Les sénateurs de la commission de la culture, et plus précisément ceux du groupe d’étude “Médias et nouvelles technologies”, ont réuni le 16 janvier 2013 les présidents des principales autorités de régulation des médias et télécommunications pour une table ronde sur « La régulation dans le domaine des technologies de l’information ».
Isabelle Falque Pierrotin (C.N.I.L), Marie-Françoise Marais (Hadopi), Olivier Schrameck (C.S.A), et Jean-Ludovic Silicani (Arcep) se sont trouvés exceptionnellement réunis, pour répondre aux questions de Catherine Morin-Desailly, présidente du groupe d’étude. Ceux-ci ont été consultés sur :
- La régulation qu’ils exercent et ses évolutions souhaitables.
- Les liens de leur autorité avec les autres structures administratives de régulation, les thématiques communes.
- Leur vision de la gouvernance globale de la régulation à l’ère du numérique (« celui-ci ayant progressivement et devant définitivement absorber toute industrie et toute activité »).
Cette table ronde intervient dans un contexte de questionnements quant au projet de « Grande loi audiovisuelle » annoncé par Aurélie Filipetti. La ministre affirme qu’il comportera le transfert des missions de l’Hadopi au C.S.A. Mais, devant être déposé à l’origine en novembre 2013, il a été ajourné une première fois, puis désormais remis à avril prochain. Pour certains, il ne sera pas présenté avant l’automne.
Si les effets de la convergence numérique peuvent faire apparaître pertinente l’absorption de l’Hadopi par le C.S.A, le récent échec d’une fusion CSA – Arcep peut toutefois susciter une mise en question d’un rapprochement entre autorités de régulation.
Les sénateurs ont pu juger bon d’interroger les principaux intéressés d’un point de vue interne que sont les présidents de ces autorités. La régulation est aujourd’hui un problème qui peut sembler très opaque ou incunable, tant l’avancée foudroyante des technologies bouleverse les repères. Leur expertise de terrain est ici requise.
Les présidents se sont prêtés au jeu, chacun s’exprimant en une quinzaine de minutes, répondant aux questions exposées plus haut. Si la consultation s’est effectuée en écho à la fusion hadopi-csa, elle a été l’ occasion de recueillir les visions du net et de la régulation, de chacun des présidents. Ils se sont exprimés chacun à leur tour, chacun donnant sa vision personnelle et élaborée de la régulation et des ses enjeux.
Des interactions limitées avec les autres autorités, un besoin d’outils, de pédagogie, et d’une Europe forte en matière de régulation, pour I. Falque-Pierrotin de la C.N.I.L.
Mme Falque-Pierrotin s’est exprimée en premier. Elle a brièvement rappelé les missions de la C.N.I.L par rapport aux données personnelles. Insistant sur le fait que celle-ci n’était pas liée à une technologie particulière et était clairement transversale par rapport aux secteurs d’activité. Elle défendra que « la protection des donnée n’est pas un frein à l’économie mais au contraire devient un critère pour le consommateur ».
Elle évoque son besoin d’outil d’interventions.
Elle n’évoquera que très peu ses interactions avec ses homologues confessant qu’elle a « peu d’interactions sur ses outils standards ».
Sur l’avenir de la régulation, elle insistera sur deux points principaux que sont la pédagogie : « Le premier niveau de régulation qui existe est au niveau de chacun d’entre nous », dira-t-elle, et le très fort enjeu international : à l’évocation de sa récente victoire face à Google, elle décrit l’importance d’alliances telles que le G29, pour contrer le risque de perte de l’influence de l’Europe dans un univers numérique dominé pour l’instant par « les concepts américains ».
Un besoin d’expertise, un Hadopi indépendant, et priorité à l’essor économique dans un Internet “qu’on ne régule pas”, pour M-F Marais.
Marie-Françoise Marais, au nom de l’Hadopi, conçoit les différentes autorités comme ayant « des champs différents, et des métiers différents ». Elle concédera seulement quelques problématiques de fond communes.
Visée à titre principal par les hypothèses de fusion , Mme Marais défend l’indépendance de l’Hadopi. Elle souhaite « une poursuite de sa spécialisation ». La forte rationalisation économique et les performances de l’Hadopi rentrant dans son argumentation.
Elle perçoit également que la transfert des missions de l’Hadopi « n’apporterait aucun moyen nouveau au C.S.A » et qu’ « Hadopi n’est pas une porte d’entrée vers la régulation des contenus sur Internet ».
A plusieurs reprises, elle vante les mérites de l’ « expertise ». Pour elle la nouveauté du phénomène numérique demande bien d’avantage d’observation, de recul ; la priorité étant de ne pas stopper la croissance d’internet. La présidente semble donc avoir de fortes préoccupations économiques.
Elle semble exprimer une vision du net audacieuse, et reste prudente sur la régulation souhaitée. Elle ira plus loin, puisque pour elle « On ne régule pas Internet » !
