à la pondération et leur demande de s’abstenir « de présenter de manière manifestement complaisante la violence ou la souffrance humaine lorsque sont diffusées des images de personnes tuées ou blessées et des réactions de leurs proches“. Cette recommandation vise essentiellement le traitement des conflits internationaux, guerres civiles et actes terroristes.
Tout en reconnaissant que la liberté d’informer est un principe constitutionnel consacré par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, le conseil entend rappeler, sur le fondement de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qu’il est également essentiel de respecter certains points, à savoir le respect de la dignité humaine et l’honnêteté de l’information. Le CSA exige ainsi des chaines qu’elles vérifient « l’exactitude des informations diffusées, et en cas d’incertitude, de les assortir de réserves, et en les présentant au conditionnel ».
En clair, ces images pouvant heurter la sensibilité ne seront pas interdites d’antenne, mais les formes devront être mises : signalétique adaptée, avertissements…
Mais en posant de telles requêtes, le CSA ne fait-il pas entrave à la fois à la liberté d’informer et à la liberté d’expression ? C’est ce qu’ont avancé plusieurs organisations de journalistes, estimant que cette recommandation n’entre pas dans le champ des compétences du Conseil.
Une recommandation suscitant de nombreuses controverses…
Ainsi, le syndicat des agences de presse télévisées (SATEV), affirme que si ces images sont attentatoires à la dignité humaine, c’est que « la guerre est un attentat perpétuel à la dignité humaine » et que si elles « ne nous permettent pas toujours de comprendre, elles nous permettent au moins de savoir ». Saluant l’action du CSA dans d’autres domaines, tels que le respect du pluralisme politique et de la parité hommes-femmes, le SATEV revendique cependant que le CSA « laisse les professionnels de l’information faire leur travail, dans le respect de l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ».
Mais le SATEV n’est pas le seul organisme à avoir réagi à l’initiative du CSA. Le Syndicat National des journalistes (SNJ) a, quant à lui, condamné cette recommandation, la qualifiant « d’excès de pouvoir ». En effet selon ce dernier, il s’agit d’une recommandation « qui veut s’immiscer dans la déontologie des journalistes », estimant ainsi que le CSA n’a pas légalement la possibilité, ni la légitimité pour intervenir dans ce domaine,
Reporters Sans Frontières partage l’inquiétude de ses congénères, conseillant au CSA une attitude plus souple, « qui mette au premier plan le droit à l’information du public et l’autorégulation ». En effet, l’organisme redoute une dérive interventionniste qui pourrait se révéler dangereuse.
Un délicat conflit d’intérêt
Si les motivations du CSA quant à la protection des téléspectateurs semblent légitimes, on peut également comprendre la crainte des journalistes de voir leur travail tronqué par une censure trop présente. Si en 2003 face à l’imminence de la guerre en Irak, le CSA avait notamment recommandé aux chaînes de « veiller à ce qu’il ne soit pas fait une exploitation complaisante de documents difficilement supportables“, cette fois ci, Reporters Sans Frontières redoute certaines innovations du texte « marquées par leur caractère restrictif et flou ».
Dans un communiqué publié le 4 décembre 2013, le Syndicat National des Journalistes envisageait un recours devant le Conseil d’Etat, affaire à suivre donc.
Sources :
(ANONYME), « Le CSA adopte une recommandation relative au traitement des conflits internationaux, des guerres civiles et des actes terroristes », csa.fr, publié le 03/12-13, consulté le 10/12/13 , disponible sur http://www.csa.fr/Espace-Presse/Communiques-de-presse/Le-CSA-adopte-une-recommandation-relative-au-traitement-des-conflits-internationaux-des-guerres-civiles-et-des-actes-terroristes
(ANONYME), “Images de guerre à la télé: le CSA inquiète les professionnels”, www.lexpress.fr, publié le 16/07/13, consulté le 11/12/13, disponible sur http://www.lexpress.fr/actualite/medias/images-de-guerre-a-la-tele-le-csa-inquiete-les-professionnels_1266765.html#2fwTdR1mC3tiralV.99
HAMELIN (A) “Recommandation du CSA relative au traitement des conflits internationaux, des guerres civiles et des actes terroristes par les services de communication audiovisuelle”, www.ffap.fr, publié le 4 décembre 2013, consulté le 11 décembre 2013, disponible sur http://www.ffap.fr/Default.aspx?lid=1&rid=106&rvid=125&new=0#cont473
(ANONYME) “Images de guerre : le CSA appelle les chaînes à la pondération”, www.ozap.com, publié le 04/12/13, consulté le 7/12/13, disponible sur http://www.ozap.com/actu/images-de-guerre-le-csa-appelle-les-chaines-a-la-ponderation/450448