Le Tribunal de Grande Instance d’Aix-en-Provence a condamné, par une ordonnance de référé du 24 décembre 2013, la société JMB, exerçant sous le nom commercial de « Divorce Discount », à retirer de son site internet divorce-discount.com ses offres de services de procédure simplifiée de divorce et son slogan « N°1 du divorce en France », ainsi qu’à interrompre toute activité de rédaction d’acte de divorce et à cesser tout activité de consultation juridique, sous astreinte de 2000€ par infraction constatée.
Un divorce « low cost » proposé aux couples désunis
La société JMB, exerçant donc son activité depuis août 2012 sous le nom commercial de Divorce Discount, a été poursuivie premièrement pour démarchage car elle proposait à des couples souhaitant se séparer, et déjà en accord sur tout, de procéder à un divorce au coût extrêmement allégé de 300€ environ par personne, soit 600€ pour le couple. En un peu plus d’une année, la société avait traité environ 300 dossiers.
Le principe du site était très simple et a été clairement décrit comme suit pas le président du tribunal d’Aix-en-Provence, Michel ALLAIX. La société passait un « contrat de coopération » avec des « avocats partenaires », lesquels s’engageaient alors à « apposer [leur] tampon sur chaque en-tête de chaque requête, la signer, faire de même pour chaque convention de divorce, adresser l’ensemble au greffe du tribunal compétent et solliciter une date d’audience, se rendre à l’audience, vérifier les identités de chaque client, les assister à l’audience d’homologation, faire signer aux époux un acte d’acquiescement en deux exemplaires à la sortie de l’audience et les retourner à JMB en même temps que le jugement de divorce ».
Le site expliquait par ailleurs dans l’onglet « fonctionnement » qu’il suffisait aux clients de « téléphoner au numéro indiqué sur le site, fournir au “conseiller clientèle” en ligne les éléments administratifs nécessaires à l’établissement de la procédure de divorce par consentement mutuel, qui les [transmettrait] à l’avocat en charge de la rédaction de la convention, et que le client [retrouverait] directement à l’audience au jour de celle-ci, l’avocat étant directement réglé par divorce discount ».
Ainsi, il était tout à fait possible pour un couple de ne jamais rencontrer l’avocat en charge de l’affaire avant le jour de l’audience. Pour le tribunal, ne pas rencontrer un client avant l’audience prive alors l’avocat d’une «personnalisation indispensable de la convention de divorce», ce qui n’est pas envisageable. Ce n’est donc plus le démarchage que l’on a reproché à ce site, mais le fait que les requêtes et les conventions de divorce étaient rédigées directement par la société et non pas par un avocat qui se contentait d’homologuer les actes par son tampon. Pour le président du tribunal d’Aix, il s’agit d’un « trouble manifestement illicite » tant pour « les justiciables clients […] que pour la profession d’avocat et […] l’Institution Judiciaire » et qu’il convient de faire « cesser par la voie du référé ».
Une dépréciation de l’image de l’avocat reprochée au site
La procédure accélérée proposée par le site se déroulait de telle façon qu’un premier avocat, dit avocat-rédacteur, s’occupait de rédiger les formalités du divorce, tandis qu’un autre, l’avocat-postulant, allait à l’audience présenter le dossier au juge. Le site comptait entre trois et quatre avocats-rédacteurs, tandis que pas moins de quatre-vingts avocats s’étaient proposés pour être avocats-postulants, correspondant à la « couverture de la moitié des barreaux de France » selon Lextimes.
Cette organisation est contestée par le Tribunal d’Aix-en-Provence qui n’admet pas qu’on puisse faire reposer les responsabilités des conséquences du divorce sur un avocat qui n’a même pas rédigé lui-même l’acte. Pour Michel ALLAIX, il s’agit d’une dégradation pure et simple de l’image du métier d’avocat.
La société se défend de n’accepter que les dossier des couples déjà « en accord sur tout », et étant mariés sous le régime de la séparation des biens, rendant normalement les formalités plus simples puisque chaque époux conserve de façon exclusive ce qu’il a acheté au cours du mariage. Mais quoi qu’il en soit, pour une procédure de divorce par consentement mutuel, et même quand les protagonistes se sont déjà entendus sur les conditions de leur séparation, la loi prévoit le recours obligatoire à un avocat pour des raisons évidentes de conseil. Le rôle de l’avocat est alors d’informer ses clients sur les conditions mais surtout les conséquences d’un divorce, ainsi que sur les mesures à prendre, notamment en ce qu’il s’agit des enfants mineurs du couple. Selon le Tribunal de Grande Instance et le Conseil National des Barreaux, priver les clients de ces précieux conseils est contraire à la déontologie du métier. La société se défend pourtant également sur ce point en insistant sur le fait qu’il y a bien conseil de la part des avocats car l’avocat-rédacteur jugera si les éléments d’accord des époux sont concevables ou non auprès d’un juge et en proposera donc la modification le cas échéant.
