Le financement des films français connait il un second souffle ? C’est fort possible si l’on retient les conséquences de l’adoption en première lecture le vendredi 6 décembre 2013 par les députés du crédit d’impôt pour les films à petits budgets.
Une tension légitime autour d’un système vertueux
Pourtant, à l’heure où la fréquentation des salles est en baisse par rapport à 2012 et que les modes de financement du cinéma font jaser depuis le pavé lancé par l’influent Vincent Maraval il y a un an via la tribune du monde le 28 décembre 2012, et qui bloque encore les esprits de certains professionnels sur deux sujets bien distincts que sont le salaire des “grands” acteurs français et le financement du cinéma dans sa globalité, force est de constater que la vive critique du fondateur de Wild Bunch et plus généralement le débat sur les questions qu’il a soulevées est aujourd’hui tempérée par les différents changements salutaires qui se sont révélés dernièrement.
Une question avait été clairement posée par le sénateur UMP Pierre André qui s’inquiétait le 04 juillet dernier de ne toujours pas voir décrétés les nouveaux dispositifs envisagés par Aurélie Filippetti permettant de re-dynamiser la France dans le secteur du cinéma avant la date buttoir fixée aussi par décret, du 01 janvier 2014. Celle-ci lui avait très vite répondu (le 10 juillet) que le décret était en cours de finalisation, toutefois la production pâtissait déjà de l’absence de ce décret, et le nombre de production à voir le jour avait sérieusement ralenti au premier semestre 2013.
Or en cette fin d’année, il est peut être intéressant de dresser un bilan sur les mesures phares qui ont été prises. Il y a d’abord un progrès s’agissant du dernier en date, et non pas le moins accessoire : le crédit d’impôt cinéma, qui est à différencier du crédit d’impôt international et du crédit d’impôt audiovisuel, sort des fourneaux de l’Assemblée Nationale à l’occasion de la loi de finance rectificative pour 2013. L’amendement encore chaud et surtout plein de promesses ambitieuses, paré pour une lecture devant le Sénat, majore notamment le crédit d’impôt de 20 à 30 % pour les films dont le budget de production est inférieur à 4 millions d’euros.
Un dispositif attrayant aux conditions exigeantes
Rappelons que le crédit d’impôt cinéma instauré par l’article 88 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, fait partie des dispositifs de soutien à l’industrie cinématographique. C’est une mesure qui n’intéresse que les entreprises de production française soumises à l’impôt sur les sociétés assumant les fonctions de productions déléguées d’un film. Elle leur permet de bénéficier, sur demande, d’un crédit calculé à la fin de chaque exercice fiscal sur certaines dépenses, qui sont surtout techniques (montage, mixage du son). Depuis 2006, ce crédit d’impôt a aussi été introduit pour les paiements artistiques (acteurs, scénariste…) A cet égard, des explications plus complètes ainsi que la procédure correspondante se trouvent sur le site du CNC. Par ailleurs, une étude sérieuse et relativement exhaustive produite par le cabinet Lachaussée Avocat sur l’évolution du crédit d’impôt est disponible sur le journal du net, qui permet de comprendre l’historique de ce soutien et ses enjeux dont nous reprenons ici certains point essentiels.
Pour bénéficier du crédit d’impôt cinéma, le film doit obéir à certaines conditions qui révèle de l’usage de la langue française, du tournage et de la réalisation principalement sur le territoire français (post-production), qui doit comprendre un personnel technique et artistique de nationalité française et européenne avec une idée tangente montrant que le film contribue au développement de la création française et européenne et à sa diversité.
Si le crédit sera maintenant égal à 30% du montant total des dépenses éligibles, cela veut dire que le producteur devra agir au moment du calcul de l’exercice fiscal de l’année en cours. Le site du CNC précise clairement qu’il est essentiel que la demande de crédit devra être effectuée avant le début du tournage par lettre recommandée au président du CNC. En somme le producteur pourra bénéficier d’une réduction de 30% des dépenses faites pour le tournage.
Cela étant dit, il faut préciser que les dépenses sont plafonnées à 80% du budget de production du film et le montant du crédit ne peut excéder aujourd’hui 4 millions d’euros par film d’après l’étude citée. Toutefois, le site officiel du CNC fait toujours référence à un plafond porté à 1 million d’euros. Cette différence est peut-être à mettre sur le compte d’un retard de mise à jour du site du CNC sur ce point ou à une confusion dans l’étude. Pourtant, étant donné que cette dernière est relativement complète et surtout plus analytique, on peut pencher sur le premier écueil, ce qui peut être fâcheux pour la société de production ayant établi son budget en fonction de la procédure figurant sur le site du CNC. Par ailleurs une incertitude subsiste pour le montant de ce plafond concernant les documentaires, les films de fiction et pour l’animation.
Quoiqu’il en soit, les sommes en jeu sont considérables, le bilan 2012 du CNC souligne que “le total accumulé des devis des 121 films (ceux ayant fait l’objet d’une demande d’agrément provisoire en 2012) s’élève à 734,50 M € et les films bénéficiant du crédit d’impôt cinéma représente un investissement de 150 M € pour une soixantaine de films. Ce montant atteste que le crédit d’impôt cinéma est un dispositif très avantageux qui influe énormément sur le nombre de production qui voient le jour, et donc sur l’industrie du cinéma.
