Selon une étude américaine relevée par Slate.com, le réseau social a épluché et récupéré les statuts et commentaires non publiés de millions d’internautes. D’après les gérants de la firme, le but serait d’« améliorer l’expérience des utilisateurs » en essayant de comprendre le phénomène de l’autocensure.
Le comportement de 5 millions d’utilisateurs à la loupe
Le réseau social serait-il prêt à tout pour collecter les données personnelles de ses utilisateurs ?
Chez Facebook, on les appelle les « posts autocensurés ». Qui n’a pas hésité à commenter un article publié par un ami sur Facebook ? Souvent, les internautes s’apprêtent à poster un commentaire ou un statut puis se ravisent en effaçant le contenu. Effacer est-il synonyme d’oublier ? Ce n’est pas comme ça que Facebook voit les choses.
Une étude américaine menée par un doctorant et un spécialiste de données chez Facebook a révélé au mois de décembre 2013 que le réseau social conserve tout, même ce qui n’a été publié sur sa plateforme. En résumé, même si l’internaute décide d’effacer ce qu’il a écrit, Facebook est capable de savoir ce qu’il a tapé en récupérant et en étudiant ces données. Le réseau social, considérant que ces messages non postés sont de l’autocensure, est donc capable d’aller très loin pour épier un peu plus le comportement de ses membres.
Ainsi, Sauvik Das et Adam Kramer se sont intéressés au comportement d’autocensure de cinq millions d’utilisateurs du Royaume-Uni et des Etats-Unis de Facebook. Pendant 17 jours, les deux ingénieurs ont regardé les statuts et commentaires non postés de ces internautes afin d’« enregistrer la présence ou l’absence de texte » et non pas la nature et le contenu même des frappes, assurent ces deux derniers.
Pour comprendre ce phénomène de l’autocensure, Facebook a envoyé un code au navigateur des utilisateurs, lequel analyse automatiquement ce qui est écrit et rapporte ensuite les métadonnées au réseau social. Facebook tient à préciser que ce qui est conservé et analysé ne sont que les métadonnées, c’est-à-dire l’heure à laquelle le message est publié ou si la publication comporte un lien, par exemple.
Les auteurs de ce travail expliquent qu’ils ont utilisé seulement le texte dédié aux statuts et celui dédié aux commentaires et que le contenu retenu était celui qui dépassait les cinq caractères tapés. Par la suite, ils ont considéré le message comme autocensuré lorsque l’utilisateur ne l’avait toujours pas publié dix minutes après son écriture. Enfin, il est précisé que cette étude a été faite de façon anonyme.
L’observation montre que le phénomène d’autocensure est très fréquent puisque 71% des profils étudiés ont au moins une fois autocensuré leurs messages pendant les 17 jours. On peut penser que les 29% restants n’ont pas eu l’occasion de s’autocensurer pendant la courte période de l’étude.
Seulement, on peut se demander comment tout ce qui a été écrit, puis effacé, et enfin sauvegardé est utilisé par la suite par Facebook ? En effet, on se doute fortement que ces données peuvent être exploitées à toutes fins utiles, commerciales ou non, par l’entreprise.
Une pratique non mentionnée dans la charte d’utilisation de Facebook
Or, la politique d’utilisation des données de Facebook ne mentionne pas les éléments non partagés puisque la charte dit que le réseau social reçoit « des données à votre sujet à chaque fois que vous entreprenez une action dans Facebook ». Comme action, on entend la consultation du profil de quelqu’un ou encore la publication d’une vidéo, mais rien ne dit que Facebook récupère et conserve les messages non publiés. La charte ne mentionne que les données bel et bien partagées par les utilisateurs dans la rubrique « Informations reçues et leur utilisation ». Les utilisateurs du réseau ne s’attendent donc pas à ce que leurs messages non publiés puissent être collectés.
Cependant, Facebook assure que les conditions d’utilisation du réseau social précisent et préviennent à quel moment ce dernier observe les messages postés ou non par l’utilisateur, bien qu’aucun texte de la charte ne le mentionne. Les équipes, quant à elles, pour leur défense, affirment que le fait de ne pas publier un message est une interaction comme une autre et doit être mise à leur disposition. Des affirmations qui sont loin de convaincre. Cette étude pourrait donc avoir usé d’une pratique illégale au regard des conditions d’utilisation de Facebook.
