Le 11 décembre, la commission des Lois de l’Assemblée nationale a adopté, après quelques modifications, le projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes présenté en Conseil des ministres par Christiane Taubira en juin dernier. Il doit remplacer la « loi Dati » du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes. Ce projet a pour ambition de conférer un niveau plus élevé de protection du secret des sources des journalistes et sera débattu en première lecture à l’Assemblée le 16 janvier. Après de nombreux remaniements, la promesse de François Hollande pourrait donc bien être tenue.
L’affaire dite des « fadettes », où le procureur de la République de Nanterre avait demandé à un opérateur téléphonique de lui communiquer les factures téléphoniques détaillées de trois journalistes pour découvrir quelle était leur source, a été vécue par l’opinion publique et les médias comme la démonstration de l’insuffisance de la loi 4 janvier 2010, même si les réquisitions du procureur de la République ont finalement été rejetées. En l’état, la législation française n’est pas satisfaisante, la protection du secret des sources est fréquemment ignorée en France. Or, la Convention européenne des droits de l’homme et notre Constitution imposent de garantir la liberté d’expression et par conséquence la libre circulation des informations qui constitue, dans une société démocratique, une nécessité impérieuse. Selon Marie-Anne Chapdelaine (députée socialiste d’Ille-et-Vilaine) la protection du secret des sources est même une condition de la liberté d’information. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme définit le secret des sources comme une « condition essentielle au libre exercice du journalisme et au respect du droit du public d’être informé des questions d’intérêt général ». Assurer la confidentialité des sources d’information des journalistes est donc un enjeu majeur dans une démocratie. Ce projet de loi tend à pallier au fait que notre législation ne garantit pas de façon satisfaisante ce droit fondamental.
La redéfinition et la restriction de l’atteinte au secret des sources
Actuellement, la notion même d’atteinte au secret des sources d’un journaliste n’est pas définie. Un nouvel article de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse la définira comme « le fait de chercher à découvrir ses sources au moyen d’investigations portant sur sa personne ou sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources ».
Le projet de loi protège ce secret des sources des journalistes et précise les conditions dans lesquelles il peut y être porté atteinte en les restreignant significativement. Le projet de loi initial permettait des atteintes à cette protection pour prévenir ou réprimer « un crime », « un délit constituant une atteinte grave à la personne » et « un délit constituant une atteinte grave aux intérêts de la Nation ». La commission des Lois a jugé ces formulations trop vagues. Le nouveau texte permet donc des atteintes au secret des sources aux seuls cas de « prévention d’un délit d’atteinte à la personne humaine puni d’au moins sept ans d’emprisonnement » ou pour les délits contre « la Nation, l’Etat et la paix publique » prévus par le code pénal lorsque ceux-ci sont punis de dix ans d’emprisonnement. Cela inclut « les délits d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation » et « les délits terroristes, tels que la participation à une association de malfaiteurs à visée terroriste », selon « la rapporteure » du texte Marie-Anne Chapdelaine. Les atteintes justifiées par la répression de ces délits seront subordonnées à des conditions supplémentaires. Ce délit doit être d’une particulière gravité en raison, soit des circonstances de sa commission, soit de la vulnérabilité de la ou des victimes, soit de la qualité de l’auteur du délit. Sinon, l’atteinte doit être justifiée par la nécessité de faire cesser le délit ou alors il doit exister un risque particulièrement élevé de renouvellement de celui-ci. Ces possibles atteintes au secret des sources sont ainsi beaucoup plus restrictives et précises que celles prévues actuellement, qui font seulement référence à l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public.
Ensuite, le projet de loi renforce la protection du secret des sources dans le code de procédure pénale. Il prévoit que tout acte tendant à porter atteinte au secret des sources devra être préalablement autorisé par ordonnance spécialement motivée du juge des libertés et de la détention. Cette règle s’appliquera à tous les actes de l’enquête ou de l’information, comme par exemple des écoutes téléphoniques, des réquisitions aux fins d’obtenir les facturations téléphoniques détaillées ou des perquisitions.