Divorce discount n’a pas dit son dernier mot
Sans avoir totalement fermé, le site ne comporte plus désormais que trois pages. La première, l’accueil, fait défiler deux photos (une montrant deux alliances déposées sur ce qui semble être un document de divorce, et une autre où l’on peut voir un couple en train de se disputer), au-dessus desquelles un en-tête est apposé avec énoncé « Vous souhaitez être contacté ? Inscrivez votre numéro de téléphone et un conseiller vous rappellera dans les plus brefs délais », la deuxième phrase offrant un lien hypertexte pour entrer son numéro de téléphone. La deuxième page proposée par le site s’ouvre lorsque l’on clique sur l’onglet « Avocats partenaires » sur la banderole située en haut de la page d’accueil. Loin de faire une liste des avocats ayant accepté de travailler pour la société, cette page ne propose qu’un formulaire en ligne pour s’inscrire en tant qu’avocat partenaire afin de devenir un des avocats-rédacteurs. La troisième page enfin, accessible par l’onglet « Contact » donne un numéro à composer pour toute question et propose également un formulaire en ligne que les futurs clients peuvent compléter s’ils souhaitent être contactés.
On constate donc que le slogan « N° 1 du divorce en France » a bien été enlevé selon la demande du Tribunal, et que l’onglet expliquant le fonctionnement des procédures de divorce à travers ce site a également disparu. La société JMB a cependant exprimé le souhait d’interjeter appel de cette décision considérant cette décision de « scandaleuse ». Le responsable de la société, Julien Sanchez, argue que Divorce Discount se contente de constituer des dossiers, uniquement dans le cas de divorce par consentement mutuel et pour les couples mariés sous le régime de la séparation des biens, et de les donner directement à des avocats compétents, qui peuvent ensuite bel et bien conseiller leurs clients en demandant des modifications des conditions du divorce.
Une décision qui s’ancre parfaitement dans le débat actuel
Cette décision trouve parfaitement sa place au cœur du débat actuel engendré par la proposition faite par la ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, début janvier concernant la simplification du divorce par consentement mutuel. En effet, selon le Figaro, pas moins de 54% des divorces prononcés chaque année sont par consentement mutuel. De quoi envisager de faire bouger la loi dans le sens de cette évolution de la société. Cette proposition prend place au sein d’un rapport demandé par le Garde des Sceaux en décembre 2013 concernant « Le juge du XXIème siècle ». Cette réforme propose principalement que ce ne soit non plus le juge qui prononcerait le divorce mais un « greffier juridictionnel » à qui on donnerait des responsabilités accrues. Selon le journal Libération, ce « super-greffier » serait donc en charge « [d’homologuer] (ou pas) la convention de divorce établie par l’avocat des futurs ex-époux » et serait ainsi doté d’une « compétence propre pour le prononcé du divorce par consentement mutuel ».
Le barreau de Paris n’est pas de cet avis et déplore une « déjudiciarisation » du divorce, qui serait une « démission de l’Etat dans la protection de ce qui demeure le plus important des liens de droit », qui ne serait pas opportun de mettre en place si peu de temps après la grande réforme des mariages opérée seulement l’année passée. Les magistrats reprochent enfin à cette proposition le fait que le greffier ne présenterait absolument pas les mêmes garanties qu’un juge et n’aurait pas ce « statut de protecteur » propre au juge.
Reste à savoir si ce qui est défendu par le barreau et les magistrats est bien la déontologie du métier d’avocat et l’importance du contact humain dans une telle procédure, ou si un autre objectif se cache derrière ce rejet, celui de l’argent qui leur est pour le moment réservé puisqu’on ne peut faire autrement que passer par un avocat et un juge pour divorcer.
Référence de l’arrêt : TGI Aix-en-Provence, Conseil national des barreaux c/ société JMB, 24 décembre 2014
SOURCES :
ALLEGRA (A.), « Divorce-discount.com interjette appel de la décision le condamnant à cesser toute activité », Lextimes, www.lextimes.fr, publié le 19 janvier 2014, consulté le 24 janvier 2014, consultable sur < http://www.lextimes.fr/4.aspx?sr=1142 >
ANONYME, « Divorcer sans juge si on est d’accord: un rapport fait polémique », Libération, www.liberation.fr, publié le 3 janvier 2014, consulté le 16 janvier 2014, consultable sur < http://www.liberation.fr/politiques/2014/01/03/divorce-sans-juge-a-ce-stade-il-ne-s-agit-que-de-sujets-ouverts_970401 >
ANONYME, « Le CNB et l’ordre des avocats d’Aix-en-Provence obtiennent la condamnation du site « divorce-discount.com » », Conseil National des Barreaux, cnb.avocat.fr, publié le 15 janvier 2014, consulté le 22 janvier 2014, consultable sur < http://cnb.avocat.fr/Le-CNB-et-l-Ordre-des-avocats-d-Aix-en-Provence-obtiennent-la-condamnation-du-site-divorce-discount-com_a1873.html >
ANONYME, « Divorce-discount.com sommé de cesser ses activités », Legalis, www.legalis.net, publié le 16 janvier 2014, consulté le 18 janvier 2014, consultable sur < >
ANONYME, « Divorcediscount.com condamné à cesser ses activités », Libération, www.liberation.com, publié le 15 janvier 2014, consulté le 22 janvier 2014, consultable sur < http://www.liberation.fr/societe/2014/01/15/divorcediscountcom-condamne-a-cesser-ses-activites_973068 >
MIGUET (E), « Un site de divorce discount en ligne condamné », Metronews, www.metronews.fr, publié le 16 janvier 2014, consulté le 22 janvier 2014, consultable sur < http://www.metronews.fr/marseille/un-site-de-divorce-discount-en-ligne-condamne/mnap!ivpAH8k3pbRYk/ >