Par ailleurs, bien qu’il soit assuré que l’étude n’analysait pas le contenu des textes écrits mais bien le fait qu’un texte soit écrit, comme le dit le porte-parole de l’association de défense des droits et libertés des citoyens sur internet, il suffit simplement de faire une analyse syntaxique pour savoir ce que contiennent les messages. Et quand la porte-parole de Facebook est interrogée sur l’éventuelle future étude du contenu des statuts, celle-ci répond que ça n’est pas prévu à l’heure actuelle. Il est donc fortement probable que dans un avenir plus ou moins proche Facebook puisse entreprendre une telle observation.
De plus, les activités de Facebook pourraient être remises en cause notamment lorsque l’on sait la collaboration entre le réseau social et la NSA dans la surveillance des utilisateurs. En effet, lorsqu’en juin 2013 on a appris que l’agence américaine avait libre accès à toutes les données du réseau qu’elle souhaite, il semble légitime d’exprimer des craintes quand à l’utilisation des informations que Facebook conserve. Le New-York Times a même révélé le 19 juin dernier que le chef de la sécurité et de la protection des données de Facebook était recruté par la NSA. Encore une fois, une affaire qui relate le non-respect de la vie privée des utilisateurs qui sont en droit de demander où vont leurs données et qui met à mal une fois de plus les pratiques de Facebook.
Une étude pour éviter l’autocensure et permettre davantage de croissance
L’objectif de Facebook dans cette étude réside dans le fait de mesurer la confiance des utilisateurs envers le réseau social. En effet, il n’est pas dans l’intérêt de Facebook que l’autocensure soit d’usage sur sa plateforme, son but étant que le plus possible de messages soient postés afin que le plus possible d’utilisateurs y passent du temps.
Ainsi, l’identification claire des lecteurs potentiels d’un post est déterminante pour l’acheminement de cette étude et les informations que Facebook peut tirer de ces messages non publiés sont multiples. En effet, sans connaître le contenu de ces post, le réseau social peut être capable de dire à quelle personne l’utilisateur a envie de parler mais à qui il n’ose pas envoyer un message.
La directrice de communication de Facebook insiste donc sur le fait que le travail réalisé consiste en une étude de comportement pour mieux cerner les membres du réseau et donc comprendre à quelle fréquence les gens décident de ne pas partager un statut et pourquoi. Elle ajoute que les contenus ne sont ni stockés, ni archivés.
Tandis que de nombreuses personnes décident de ne pas publier car elles se rendent compte que cela n’intéresse qu’une partie de leurs amis, Facebook tient justement à réduire cette autocensure afin que ses utilisateurs partagent le plus possible, puisque que « moins les utilisateurs partagent, moins Facebook a de la valeur ». Et à l’inverse, plus les utilisateurs publient et plus Facebook acquiert de la valeur. On sait très bien que le réseau est financé par la publicité personnalisée, qui s’adapte en fonction de ce que publie l’internaute. Selon l’étude, le réseau social souhaiterait donc améliorer son système en diminuant l’autocensure pour augmenter ses revenus et poursuivre sa croissance. Et si par la suite les équipes de Facebook décident d’éplucher le contenu de ces messages dits « fantômes », elles pourront avoir accès à des informations qui enrichiront le profil de chaque utilisateur afin d’en savoir encore un peu plus sur chacun d’eux et de pouvoir répondre à leurs demandes.
Dès lors, Jérémie Zimmermann, co-fondateur de la quadrature du net, soulève une étude marketing permettant d’améliorer la rentabilité de l’entreprise californienne. En connaissant davantage ce que tape les membres, Facebook peut vendre ces données aux publicitaires qui ciblent leurs produits en fonction de chaque profil. Le but est toujours d’établir des profils en connaissant les gouts, les préférences ou habitudes de chacun.
Et Facebook n’est pas le précurseur de ce genre d’observations puisque cette étude de contenu est déjà utilisée chez Gmail qui enregistre automatiquement les messages non envoyés de ses utilisateurs, lesquels peuvent les retrouver rapidement. A savoir ce que Google fait de ces données.
