Le 23 décembre 2013, le CSA a publié son rapport sur l’application du décret du 12 novembre 2010 relatif aux SMAd, remis au Premier ministre et à la ministre de la Culture et de la Communication. Selon le CSA le bilan de l’application de ce décret « conduit à recommander une évolution du cadre juridique applicable aux SMAd. » Il affirme notamment que la compétitivité des SMAd doit être améliorée. Cela doit passer par un réaménagement de la chronologie des médias. Cette proposition n’est cependant pas innovante, elle avait déjà été formulée dans le cadre du rapport Lescure en août 2013. Celui ci relevait que « l’avènement du numérique interroge les équilibres de la chronologie », en affirmant que « plusieurs adaptations permettraient d’introduire davantage de souplesse, de favoriser la circulation des oeuvres et de décourager le piratage ». C’est en effet la question du piratage qui motive principalement cette évolution de la chronologie des médias. Au delà du cinéma, cela est particulièrement visible lorsque l’on s’intéresse aux séries américaines. On a pu constater que pour la seconde année consécutive, la série « Game of Thrones » était la plus piratée au monde. Une seule raison explique ce phénomène, les consommateurs ne veulent plus attendre qu’elle soit disponible sur les offres légales, ils y accèdent directement sur des plateformes de téléchargement illégal ou encore via le streaming.
Dans ce contexte le rapport Lescure proposait donc d’avancer les fenêtres de vidéo à la demande pour que l’actuelle chronologie des médias ne soit plus un frein aux envies des consommateurs. C’est cette idée qui a été reprise par le CSA dans son rapport pour « créer un environnement concurrentiel favorable aux SMAd ».
Une adaptation nécessaire
Dans ce rapport le CSA fait donc un ensemble de propositions. Ces propositions concernent les vidéos à la demande à l’Acte, les vidéos à la demande par abonnement mais également la période de gel des droits pendant la fenêtre de diffusion. Dans l’ensemble de ses propositions le CSA a pris en considération le principe de proportionnalité entre les investissements consentis dans la production et la fenêtre de diffusion autorisée. Ce principe permet d’adapter la chronologie des médias en fonction de l’importance des investissements de tel ou tel éditeur de service. Un éditeur qui aura financé une part de la production du film pourra bénéficier d’une fenêtre de diffusion plus tôt.
Concernant la vidéo à la demande à l’acte, le CSA affirme que le délai de quatre mois après la sortie en salle, aujourd’hui en vigueur, est trop long. Ce laps de temps a en effet deux conséquences. D’une part il limite les recettes des producteur, puisque la plupart du temps les films ne sont pas exploités en salle pendant 4 mois, ou tirent leurs principaux revenus durant les premières semaines d’exploitation. D’autre part ce délai porte atteinte à l’attractivité des catalogues de vidéo à la demande. En effet le fait de réduire ce délai permettrait de proposer des films plus récents et donc plus attrayants. Pour ces raisons le Conseil, tout comme l’avait déjà fait le rapport Lescure, propose de réduire ce délai à 3 mois. De plus il affirme que pour les films à très faible durée d’exploitation en salle des mesures dérogatoires et expérimentales pourront être mises en place. Là encore on retrouvait déjà cette idée dans le rapport d’août 2013.
Concernant la vidéo à la demande par abonnement, le délai est aujourd’hui de 36 mois après la sortie en salle. Ce délai assez long expliquerait qu’il y ait aujourd’hui une faible percée de la vidéo à la demande par abonnement en France, alors que ce type de consommation est très développé aux Etats Unis par exemple avec Netflix. Le CSA considère que la proposition du rapport Lescure de raccourcir le délai existant à un délai de 18 mois n’est pas opportun. Il propose donc de mettre en place un délai de 24 mois à l’exception des films européens et d’expression original français qui sont préfinancés par un service de VàD par abonnement et les films ayant fait l’objet d’un pré-achat. Pour ces deux catégories de films les délais seront respectivement de 14 mois et de 30 mois.
Ce rapport n’évoque cependant pas le principe de « fenêtre glissante » qui avait été proposé par le rapport Lescure, il se contente d’affirmer que le CSA est favorable à cette proposition. Le rapport Lescure affirmait en effet que ce principe permettrait « à une chaîne en clair d’occuper la fenêtre des 10/12 mois lorsqu’aucune chaîne payante n’a contribué au financement de l’oeuvre, ou à la fenêtre de VàDA de prendre la place de la télévision gratuite, voire de la télévision payante », et donc « d’empêcher que des oeuvres disparaissent pendant plusieurs années des circuits d’exploitation ». C’est donc un atout pour l’oeuvre en elle même, mais également pour les éditeurs de service.
