Selon un sondage de l’IFOP (institut français d’opinion publique) pour le Journal du Dimanche, la probable liaison amoureuse entre le Président de la République, François Hollande et l’actrice Julie Gayet passionne l’opinion publique. En effet, plus de trois quarts des Français, soit précisément 77 % estiment qu’il s’agit d’une « affaire privée qui ne concerne que François Hollande » contre seulement 23% d’entre eux qui pensent que c’est une « affaire publique, dont la vie du Président doit concerner tous les Français ».
Ainsi, la division de l’opinion publique suite aux révélations dans le magasine Closer apparu sur internet et dans les kiosques le vendredi 10 janvier 2014 pose une nouvelle fois la question de la frontière entre vie publique et vie privée pour les personnalités politiques. Sont-ils considérés comme de simples citoyens français ou possèdent-ils un statut particulier du fait de leur fonction ? Et de ce fait, doivent-ils intéresser les Français lorsqu’il s’agit de leur vie privée ?
L’hebdomadaire Closer a, en effet, publié une série de photos montrant un homme masqué par un casque, franchissant la porte d’un immeuble, puis des photos de la comédienne Julie Gayet, sortant du même bâtiment, alors qu’il était, à cette date, officiellement en couple avec la journaliste, Valérie Trierweiler. La présence, à proximité, d’un garde du corps issu du groupe de sécurité de la présidence de la République ainsi que les chaussures portées par cet individu, en l’occurrence les mêmes que celles de François Hollande, ont montré qu’il s’agissait, bel et bien, du chef de l’Etat. Par ailleurs, la directrice de l’hebdomadaire Laurence Piau a souligné, dans un communiqué à l’AFP, la véracité de telles informations « les photos ont été prises sur plusieurs dates, par la présence répétée du photographe qui affirme avoir vu le Président ». Enfin, François Hollande n’a pas démenti après la parution de ces révélations.
« Les affaires privées se traitent en privé »
Lors de la conférence de presse semestrielle en date du 14 janvier dernier, François Hollande n’a pas voulu s’étendre sur sa vie privée et a simplement déclaré « les affaires privées se traitent en privé ». Dans un communiqué à l’AFP, le Président, en son nom propre, avait au préalablement dit « déplorer profondément les atteintes au respect de la vie privée auquel il a droit comme tout citoyen » avant d’ajouter qu’il « examine les suites, y compris judiciaires, à apporter à cette parution. »
De Marine Le Pen à Harlem Désir en passant par le Premier ministre, la quasi-totalité de la classe politique a soutenu le Président dans sa volonté de faire respecter sa vie privée, sans doute par peur, un jour, d’être confronté à leur tour à une telle situation.
L’article 9 du code civil prévoit que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». En aucun cas, il est fait une distinction suivant l’importance publique d’une personne, ou de sa notoriété. Ainsi, pour la directrice de Closer, il peut en effet y avoir des suites judiciaires sur ce terrain du respect de la vie privée et corollairement sur le droit à l’image car les photos n’ont pas été autorisées par les deux personnes concernées. Aujourd’hui, aucun Président français n’a encore assigné la presse sur le droit à la vie privée.
Sur le plan pénal, l’article 226-1 du code pénal fait une infraction de « l’atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui lors d’une captation, d’un enregistrement ou d’une transmission au public sans le consentement de l’auteur de paroles ou d’images privées ou confidentielles ». Cette infraction est punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Mais, selon Michel Lascombes, professeur agrégé de droit public à l’institut d’études politiques de Lille, François Hollande a « les mêmes droits qu’un citoyen lambda. Néanmoins, aujourd’hui les personnages publics ont une vie privée plus restreintes que le commun des mortels. »
La primauté du droit du public à être informé sur un sujet d’intérêt général
La difficulté que la justice devra se poser en mars prochain est de savoir si une publication litigieuse contribue à un débat d’intérêt général ou si son contenu ne sert qu’à des fins de divertissement et donc ne relève que du cadre privé.