Le crédit d’impôt cinéma comme un atout compétitif sûr mais difficilement représentatif
Si ce changement semble à lui seul anecdotique, il est surtout symbolique d’une volonté de redonner à la France une compétitivité lui permettant de sauvegarder l’état de l’emploi de son industrie ainsi que les recettes suffisantes pour faire marcher l’ensemble. Cependant, l’étude précise, en reprenant les évaluations tiré du rapport de la Cour des comptes à ce sujet et du rapport du comité Guillaume, que le lien direct entre le crédit d’impôt et « les résultats obtenus », qui peut tout aussi bien signifier le nombre d’entrée que les recettes d’un film, est difficile à établir. On sait que le but principal du crédit d’impôt est de favoriser l’emploi et de préserver les tournages sur le territoire français et qu’en raison de la différence des coûts de production qui existe au sein même de l’Union Européenne, il est effectivement moins cher de tourner dans un pays où le coût du travail est moins élevé. Il est par exemple moins cher de tourner en Roumanie où les tournages sont souvent délocalisés, plutôt qu’en France. C’est la raison pour laquelle le crédit d’impôt cinéma ne concernait avant tout que le personnel technique de l’industrie cinématographique. C’est surtout à ce niveau là que le problème se situe et que l’on sent derrière les propos de Vincent Maraval ; la délocalisation, quoique compréhensible, est déplorable pour le secteur.
A cet égard, l’élargissement du crédit d’impôt cinéma est donc une bonne mesure pour l’industrie du cinéma français Pourtant, un constat général ressort et soulève encore des questions plus profondes en ce sens que les œuvres bénéficiant du crédit d’impôt, une fois en salle, sont tributaires des moyens mis à disposition par l’exploitation, mais ceux-ci sont insuffisants car elles ne sont finalement pas assez visibles par le public et sont donc mal représentées pour la plupart. Le problème est surtout à déplorer principalement pour les œuvres de fictions françaises. Malgré une diminution progressive du succès des films américains en France depuis 2009, les films français rencontrent toujours et encore moins de succès dont la fréquentation moyenne se situe aux alentours 75 millions d’entrées contre 85 par an pour les films américains. Ce constat est un peu la bête noire du cinéma en France, néanmoins, ces derniers contribuent aussi, il faut le dire, au financement de l’industrie nationale par le biais de la taxe spéciale additionnelle prélevée sur les billets de cinéma, et certains bénéficient de surcroit du crédit d’impôt international.
Si d’aucuns contestent un peu vite la légitimité du mécanisme et peuvent trouver dommage que les films américains aient plus de succès que les films français en France, ce fait ne discrédite en rien le fonctionnement du financement du cinéma français qui est considérée dans sa globalité comme un bon système et surtout un modèle unique.
Une hausse certaine de la fréquentation future des salles
Du reste, une autre mesure heureuse a été prise par la ministre de la culture et de la communication, qui allège largement les charges qui pèsent notamment sur les exploitants et les distributeurs, il s’agit de la TVA sur les billets de cinéma. Il faut rappeler que l’impôt indirect, particularité française, est actuellement fixé au taux intermédiaire de 7 % pour les places de cinéma, or la crainte des professionnels que celui ci ne passe à 10 % comme dans d’autres secteurs aurait eu des conséquences lourdes sur leur activité et donc sur le prix total de la place en salle qui atteint déjà un tarif unique déconcertant pour le public. Ce taux actuel est pour ainsi dire plus élevé que pour les autres produits culturels que sont les livres ou les places de théâtre et concerts, une curiosité plutôt gênante surtout quand on clame haut et fort, et à raison, que l’oeuvre cinématographique est avant tout l’emblème de l’exception culturelle française, qu’il n’est pas un produit comme les autres etc… On se demande pourquoi la première activité culturelle française ne bénéficierait elle pas aussi d’un taux à 5 %. Pour ne pas encourager la baisse de la fréquentation des salles, Aurélie Filippetti a confirmé que le taux intermédiaire sera donc de 5 % et en vigueur dès le 1 er janvier 2014, manœuvre saluée expressément par la FNDF et la FNCF.
Pour conclure et qui va sans doute apaiser le débat annuel houleux, si la place des salles de cinéma reste chère à elle seule (sans abonnement et sans quelconque réduction), tout le monde se félicitera de l’entrée en vigueur de la place à 4€ pour les moins de 14 ans tous les jours et dans tous les cinémas de France et de Navarre, cette mesure annoncée lors du 68ème congrès des exploitants et à l’initiative des salles de cinéma se révélera sans doute particulièrement incitative pour les familles et les jeunes. Saluée par Frédérique Bredin, actuelle présidente du CNC, cette décision permettra d’infléchir considérablement vers le haut la fréquentation des salles, de toucher un public d’avenir en retrouvant la vocation initiale du cinéma comme « le loisir le plus accessible et le plus populaire ».
SOURCES
ANONYME., « Une majoration du crédit d’impôt pour les films à petit budget », challenges.fr, mis en ligne le 6 décembre 2013, consulté le 7 décembre 2013, <http://www.challenges.fr/media/20131206.CHA8073/une-majoration-du-credit-d-impot-pour-les-films-a-petit-budget.html>
ANONYME., « Crédit d’impôt cinéma », cnc.fr, consulté le 12 décembre 2013, <http://www.cnc.fr/web/fr/credit-d-impot-cinema1>
FRODON J-M., « De la fortune des vedettes en particulier… » blog.slate.fr, mis en ligne le 29 décembre 2012, consulté le 10 décembre 2013, <http://blog.slate.fr/projection-publique/2012/12/29/de-la-fortune-des-vedettes-en-particulier-et-des-perversions-d%E2%80%99un-bon-systeme-en-general/>
LACHAUSSÉE S., « L’évolution du crédit d’impôt dans le cinéma » journaldunet.com, mis en ligne le 10 juillet 2013, consulté le 12 décembre 2013, <http://www.journaldunet.com/economie/expert/54751/l-evolution-des-credits-d-impots-dans-le-cinema.shtml>