Enfin, le CSA propose d’encadrer le gel des droits. Il affirme que « certaines pratiques contractuelles ont pour effet de soustraire aux offres de vidéo à la demande pour des durées qui peuvent être longues des films porteurs qui étaient précédemment proposés sur les services ». Ces pratiques contractuelles sont en réalité des demandes d’exclusivité de la part de certaines chaines. Actuellement ces exclusivités peuvent courir du 10eme au 48eme mois après la sortie en salle. Le Conseil considère que ces pratiques ne favorisent pas la concurrence, elles doivent donc être encadrées c’est pourquoi il propose de les limiter à quatre semaines.
Une adaptation difficile
L’ensemble de ces propositions paraissent intéressantes. La nécessité d’une évolution de la chronologie des médias est évidente, en effet les différents rapports s’intéressant au cinéma et à la télévision font état de ce constat que ce soit le rapport Lescure, celui du CSA ou encore le rapport Bonnell qui a été récemment publié. Cependant cette chronologie a été mise en place par un accord inter-professionnel du 6 juillet 2009, et les exploitants de salles de cinéma y sont très attachés. Pour beaucoup un délai trop court entre la sortie en salle et la sortie en vidéo à la demande dissuaderait le public de se rendre au cinéma. La fréquentation des salles de cinéma est déjà depuis plusieurs année en diminution, en 2013 cette fréquentation a diminuée de 5,3% par rapport à 2012.
De plus un assouplissement de la chronologie des médias pourrait avoir des conséquences sur le financement des oeuvres. En effet 32% des sources de financement d’un film proviennent d’investissements de la part d’opérateurs télévisuels dans le cadre du pré-achat. Dans l’hypothèse d’un accès au service de VàD plus rapide, les opérateurs n’auront plus d’intérêt à investir dans la production. A ce titre Bertrand Meheut, président du groupe Canal +, et Nonce Paolini, PDG de TF1, ont réagit en publiant un communiqué dans les Echos. Ils affirment que leurs groupes « sont concernés à plus d’un titre : en qualité de diffuseurs, de contributeurs au Fonds de soutien et au financement des oeuvres cinématographiques, d’éditeurs vidéo et de plates-formes de vidéo à la demande ». Selon eux « toute réduction, voire suppression, des exclusivités qu’ils acquièrent devrait être compensée par une révision parallèle de leurs obligations de financement du cinéma ». Ils proposent également de raccourcir à 24 mois le délai entre la sortie en salle et la diffusion par vidéo à la demande par abonnement pour les films français ou étrangers non pré-financés et ayant réalisé moins de 100.000 entrées en salle en France.
Sources :
Olivier Corriez, « Chronologie des médias : le CSA veut réduire le délai pour la VOD », mis en ligne le 27 décembre 2013, consulté le 31 décembre 2013, disponible sur lci.tf1.fr,
Olivier Robillart, « Le CSA veut raccourcir la chronologie des médias pour la VOD », mis en ligne le 24 décembre, consulté le 31 décembre 2013, disponible sur clubic.com
http://www.clubic.com/television-tv/video-et-streaming/vod/actualite-608994-csa-vod.html
Virginie Berger, « ‘Game of Thrones’, série la plus piratée au monde : l’offre légale est quasi- inexistante », mis en ligne le 28 décembre 2013, consulté le 31 décembre 2013, disponible sur leplus.nouvelobs.com
La Direction des études,des statistiques et de la prospective, « Fréquentation des salles de cinéma – Estimations de l’année 2013 », mis en ligne le 4 janvier 2014, consulté le 7 janvier 2014, disponible sur cnc.fr
http://www.cnc.fr/web/fr/frequentation-cinematographique
Bertrand Meheut et Nonce Paolini, « Chronologie des médias : ce que nous proposons », mis en ligne le 8 janvier 2014, consulté le 8 janvier 2014, disponible sur lesechos.fr
http://www.lesechos.fr/journal20140108/lec1_idees_et_debats/0203227183616-chronologie-des-medias-ce-que-nous-proposons-641202.php?xtor=RSS-2244&utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter