Le drone est un sujet médiatique croissant, que ce soit pour annoncer la réception, le 18 décembre, du premier « système français » de drones de surveillance américain Reaper ou pour dévoiler qu’il est une tendance technologique pour cette nouvelle année 2014. Il semble donc que cet engin fera désormais partie de notre quotidien.
Un drone est un appareil volant, sans pilote à bord, généralement piloté à distance par un opérateur humain. Il peut effectuer de manière autonome ou robotisée tout ou partie des actions de vol. Aujourd’hui, un drone est aussi bien un engin militaire de plusieurs millions d’euros qu’un objet civil, pilotable depuis un smartphone de quelques centaines d’euros.
Créés initialement à des fins militaires, ces appareils sont en plein développement dans le domaine civil. En matière d’usage de drones civils, la France est le premier pays au monde à s’être doté d’une réglementation. L’arrêté ministériel du 11 avril 2012 fait de notre pays le premier à autoriser l’utilisation commerciale et industrielle des drones civils. Cette réglementation encadre l’usage de ces machines, elle limite l’altitude à laquelle l’opérateur doit voler et détermine quel rayon d’action il peut couvrir selon que l’appareil est guidé en zone peuplée ou non, à vue ou hors vue du pilote et en mode de pilotage automatique ou manuel. En Amérique, l’ouverture du marché civil aux drones est seulement prévue pour fin 2015. Grâce à son avance sur le marché mondial de drones, la France bénéfice donc d’une véritable opportunité sur un marché d’avenir.
Quoi qu’il en soit, le développement de ces appareils aura de nombreux avantages mais constituera aussi un danger pour nos droits et nos libertés individuelles.
Un immense potentiel
Au niveau économique, nous constatons que le marché mondial des drones, tous secteurs confondus, a été de 5,2 milliards de dollars en 2013. Il devrait doubler dans les dix ans qui viennent selon une étude de juin 2013 du Teal Group (qui rassemble, classe et analyse des informations à partir d’un large éventail de sources). En France, il pèserait près de 2 milliards d’euros. Depuis l’apparition d’une réglementation en matière de drones civils, plus de 400 constructeurs et opérateurs de ces machines ont vu le jour en moins de deux ans. L’industrie des drones civils permet et permettra donc des innovations et des créations d’emplois.
Par ailleurs, les drones civils constituent un nouveau secteur industriel. Initialement créés pour des usages militaires, ils ont aussi un usage civil. Selon Emmanuel de Maistre, président de la Fédération française du drone civil, les drones ont un rôle complémentaire à jouer à côté des satellites, des avions et des hélicoptères. En effet, « le mini-drone est plus agile et moins cher à l’heure de vol que l’avion ou l’hélicoptère. Il est plus facile à déployer qu’un satellite et, volant à basse altitude, offre une meilleure définition d’image ». Ces appareils permettent donc d’acquérir, à moindre coût, des données de nature technique et industrielle.
Les drones devraient, à l’avenir, être utilisés à la fois par le gouvernement et par n’importe quelle personne. Leurs premiers usages non militaires servent à protéger les individus, à maintenir une sécurité. Ces machines, offrent des opportunités de surveillance et d’espionnage bien moins cher qu’un hélicoptère, elles pourront donc être utilisées par les pouvoirs publics. Cela leur facilitera la surveillance des événements majeurs, de gros rassemblements ou encore des frontières. Les drones civils peuvent aussi aider à gérer des situations de crise comme des incendies de forêts (c’est le cas dans les Landes où le service départemental d’incendie et de secours est équipé d’une escadrille d’aéronefs). Ils offrent la possibilité d’accéder à des zones difficilement accessibles comme des lieux inondés ou touchés par des accidents industriels ou des zones dangereuses pour l’Homme comme des endroits radioactifs. On les retrouve de plus en plus dans les opérations de sauvetage, que ce soit au sol, sous l’eau ou en l’air. Cela permettra aux professionnels d’avoir un angle de vue plus large sur ces zones, ce qui aidera à la prise de décision. Ces engins pourront aussi permettre une action humanitaire d’urgence notamment en transportant des charges comme des médicaments. Ils offrent la possibilité de cartographier un terrain, Bordeaux a d’ailleurs lancé en septembre un appel d’offres pour cartographier par drone la ville, en complément des relevés établis par avion. Les amateurs ou les professionnels pourront aussi utiliser les drones civils pour inventer des nouveaux usages et services. En matière de médias, de communication et de cinéma, ces machines attirent essentiellement pour de la prise de vue. Cette activité représente 80% du marché des applications civiles du drone aujourd’hui. Certains photographes professionnels ou paparazzis les utilisent déjà. Des compagnies privées testent actuellement l’emploi de drones pour surveiller des chantiers ou des réseaux (électriques, ferroviaire). C’est le cas de la SNCF qui poursuivra ses expérimentations de drones en 2014 pour inspecter son réseau. Les ingénieurs civils y ont aussi trouvé leur compte car ces aéronefs permettent désormais d’éviter des coûts énormes en équipement et en temps de repérage. A ce propos, les drones ont déjà convaincu le groupe de BTP Monnoyeur pour guider des engins de chantier. Enfin, les usages ludiques de ces machines sont en pleine explosion.
En résumé, les drones civils permettront des gains de productivité importants dans de nombreux secteurs car ils sont capables de réaliser de multiples tâches à moindre coût. Le potentiel de ces drones semble presque illimité, pourtant, la multiplication de ces engins soulève des enjeux importants pour les libertés individuelles et le respect de la vie privée.
Un danger pour nos libertés individuelles et notre vie privée
Certains capteurs autrefois lourds et coûteux sont aujourd’hui peu coûteux et leur taille a diminuée, ce qui a permis la création de drones de petite taille, à très faible coût. Ces engins peuvent donc embarquer, pendant leur vol, une quantité importante de capteurs divers et variés comme une caméra, un appareil photo, un GPS, des microphones, capteurs thermiques, capteurs infrarouges ou encore des détecteurs de composants chimiques. En fait, tous les types de capteurs utiles à la sécurité du vol ou à la mission des drones sont susceptibles de servir à observer ou surveiller les individus. Ils peuvent facilement devenir un outil de surveillance dès lors qu’ils emmagasinent et analysent de l’information. Grâce aux drones, surveiller des personnes devient plus facile et moins coûteux.
Ryan Calo, professeur de droit à l’Université de Washington et chercheur associé au « Center for Internet and Society » de Stanford considère le drone comme « l’incarnation technologique et froide de la surveillance » ou encore un comme un « catalyseur de vie privée ». En effet, dès lors qu’il est équipé des technologies précédemment citées, cet engin peut potentiellement porter atteinte à la vie privée et aux droits et libertés des personnes car il a la capacité de capter et diffuser des données personnelles. Tout d’abord, il est discret donc nous ne le voyons pas nécessairement lorsqu’il nous espionne. Il est aussi intrusif car il a accès à des espaces normalement inaccessibles comme une fenêtre haute. Aussi, cet engin peut enregistrer des informations concernant un grand nombre de personnes, surtout si la zone de couverture est très large. Il faut savoir qu’un drone peut surveiller un périmètre pouvant aller jusqu’à une quarantaine de kilomètres carrés et pendant de nombreuses heures. L’ensemble de la population pourrait alors être surveillée en permanence et toute personne serait susceptible de perdre l’anonymat dans l’espace public et d’être ciblée dans l’espace privé. En effet, toute information prise par un drone durant son vol peut permettre de distinguer les traits du visage, la morphologie de la silhouette, les mouvements de la personne, mais aussi de lire des plaques d’immatriculation. A titre d’exemple, lors des « DroneGames » organisés à San Francisco en décembre 2012, il a été prouvé que les drones peuvent prendre en photo le public, utiliser un outil de reconnaissance faciale puis tweeter la photo avec le nom de la personne lorsque celle-ci est identifié. Ils sont aussi en capacité de pirater et prendre le contrôle d’autres drones environnants.
Pour toutes ces raisons, certaines garanties prévues par les textes semblent difficilement applicables aux drones. Il s’agit par exemple du « floutage » des images, à certains endroits prédéterminés du périmètre de la caméra ou de l’interdiction de pointer la caméra vers une habitation ou son entrée. Il semble également difficile d’informer les personnes qu’un drone va survoler le lieu où elles se trouvent.
L’arrivée et la multiplication des drones dans le ciel français nécessitent donc une réflexion dans de nombreux domaines. Il convient alors de se poser des questions d’éthique, de robotique, de libertés individuelles, de droit à la vie privée, de protection des données personnelles, de vidéosurveillance ou encore de captation aérienne et d’enregistrement de ces images relatives aux personnes. En effet, ces domaines sont réglementés par le Code civil, la Loi Informatique et Liberté, le Code de l’aviation civile et bien d’autres textes que l’on se doit de respecter. Pour mener à bien cette réflexion, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) « souhaite réfléchir à un cadre de régulation adapté permettant d’accompagner l’innovation et le développement de nouveaux usages, tout en fixant les limites à ne pas franchir en termes de surveillance. Parallèlement à ces travaux prospectifs, la CNIL est résolument engagée dans des échanges internationaux sur ce sujet qui est à l’ordre du jour du G29, réunissant les autorités de protection des données de toute l’Union européenne. Par ailleurs, la CNIL souhaite travailler étroitement avec les autorités en charge des questions d’aviation civile et de réglementation aérienne ».
Définir rapidement un cadre régulant l’utilisation des drones est une nécessité. Ainsi, les limites à ne pas franchir seront délimitées, ce qui permettra aux individus de profiter des nombreux avantages de l’utilisation des drones, sans entrave à leurs droits et libertés.
Sources :
– CNIL, « Drones, innovations, vie privée et libertés individuelles », http://www.cnil.fr/, publié en décembre 2013, consulté le 11/01/2014.
Consultable sur :
http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/La_CNIL/publications/DEIP/LettreIP6.pdf
– CNIL, « Usages des drones et protection des données personnelles », http://www.cnil.fr/, publié le 30/10/2012, consulté le 11/01/2014.
Consultable sur :
– AFP, « 2014, année des mini-drones ? », http://www.liberation.fr/, publié le 29/12/2013, consulté le 11/01/2014.
Consultable sur :
http://www.liberation.fr/economie/2013/12/29/2014-annee-des-mini-drones_969547