Enfin, le texte prévoit que les sanctions en cas d’atteinte au secret des sources soient renforcées. Un nouveau titre XXXIV spécifiquement consacré à la protection du secret des sources des journalistes, comportant les articles 706-183 à 706-187 sera inséré dans le code de procédure pénale. Dorénavant, les délits de violation de domicile et d’atteinte au secret des correspondances feront l’objet de peines aggravées lorsqu’ils auront été commis, le cas échéant, par une autorité publique, dans le but de porter atteinte au secret des sources d’un journaliste.
La redéfinition de la notion de journaliste et l’extension du secret de ses sources
En ce qui concerne les journalistes, le projet de loi étend leur possibilité de garder leurs sources secrètes en créant une forme d’immunité pénale pour eux. Cette immunité tend à faire respecter les exigences résultant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (notamment les arrêts Fressoz contre France du 21 janvier 1999 et Ressiot contre France du 28 juin 2012). En effet, lorsque des journalistes détiennent des documents issus d’une violation d’un secret (de l’instruction, de l’enquête ou professionnel) ou d’une atteinte à la vie privée, s’ils contiennent des informations dont la diffusion constitue un but légitime en raison de leur intérêt général, il ne peut être porté atteinte au secret des sources. Ainsi, il est interdit de poursuivre ou condamner un journaliste pour le délit de recel d’une violation d’un secret ou d’une atteinte à la vie privée. Sa mission de diffusion de l’information constitue en effet dans une telle hypothèse un fait justificatif, qui légitime la détention de tels documents. Dès lors que le but est légitime, il ne sera plus possible de demander au journaliste quelle est la personne qui lui a fourni ces documents, dans le seul but de rechercher l’auteur d’une violation d’un secret ou d’une atteinte à la vie privée.
De plus, les députés ont étendu cette immunité à la détention d’images et d’enregistrements sonores ou audiovisuels. Les parlementaires pourront d’ailleurs être accompagnés par des journalistes lorsqu’ils visiteront des établissements pénitentiaires. Ces derniers auront le droit de filmer, d’enregistrer ou de photographier à l’intérieur de l’établissement.
Le projet de loi redéfinit la notion de journaliste en réécrivant l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881. Est alors considéré comme journaliste « toute personne qui, dans l’exercice de sa profession pour le compte d’une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou d’une ou plusieurs agences de presse, pratique le recueil d’informations et leur diffusion au public ». Cette nouvelle notion de journaliste est donc plus large que celle du code du travail car elle n’exige plus nécessairement une « activité régulière ». Elle permettra d’étendre la protection du secret des sources aux directeurs de publication ou de rédaction, ainsi qu’aux collaborateurs de la rédaction, y compris non-salariés (correspondants locaux de la presse régionale, stagiaires ou étudiants en alternance). Elle sera aussi étendue aux journalistes travaillant pour une entreprise d’édition ou pour une publication diffusée par une association. Les « lanceurs d’alerte », protégés en matière de santé ou d’environnement depuis la récente loi sur la fraude, qui alerteront les autorités ou leurs employeurs de faits graves, seront aussi protégés s’ils dénoncent ces faits aux journalistes.
Ce projet de loi traduit une réelle volonté de la part du gouvernement et des députés de mieux protéger le secret des sources des journalistes que ce soit en restreignant les atteintes qui peuvent lui être portées ou en étendant son champ d’application. Ils le perçoivent comme un enjeu majeur dans notre démocratie, une condition de la liberté d’information et primerait même, sous certaines condition, sur le droit à la vie privée ou les obligations de secret. Si ce texte est définitivement adopté, il garantira aux journalistes la possibilité d’exercer sans entrave leur mission fondamentale d’information du public à partir de renseignements recueillis auprès de leurs sources, de façon pleine et effective. Ainsi, les journalistes pourront jouer leur rôle de « chiens de garde de la démocratie », comme le veut la Cour européenne des droits de l’homme.
Sources :
– LEXPRESS et AFP, « Secret des sources : le gouvernement précise la loi », http://www.lexpress.fr/, publié le 12/12/2013, consulté le 13/12/2013.
Consultable sur
– GOUVERNEMENT, « Projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes », http://www.assemblee-nationale.fr/, consulté le 13/12/2013.
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