Au printemps 2013, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a été saisie par la députée européenne Madame Françoise Castex au sujet du développement d’un nouvelle tendance sur les sites de e-commerce : le IP tracking. Saisine faisant suite à une question préalablement posée par cette même députée à la Commission européenne le 29 janvier 2013.
Qu’est ce que l’IP tracking ?
L’IP tracking consisterait pour des sites de e-commerce, et plus particulièrement pour des sites de vente de billets de transport, de conserver les adresses IP des internautes qui consultent le prix des billets sans faire de transaction. Cette conservation de donnée personnelle permettrait à ces sites de proposer un prix supérieur sur le même produit à l’internaute réitérant sa connexion au site.
L’exercice d’une telle pratique, si il était avéré, mettrait en jeu diverses problématiques juridiques :
Tout d’abord en ce qui concerne la protection des données personnelles. En effet, comme nous l’avons dit précédemment, l’adresse IP est une donnée personnelle ; selon la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 en son article 6, les données doivent être collectées et traitées de manière loyale et licite imposant au responsable du traitement un principe de transparence lors de ce traitement. Si tel n’est pas le cas, cette règle de droit trouve son versant dans le droit pénal : « Le fait de collecter des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende » (article 226-18 du Code Pénal).
Outre cette question de la protection des données personnelles au regard de la pratique de l’IP tracking, il est opportun de mettre en évidence une autre problématique : l’augmentation du prix du billet. Si tel était le cas, cette pratique pourrait être définie comme commercialement déloyale et s’appliquerait dès lors l’article L120-1 du Code de la Consommation. La pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service.
Face à ces éventuels atteintes, la CNIL a réagi promptement et a mené une enquête en étroite collaboration avec la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) afin de constater si il y avait pratique de l’IP tracking par ces sites.
Les conclusions de l’enquête
Le 27 janvier, la CNIL et la DCCCRF ont rendu leurs conclusions sur l’enquête qu’elles ont réalisé. Pour ce faire, plusieurs sites français d’e-commerce ont été mis sous contrôle afin de vérifier si des modulation des prix étaient pratiquées grâce au système d’IP tracking.
Dans leur communiqué, les instances ont déclaré que ces contrôles « n’ont pas conduit à constater de pratique consistant à moduler les tarifs affichés en fonction de l’adresse IP de l’internaute ». Cependant, selon ces deux institutions, il existe bel et bien une pratique de modulation des prix :
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« des pratiques basées sur le nombre de places offertes ou restant dans l’avion ou le train concerné. Cette politique de tarification (parfois dénommée “Yield Management”) conduit, par exemple, à moduler le prix d’un billet selon la date de son achat ou le taux de remplissage ;
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une pratique conduisant à moduler les frais de dossier selon l’heure à laquelle l’internaute effectue sa réservation ; l’internaute bénéficie ainsi de frais plus avantageux lorsqu’il achète un billet lors des ” heures creuses ” déterminées par le commerçant. »
Ces différentes pratiques permettant de cibler certaines offres pour le consommateur, appelées « marketing comportemental », ne font pas écho de l’utilisation des adresses IP.
Ces conclusions ne sont pas du goût de l’eurodéputée Françoise Castex à l’origine de cette enquête. Dans un communiqué en date du 27 janvier intitulé « IP tracking : Circulez, y’a rien à voir ! », la parlementaire européenne estime que cette enquête ne lève pas le doute sur les pratiques commerciales des opérateurs de transports, pratiques générant une concurrence déloyale.
Si l’on en croit la députée, cette affaire ne va pas s’arrêter aux conclusions de la CNIL et de la DGCCRF puisque la commission européenne a été saisie aux fins de mener une autre enquête mais surtout de proposer, éventuellement, une révision de la directive 2005/29 relative aux pratiques commerciales des entreprises vis à vis des consommateurs.
En tout état de cause, si ces entreprises utilisent les données de navigation des internautes à des fins commerciales, le respect du règlement renforçant la protection des données personnelles, voté le 21 octobre dernier par la commission des libertés civiles du Parlement européen, pourra être remis en cause.
SOURCES
ANONYME, « E-commerce, pas de flagrant délit d’IP tracking selon la CNIL et la DGCCRF », lexpansion.lexpress.fr, publié le 27.01.2014, consulté le 27.01.2014
Disponible sur : http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/e-commerce-pas-de-flagrant-delit-d-ip-tracking-selon-la-cnil-et-la-dgccrf_425618.html
CNIL, « IP tracking, conclusions de l’enquête conjointe menée par la CNIL et la DGCCRF », cnil.fr, publié le 27.01.2014, consulté le 27.01.2014
Disponible sur : http://www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/ip-tracking-conclusions-de-lenquete-conjointe-menee-par-la-cnil-et-la-dgccrf/
CNIL, « IP tracking, collaboration en cours entre la CNIL et la DGCCRF », cnil.fr, publié le 28.06.2013, consulté le 27.01.2014
Disponible sur : http://www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/ip-tracking-collaboration-en-cours-entre-la-cnil-et-la-dgccrf/