On notera également que des soupçons pèsent sur le rôle de la NSA dans cette étude, laquelle pourrait en être à l’origine. Jérémie Zimmerman continue en supposant que les utilisateurs se savent surveillés, depuis la révélation des relations entre l’agence américaine et Facebook, et donc pourraient avoir tendance à s’autocensurer plus facilement. Facebook chercherait-il à connaître l’impact de ces révélations sur ses membres ?
On se doute également que la prochaine étape des équipes du réseau social sera d’étudier ce que les internautes refusent de poster et pourquoi, bien qu’elles assurent qu’il n’en est pas question pour le moment. Alors, à quand est-ce que Facebook analysera nos propres pensées et décryptera ce que nous ne voulons pas partager ?
Par cette étude, Facebook renforce les capacités de son intelligence artificielle en travaillant davantage pour en savoir plus sur son milliard d’abonnés. Et ce n’est que le début d’un long travail.
Un laboratoire de recherche pour renforcer les capacités de l’intelligence artificielle
On connaît la politique de Facebook depuis plusieurs années et notamment cette tendance de vouloir davantage se renseigner sur ses utilisateurs, et l’étude qui a été menée par les deux ingénieurs en est une illustration.
De manière générale, Facebook travaille pour devenir le meilleur ami de ses abonnés et c’est en améliorant les capacités de son intelligence artificielle qu’il y parviendra. D’ailleurs, la firme californienne vient tout juste d’embaucher un professeur français spécialisé dans l’intelligence artificielle et pionner de la discipline, Yann LeCun, qui va être chargé de renforcer celle de Facebook afin de le rendre plus intelligent et pertinent. Ce dernier a affirmé que des « classements de publications dans un certain ordre », ou décider quelles publicités vont être affichées, peuvent permettre d’être plus pertinent.
On sait que Facebook est confronté à devoir à la fois poursuivre sa croissance et garder ses utilisateurs actifs. Pour ce faire, le défi est entre autre de réussir à trouver un équilibre dans la quantité de publicités diffusées puisqu’il doit faire croitre ses revenus mais ne doit pas pour autant faire fuir ses membres. Par ailleurs, même si Facebook utilise déjà des algorithmes d’intelligence artificielle, le but est de les appliquer aux photos, vidéos et autres données multimédias. C’est pourquoi le réseau social a investi massivement dans ce domaine en se munissant d’une grosse équipe de recherche, qui travaillera dans un laboratoire d’intelligence artificielle à New York et qui permettra à Facebook d’avoir sa propre technologie. Le but premier sera tout d’abord d’améliorer les algorithmes existants puis par la suite de s’attaquer à une meilleure sélection s’agissant des photos, des vidéos ou encore des liens hypertextes.
Dès lors, on peut se demander jusqu’où sera capable d’aller Facebook dans la recherche toujours plus accrue de la connaissance de ses abonnés au détriment de la protection des données personnelles et de l’identité numérique de ces derniers?
Sources
- SZADKOWSKI (M.), « Facebook peut utiliser tout ce que vous écrivez, même si vous ne le publier pas », Le Monde technologies, publié le 17 décembre 2013, consulté le 21 décembre 2013, disponible sur : http://rezonances.blog.lemonde.fr/2013/12/17/facebook-peut-utiliser-tout-ce-que-vous-ecrivez-meme-si-vous-ne-le-publiez-pas/
- GARCIA (J.), « Facebook enregistre même les messages que vous effacez », L’express- High tech, publié le 16 décembre 2013, consulté le 21 décembre 2013, disponible sur : http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/facebook-enregistre-meme-les-messages-que-vous-effacez_420581.html
- LORENZO (S.), « Autocensure sur Facebook : le réseau social étudie ce que vous ne voulez pas publier », Le Huffington Post, publié le 15 décembre 2013, consulté le 21 décembre 2013, disponible sur : http://www.huffingtonpost.fr/2013/12/15/auto-censure-facebook-reseau-social-etudie-voulez-pas-publier_n_4448934.html