Probablement, que le tribunal de Nanterre en charge du dossier s’appuiera sur l’arrêt du 19 septembre 2013 de la Cour européenne des droits de l’Homme qui avait débouté Caroline de Monaco pour des photos publiées à son insu, jugée par cette dernière, attentatoire à sa vie privée. Cet arrêt montrait que « la notion de vie privée est une notion large et que la publication d’une photo interfère dès lors avec la vie privée d’une personne, même si cette personne est une personne publique ». Les juges ont ajouté qu’il existe « des critères pertinents pour la mise en balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d’expression comme par exemple la contribution à un débat d’intérêt général, le lien avec l’activité publique, la notoriété de la personne visée et l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée ou le contenu lui-même ». Il faut y ajouter d’autres éléments comme le fait de représenter la personne publique dans une situation ridicule et dans ce cas là, le droit à l’information ne primera pas.
En l’espèce, comme l’évoque Christophe Bigot, avocat spécialisé en droit de la presse « François Hollande a droit à la protection de sa vie privée, mais il est un président en exercice, ce qui limite considérablement ses droits. Tous les faits de sa vie privée qui influent sur la sphère publique peuvent relever d’une information légitime. Même si les photos sont volées, les risques pris par le président relativisent la faute commise par Closer. Le public a légitimement droit à l’information si un fait de vie privée influe sur l’exercice de la fonction ».
En l’occurrence, même si le risque d’atteinte à sa vie privée existe, les citoyens ont le droit de savoir dès lors que cet élément privé présente un lien en rapport avec l’activité du Président. Le magazine Closer n’a pas évoqué explicitement la liaison entre François Hollande et Julie Gayet mais a, plutôt fait référence, à l’efficacité de la protection pour un chef de l’Etat de se déplacer en scooter. De ce fait, le journaliste a reclassé un fait privé dans un contexte de vie politique afin de faire primer un droit à l’information au détriment de la vie privée. Cet argument représente un habillage car dans ce cas là, il s’agit bien évidemment d’un véritable débat d’intérêt général. Maintenant, est ce que le magazine pourra faire prévaloir qu’il voulait mettre en évidence la protection du président alors que les photographies souhaitent démontrer une liaison amoureuse ?
Ainsi, un homme politique s’expose consciemment et inévitablement à un contrôle attentif de ses faits et gestes par les journalistes et les citoyens. Plus un homme est célèbre, plus son droit à la vie privée se réduit. Comme le rappelle Emmanuel Pierrat, avocat spécialiste en droit de la presse, les hommes politiques ont de moins en moins de vie privée. Il fait référence au livre Le Front national des villes et le Front national des champs. Cet ouvrage traite de la vie privée, et plus précisément de l’homosexualité de Steeve Briois, candidat FN aux élections municipales. Le juge, en appel, estime qu’il s’agit d’un personnage politique public et que son homosexualité concerne l’opinion publique, à l’époque en plein débat sur « le mariage pour tous ». De même récemment la relation entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni ou en 1994, les révélations sur François Mitterrand concernant sa fille adultérine, qui notamment n’avait pas porté plainte contre le magazine Paris Match, démontrent là encore, la difficulté pour les juges de reconnaitre une atteinte à la vie privée, même si les circonstances peuvent le prouver.
Closer, un coup médiatique réussi !
L’avocat de Julie Gayet avait contacté le magazine Closer afin que ce dernier retire de son site internet toute mention de cette relation et veiller en même temps, aux remontées sur Google.
Laurence Piau a précisé suite à la demande de l’avocat de la comédienne « il s’agit simplement de ne pas cumuler les procédures, c’est-à-dire à une assignation sur le site internet et une assignation sur le magazine papier ». Elle a enfin assuré que ce retrait ne remettait pas en cause la véracité de l’information divulguée « nous allons retirer la news (…) car c’est une injonction très nette ».
