Le 16 et le 17 décembre, a été déclenchée à la surprise générale, une série de contrôle fiscaux à l’encontre de sites d’information politique et générale : Mediapart, Indigo Publications, et Terra Eco.
Le 16 décembre, c’est le site Indigo Publications qui a été visé. Puis le 17 décembre, Terra Eco et Mediapart. Tous les trois sont des éditeurs de presse en ligne pureplayers. Ils ont choisi de se développer uniquement grâce aux recettes d’abonnements de leurs lecteurs, et non par la publicité, ni par les subventions publiques.
Ce sont également des entreprises qui, depuis plusieurs années, ont choisi de braver l’administration fiscale.
Une fiscalité différenciée entre presse numérique et presse écrite
En effet, depuis 2009, les éditeurs de presse en ligne ne bénéficient pas des mêmes avantages fiscaux que les éditeurs de presse papier. A la suite des Etats généraux de la presse donnés en 2008 sous le mandat de Nicolas Sarkozy, dans une optique d’aide à la presse, en crise, les éditeurs de presse écrite se sont vus autoriser à appliquer un taux exceptionnel de T.V.A. à 2,1, % au lieu du taux normal à 19,6%. Ceci devait leur permettre de survivre quelques temps, et/ou d’effectuer leur transition vers le support numérique.
Cette aide indirecte mais significative s’est limitée à la seule presse écrite. Les éditeurs de presse « en ligne », malgré la reconnaissance de leur statut, continuaient de se voir appliquer un taux de T.V.A à 19,6 %.
Rencontrant aussi des difficultés en terme de rentabilité, ils on pu vivre cette mesure comme une injustice.
Dans ce contexte, certain d’entre eux, regroupés au sein du SPIIL (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne), ont décidé de s’appliquer, en dépit des textes, le même taux de T.V.A « super réduit » à 2,1%.
Les contrôles fiscaux aujourd’hui déclenchés portent explicitement sur la T.V.A. Le but de l’administration semble donc clair. Malgré ce, leur déclenchement reste surprenant : depuis 2008, les gouvernements successifs ont affiché leur soutien à l’abaissement de la T.V.A réclamé par le S.P.I.I.L.
Un gouvernement hésitant
La semaine précédent l’annonce des contrôles fiscaux, Aurélie Filipetti réaffirmait dans les médias son soutien à un abaissement de la T.V.A pour la presse en ligne.
Au côté du Président de la République, et du Ministre du budget et des finances, Bernard Cazeneuve, ils reçurent même le S.P.I.I.L à l’Elysee leur promettant des mesures prochaines.
Pour ces derniers, l’unique frein semblait la crainte de rentrer en contradiction avec le droit européen, pour lequel la T.V.A réduite n’est pas encore appliquée à la presse en ligne.
Les modifications de taux au niveau européen demandent de longues périodes de négociations et de procédures. Hors la France est déjà engagée dans un lourd contentieux avec Bruxelles pour une question similaire : à cause de l’application d’une TVA réduite au livre numérique.
Les conditions d’application de la T.V.A à l’époque numérique restent mal définies.
Un éclaircissement nécessaire au niveau européen
L’arrêt Rank de la Cour Européenne de Justice, en 2011, a apporté le principe de neutralité des supports. Selon ce principe, des produits équivalents ne pourraient se voir appliquer des taux d’imposition différents en vertu de supports différents. Ce principe pourrait donc se retrouver appliqué à la presse en ligne, par rapport à la presse écrite
(l’arrêt comporte cependant des critères d’application relativement complexes). Hors rappelons que la France est en contentieux sur le livre numérique avec Bruxelles pour l’application d’une T.V.A équivalente à celle du livre papier…
Malgré leur soutien affiché, les ministres français douteraient-ils de la décision de la Cour Européenne ?
Il existe aujourd’hui une disparité sur la question de la T.V.A. des entreprises de presse en Europe. La Grande Bretagne a choisi depuis toujours de ne quasiment pas taxer les produits de presse en général. L’Allemagne quant à elle vient de s’engager dans son pacte de gouvernement à soutenir une T.V.A réduite pour le livre numérique et la presse en ligne, ce qui laisse présager d’un climat favorable pour une réforme européenne.
Un objectif mystérieux et une mise en danger des éditeurs de presse en ligne
L’abaissement de la T.V.A. fait consensus en France parmi tous les acteurs du monde la presse écrite ou numérique, et semble également mettre d’accord les politiciens. Il y existait une sorte de moratoire, qui semble avoir été rompu par les contrôles fiscaux.
Ces derniers doivent-ils simplement décourager la désobéissance fiscale?
Les éditeurs contrôlés déclarent tous ne pas survivre à un redressement et une régularisation de la TVA à 19,6% (ils ont choisi de ne vivre que de la vente des abonnements) — le site Dijonscope, exerçant le même type d’activité, et ayant récemment subi un contrôle similaire, a du fermer ses portes —. Le Fisc français exige aujourd’hui un million d’euro de la part de Mediapart au titre de son activité 2010. Les trois sites ont déjà le soutien d’une grande partie du secteur professionnel; agiront-ils en justice devant l’Europe ou devront-ils fermer pour réouvrir sous une autre forme, (à l’instar du Dijonscope) quitte à le faire plusieurs fois, jusqu’à ce que de meilleurs auspices fiscaux se présentent ?
Sources :
DELCAMBRE (A), “Bercy déclenche un contrôle fiscal de Mediapart”, Lemonde.fr, publié le 18 décembre 2013, consulté le 19 décembre 2013, disponible sur http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2013/12/18/bercy-declenche-un-controle-fiscal-sur-mediapart_4336229_3236.html
LEGRAND (D), “T.V.A à 2,1 % pour la presse en ligne, trois redressements productifs “, Pcinpact.com, publié le 24 décembre 2013, consulté le 26 décembre 2013, disponible sur http://www.pcinpact.com/news/84819-tva-a-21-pour-presse-en-ligne-trois-redressements-productifs.htm
SAYS (F), “Derrière le contrôle fiscal de Mediapart, l’anachronisme de la loi “, Franceculture.fr, publié le 19 décembre 2013, consulté le 24 décembre 2013, disponible sur http://www.franceculture.fr/2013-12-19-derriere-le-controle-fiscal-de-mediapart-l%E2%80%99anachronisme-de-la-loi