Malgré tout, comme son homologue de la C.N.I.L, celle-ci appuiera la nécessité de développer des outils, mais intervenant en réponse à une observation accrue. Elle affirmera cependant qu’une régulation à l’échelle communautaire est « indispensable ».
Au niveau des relations entre autorités elle dira simplement « souhaiter poursuivre les échanges entre autorités de façon régulière. »
Une légitimité reconnue pour le C.S.A, mais la nécessité de redéfinir les contours de son intervention.
Pour Olivier Schrameck, les dimensions socio-culturelles et économiques de ses missions sont « étroitement liées ». Il dira d’ailleurs que la dimension économique de la régulation du C.S.A prend de plus en plus d’importance, et qu’elle est de plus en plus reconnue.
Il concède n’avoir « pas d’ambition de réguler le net » et simplement le besoin de redéfinir les contours de son intervention, les directives européennes datant.
Sur les rapports avec les autres autorités de régulation, Olivier Schrameck est le plus ouvert et le plus loquace des présidents auditionnés. Au sujet de ses rapports avec l’Arcep, le président du C.S.A affirme que « les sujets d’interêt commun sont amenés à se multiplier, à mesure que convergent l’audiovisuel et l’internet ». Avec la C.N.I.L, il dit partager des préoccupations importantes : la protection des données personnelles, notamment pour les S.M.A.D, et l’éducation aux médias.
Au sujet du transfert des missions de l’Hadopi au C.S.A, celui-ci le jugera tout-à-fait tout-à-fait « pertinent ». Il mettra en avant le lien direct entre la mission de soutien à la qualité et à la diversité des programmes propre du C.S.A, avec le développement de l’offre légale, pour l’instant échu à Hadopi. Il exposera également la possibilité d’une simplification de régulation des mesures techniques de protection.
Pour les défis de la régulation, le président évoquera une prise en compte des enjeux de la distribution, pour lui fondamentaux, et les problèmes de territorialité.
Fidèle à son rôle, le C.S.A évoquera des contenus par rapport auxquels « on ne peut pas et ne doit pas rester indifférents », comme les atteintes à l’image des femmes, et à la dignité de la personne humaine, soulignant la nécessité pour lui de repenser les formes d’interventions et les contours des contenus régulables, déjà plus d’actualité.
Un ARCEP “outsider” et une convergence relative pour Jean-Ludovic Silicani
Jean-Ludovic Silicani, lui, restera « campé » sur des positions claires, à l’instar de son refus de fusionner avec le C.S.A il y a quelques mois.
Il décrira son rôle comme « totalement indépendant des contenus » et insistera sur la mission historique de son institution : la libéralisation du monopole des télécommunications.
Il insiste donc sur le fait que ses compétences ne concernent que les « tuyaux ». A ce titre, il se sentira le devoir d’écarter toute ambiguité en limitant le phénomène dit de convergence numérique, à une convergence des réseaux uniquement : une forme de neutralité qui permet de faire transiter tous les contenus par tous les réseaux, qu’ils soient fixes ou mobiles (il prévoit qu’ il pourrait même y avoir une régulation des réseaux unique d’ici 2020). Mais au niveau des contenus, il ne caractérise pas une convergence, mais décrit une mise en concurrence des formats audiovisuels classique avec des nouveaux formats non « packagés », ce qui en fait ne le regarde absolument pas !
Il accepte les interactions avec les autres autorités mais refuse de mêler les problématiques propres aux réseaux et celles propres aux contenus. Un rapprochement entre les deux au niveau de la gouvernance pourrait même pour lui être « dangereux ».
,eEnfin, comme les présidents des autres autorités, il appelle la nécessité d’une gouvernance internationale. Il conteste la légitimité des Etats-Unis, à travers une entreprise, à gouverner l’internet mondial, et estime prioritaire d’ y associer l’Europe et les pays émergents.
Quelques grandes lignes communes dégagées :
Si Chacun semble défendre une vision de la régulation propre à ses objectifs, presque tous s’accordent sur ces points fondamentaux :
Il ne faut pas qu’une grande autorité omnisciente régule Internet, car ce pourrait être dangereux, mais il faut plusieurs autorités de régulation spécialisées, fortes.
Il y a un besoin impérieux de penser la régulation à l’échelle internationale.
La mise en place de plateformes communes et d’échanges réguliers entre autorités de régulation est souhaitable et positive.
Sur le transfert des missions de l’Hadopi au C.S.A : Malgré le report de la loi, il semblerait selon les dernières déclarations de la ministre, que le transfert se confirme.
Sources:
SENAT, travaux de commissions, Table ronde “La régulation dans le domaine des technologies de l’information”, 16 janvier 2014.
BERNE (X), “Le CSA, la Hadopi, la CNIL et l’ARCEP entendus ce matin au sénat”, pcinpact.com, mis en ligne le 16 janvier 2014, consulté le 16 janvier 2014.