En réalité, le magazine n’avait pas d’autre choix que de retirer l’information sur internet. Il ne s’agissait pas de cumuler les procédures puisque rien n’avait encore été demandé pour la version papier. Tout simplement, l’information sur internet et celle sur support papier sont soumises à deux régimes juridiques distincts.
En effet, la loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004, permet de faire retirer un contenu sur Internet s’il est diffamatoire, injurieux ou s’il porte atteinte à la vie privée. Si c’est le cas, il suffit d’adresser au directeur de la publication du site incriminé, avec copie à l’hébergeur, une demande de retrait du contenu. Généralement, ce retrait est quasiment automatique. Il s’agit, dans ce cas d’une procédure plus simple et le fait que le magazine ait retiré l’information sur internet peut traduire une forme d’aveu de violation de la vie privée.
Quant au retrait des kiosques de la version papier, la procédure, même si elle est rapide, n’assurera pas le retrait du magazine, surtout en plein scandale Dieudonné et en raison d’un discours présidentiel devant la presse prévu quelques jours plus tard. D’autant plus que l’hebdomadaire a pris ses précautions pour réduire au maximum les risques puisque la direction a choisi d’imprimer une partir de ce numéro en Belgique, dans le but d’échapper à toute procédure intentée en référé.
La seule obtention de ce retrait est donc d’agir en référé devant le Conseil d’Etat et prouver l’existence d’un trouble à l’ordre public. Or, aucunes informations concernant le Président ne portent atteinte à sa dignité. Ainsi, ni François Hollande, ni Julie Gayet n’a demandé la suspension de la vente, sans doute en raison du fait qu’en 2012 déjà, François Hollande avait demandé le retrait du magazine Closer et ne l’avait pas obtenu.
Le magazine ne risque surement pas grand-chose en attendant la décision rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre, le 6 mars prochain. L’actrice réclame 50 000 euros de dommages et intérêt, 4 000 euros pour les coûts de procédure, ainsi qu’une publication judiciaire sur la moitié de la couverture du magazine.
Il n’y donc pas eu d’action en référé devant le conseil d’Etat mais simplement une action au civil pour violation de l’article 9 du code civil relatif au respect de la vie privée. A noter, qu’agir pour diffamation n’aboutira pas puisqu’il aurait fallut que la personne soit mariée afin de constituer un manquement au devoir de fidélité. L’assignation a été faite par la comédienne. François Hollande, quant à lui, s’est refusé à recourir lui-même en justice, estimant que son statut juridique particulier l’empêchait d’agir comme un citoyen ordinaire, ce qui montre, une fois de plus, l’importance médiatique du personnage. En effet, le fait que François Hollande soit Président joue clairement en la faveur du magazine. Au delà de cette surexposition publique, François Hollande n’a pas démenti l’information, ce qui pourra renforcer l’irresponsabilité du magazine mis en cause.
Sources :
« Hollande-Gayet : Closer va retirer des informations de son site », nouvelobs.com
« Affaire Hollande/Gayet : le Président n’est pas un citoyen comme les autres » jolpress.com
http://www.jolpress.com/francois-hollande-julie-gayet-vie-privee-closer-article-823944.html
« Le procès Gayet/Closer se déroulera le 6 mars » lesechos.fr
MOLFESSIS N., professeur de Droit à l’université Panthéon-Assas « Droit au respect de la vie privée ou droit à l’information du public », Lesechos.fr
CROIZET M., avocat « La difficile conciliation du droit à l’image avec la liberté d’expression », avocat.fr http://avocats.fr/space/mathieu.croizet/content/la-difficile-conciliation-du-droit-a-l-image-avec-la-liberte-d-expression–publie-dans-le-journal-du-barreau-de-marseille-_1AD26DCD-F910-43EA-BE99-82DCC3DC6C8D