Alors que le sujet relatif à la prostitution fait l’objet de débats en raison d’une atteinte aux bonnes mœurs, Internet a favorisé le développement d’un nouveau lieu de prostitution: l’« escorting. » Si la lutte contre la prostitution en France a été opérée dès 1946 avec une loi intitulée « Marthe Richard » imposant la fermeture des maisons clauses, le législateur s’est senti quelque peu dépassé par cette nouvelle forme de prostitution. Pour lutter contre ce nouveau délit, l’Assemblée Nationale dans le courant de l’année 2011 avait adopté une résolution dans le but de pénaliser les clients, donnant lieu à de vives controverses entre les partisans de la commercialisation du corps et ceux qui voulaient abolir cette pratique en raison d’une atteinte à l’ordre public.
Aujourd’hui, l’idée de pénaliser les clients refait donc surface avec l’adoption par l’Assemblée Nationale le 4 décembre 2013 d’une proposition de loi dont son article premier dispose que les clients d’achats sexuels seront sanctionnés d’une contravention de 1500 euros, doublée en cas de récidive. Par ailleurs, cette proposition de loi a pour but d’abolir le délit de racolage public et préconise également un soutien pour les prostituées qui le souhaitent.
La lutte contre la prostitution en ligne : La mise en place d’un filtrage opéré par les hébergeurs et non par une structure ad hoc
Internet, véritable support à caractère transfrontalier a favorisé l’émergence de la prostitution sur la toile. Celle-ci a ainsi été rendue possible par des sites internet hébergés à l’étranger à destination du pays des Droits de l’Homme, donnant lieu à un véritable problème de détermination de la loi applicable en la matière. Afin de remédier à ce problème, l’article premier préconisait en amont un filtrage administratif nécessitant la création d’une structure ad hoc. Cette idée a cependant était très vite oubliée car la création d’une telle structure a été fortement critiquée puisque celui lui aurait permis d’opérer une forme de censure, portant ainsi atteinte à la liberté d’expression alors même que ce principe est très largement manifesté et protégé sur la toile.
La Chambre parlementaire a dès lors rejeté le filtrage administratif et a exigé que les hébergeurs eux-mêmes bloquent l’accès aux sites litigieux dont ils ont la connaissance sans attendre que ces derniers soient déclarés illicites par le juge. En effet, le dispositif introduit par l’article premier complète l’article 6.7 de la LCEN qui précise que les hébergeurs sont dans l’obligation de « concourir à la lutte contre la diffusion de (certaines) infractions » et leur oblige « d’informer promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités illicites mentionnées […] qui leur seraient signalées et qu’exerceraient les destinataires de leurs services, et, d’autre part, de rendre publics les moyens (qu’ils) consacrent à la lutte contre ces activités illicites. ». En cas de non respect de ces dispositions, les hébergeurs se voient pénalement sanctionnés en tant que complices de proxénétisme.
Le système de filtrage opéré par les hébergeurs serait-il un dispositif efficace ?
Si cette lutte « privée » opérée par les hébergeurs a été validée par l’Assemblée Nationale, on peut se demander si ces derniers ont véritablement compétence pour juger de la licéité d’un site. En outre, ce filtrage privé à l’instar du filtrage administratif semble dissimuler également une forme de censure. L’éventuelle atteinte à la liberté d’expression a ainsi engendré une suite de propositions d’amendement invitant par exemple le citoyen à entrer directement en contact avec les services de police pour signaler les contenus qui lui semble illégaux par le biais d’ une plate-forme des pouvoirs publics prévue à cet effet. Ces amendements n’ont cependant pas abouti, laissant ainsi place à une forme répressive de lutte et suscitant de vives réactions. Par exemple, le co-fondateur de l’association la Quadrature du net, Felix Tréguer a évoqué le fait qu’il préférait à cette mesure répressive l’instauration d’un moratoire contre une atteinte aux droits fondamentaux sur le réseau. Des prostituées quant à elles, manifestaient dans la rue pour mettre en exergue le fait que le dispositif répressif allait augmenter le risque de clandestinité.
Hormis l’hypothèse d’une atteinte à la liberté d’expression, on peut également se poser la question de savoir si ce dispositif n’est pas déjà désuet de sens puisque la proposition de loi ne traite pas de tous les moyens ayant vocation à contourner ses propres dispositions. D’une part en effet, ce mécanisme ne met pas en place un régime de responsabilité distinct selon qu’il s’agisse d’annonces directement effectuées par des prostituées dites «indépendantes» de celles passant par des agences ou encore des blogs personnels. D’autre part, les hébergeurs pourront bloquer l’accès à des sites issus d’une liste noire établie à cette fin, mais d’autres sites illégaux pourront alors être crées afin d’échapper à cette liste. Enfin, le mécanisme ne peut lutter contre des annonces illégales dont les termes utilisés ne font pas directement allusion à la prostitution: par exemple, il a été constaté que certaines annonces peuvent contourner la loi telles que celles relatives aux colocations qui proposent en retour des rapports sexuelles, idée dissimulée derrière des termes tels que « colocation en échange de services ».
Les soucis d’efficacité de lutte rencontrés ne sont pas propres à la France. En effet, le caractère transfrontalier de « l’escorting » permet de s’intéresser aux autres dispositifs mis en place à l’échelon international. Ainsi par exemple, La Suède est le premier pays européen a avoir adopté un mécanisme visant à pénaliser les clients en 1999. Pour que l’officier de police judiciaire puisse constater une relation sexuelle tarifée, il pouvait se rendre à un rendez-vous et interpeller le client. Ce mécanisme a ainsi permis de baisser de moitié la prostitution de rue. Néanmoins il a aussi permis d’augmenter le phénomène de prostitution sur la toile, désarmant le législateur suédois face à cela. La Suède connait ainsi les mêmes problèmes d’efficacité de son dispositif que la France, n’ayant pas à l’heure actuelle de solution pour remédier à cela. Le Sénégal quant à lui, connait également de véritables problèmes en la matière: récemment le gérant d’un site internet intitulé « Média Sénégal International » ainsi que ses complices ont été déférés devant le Parquet, accusés d’avoir recruté des personnes pour des conversations à caractère érotique avec des clients européens. Conscients du véritable impact du caractère transfrontalier de la prostitution, les pays notamment européens ne devraient-ils pas harmoniser leur législation afin de garantir une lutte plus efficace ?
Sources:
BEKMEZIAN (H.), « Malaise et divisions au sein de la majorité », Le Monde, mis en ligne le 26/11/2013, consulté le 2/12/2013, disponible sur : http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/11/26/prostitution-malaise-et-divisions-au-sein-de-la-majorite_3520453_3224.html
CHAMPEAU (G.), « Prostitution en ligne : pas de filtrage administratif, mais une “lutte” privée », Numerama, mis en ligne le 29/11/2013, consulté le 2/12/2013, disponible sur : http://www.numerama.com/magazine/27661-prostitution-en-ligne-pas-de-filtrage-administratif-mais-une-lutte-privee.html
Anonyme, « Lutte contre la prostitution : la censure privée d’Internet encouragée » , La quadrature du net, mis en ligne le 29/11/2013, consulté le 5/12/2013, disponible sur : http://www.laquadrature.net/fr/lutte-contre-la-prostitution-la-censure-privee-dinternet-encouragee