Le 7ème art est malade et il est devenu impératif de lui porter secours. C’est le constat qui avait été défendu par Vincent Maraval à l’occasion d’une tribune de janvier 2013 pour le journal Le Monde. Il y dénonçait de manière virulente les cachets exorbitants des acteurs du cinéma mais aussi une inflation inquiétante des budgets de film. Le cinéma tel qu’il existe en France depuis la fin de la seconde guerre mondiale fait face aujourd’hui à une crise majeure. Et ce n’est pas les données chiffrées de l’année passée qui permettent d’entrevoir une issue plus favorable à ce secteur des plus fragiles du point de vue économique. En effet, au cours de l’exercice 2013, seuls 30 % des films se sont avérés rentables (un film sur 10 à gros budget dégage des bénéfices à l’image des Profs avec un excédent rarissime de près de 11 millions d’euros). La fréquentation des salles a reculé de 5.3 % cette année en raison de l’absence de blockbuster à plus de 5 millions d’entrées. Encore plus catastrophique, la part de marché des films français a perdu 7 points et représente actuellement 33.3%.
Alors que certaines activités culturelles maintiennent leurs publics telles que les festivals ou encore mieux sont de plus en plus attractives à l’image des musées, le cinéma quant à lui avance sur un terrain des plus glissants. C’est dans ce contexte maussade et afin de stopper la dégringolade amorcée qu’a été commandé le rapport sur le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l’heure du numérique. René Bonnell, ancien dirigeant de Gaumont, grand monsieur de Canal + ou encore de France Télévisions mais aussi réputé pour avoir été producteur et auteur d’ouvrages consacrés au cinéma est considéré comme avoir acquis une connaissance incontestable du secteur et a dès lors pu présenter le 8 janvier 2014 à l’occasion de la 2ème édition des assisses pour la diversité du cinéma français devant une salle comble le fruit de 7 mois de travail. Ce rapport ne se contente pas d’étaler les failles du système existant mais à travers pas moins de 50 propositions, dresse un constat honnête et approfondi de l’économie du secteur (de la production à la diffusion) ainsi que les relations entre les différents acteurs de la filière cinématographique. D’autre part, il établit des perspectives d’évolutions à travers des réformes fiscales, une politique accrue de transparence et une refonte du principe de la chronologie des médias. Enfin, le rapport Bonnell a le mérite de proposer des orientations stratégiques pour adapter le système au développement du numérique et au bouleversement occasionné par l’arrivée de nouveaux modes de consommation ainsi qu’à l’arrivée de nouveaux acteurs puissants et mondialisés.
Une politique de rigueur quant à la dérive de certains coûts
Quand il a été question d’évoquer la sortie du rapport Bonnell début janvier, les médias de presses écrites et audiovisuelles ont placé au premier plan la piste des salaires des stars. En effet, déjà abordé par Vincent Maraval en janvier 2013, l’inflation des cachets des stars est au centre des préoccupations. Ces derniers atteignent des niveaux qui n’ont aucun rapport avec le potentiel économique des films et les acteurs français sans être connus au niveau planétaire se retrouvent parfois mieux payés que certaines étoiles reconnues par les cinéphiles avertis du monde entier. Pour le directeur général de la Sofica Cofinova en la personne d’Alexis Dantec, investissant dans près de 25 films français par an, la recherche de la star n’est pas un choix pertinent puisque « elle a certes un impact sur le box-office, mais elle absorbe l’essentiel du profit (…) les meilleures rentabilités se font avec des films peu attendus, sans rémunération forte pour les auteurs ».
Le cinéma d’aujourd’hui est marqué par un manque de profit global. Pour cause, la forte concentration de moyens sur un petit nombre de films et certaines productions qui pompent la majeure partie des subventions. Aujourd’hui, un film à gros budget avec des stars à l’affiche parvient à convaincre les chaines qui concentrent dès lors leurs investissements sur ce film. Par la suite, celui-ci est davantage soutenu par le système d’aides. Néanmoins, faute d’un scénario “béton”, le long métrage n’arrive pas à trouver son public et à dégager des recettes suffisantes en salle. Le film est au final déficitaire et a empiété sur des placements qui auraient pu servir à des premiers films de producteurs ou encore des films d’auteurs qui n’ont pas réussi à réunir un budget suffisant afin d’être à la hauteur de leurs ambitions et accéder à l’exploitation méritée.
Ce n’est pas moins de 50 % des films qui ont réalisé moins de 50 000 entrées en 2013. La raison principale étant la mauvaise appréhension du potentiel commercial du film et la répartition critiquable des dépenses des chaines de télévision préférant miser sur la présence des stars sur le grand écran et contribuant ainsi à l’explosion des cachets en cause.
Le rapport Bonnell par sa 6ème proposition fournit l’idée originale de distinguer les dépenses liées aux talents et les dépenses concernant les coûts stricto sensu de production. D’autre part, même s’il n’est pas possible de poser une réglementation, ce qui porterait atteinte à la liberté contractuelle, il s’agirait de modérer les cachets des stars en les « incitant au partage du risque commercial par un intéressement calculé sur des données aisément vérifiables » (entrées en salle, chiffre d’affaires sur les autres supports de diffusion). René Bonnell appelle à l’autorégulation de la profession faute de quoi des mesures contraignantes pourraient voir le jour (imposer des ratios, moduler l’aide automatique en fonction de leurs respects). Enfin, on pourrait même envisager d’interdire de fixer la rémunération des acteurs avant de prendre connaissance des résultats de leurs prestations. Il s’agirait d’une rémunération au succès fondée sur des recettes concrètes à l’image par exemple des acteurs du film Polisse.
Étendre le financement, veiller à la redistribution des richesses, accroitre la politique de transparence : les pistes de travail d’un rapport ambitieux
C’est le deuxième volet du rapport et son importance est indiscutable. Il s’agit en effet de se pencher sur la question de l’économie générale du cinéma.
La production doit être encouragée puisque actuellement elle souffre d’un manque de financement. Le CNC a contribué en 2013 à la hauteur de 320 millions d’euros mais le rapport Bonnell prédit une baisse sensible de la contribution des chaines de télévision en 5 ans, ce qui correspondrait selon ses prévisions à une perte de 63 millions. D’où l’intérêt de trouver d’autres sources de financement afin d’éviter que le cinéma continue à subsister grâce à l’assistanat du CNC.
D’une part, le rapport préconise de diversifier les aides. Dès lors, celles-ci concerneraient des aides au développement pour le premier programme d’un producteur (n°4), est établie une obligation d’intervention des chaines de télévision dans le financement de premiers ou deuxièmes films dans leurs quotas d’œuvres indépendantes (n°12), des aides pour les producteurs ayant déjà rencontré un succès ou bénéficiant du label art et essai ou bien encore renforcer l’aide automatique à la production dans la tranche 500 000 à 1.5 millions d’entrées (n°17).
D’autre part, malgré la diversité des aides allouées par les sociétés de productions, les mécènes ou encore des fonds privés et publics, il serait primordial selon le rapport d’attirer d’autres sources de financement. Ainsi, le préfinancement d’œuvres cinématographiques par les chaines de télévision doit être stimulé (n°13 à 16) en consolidant le pourcentage de pré achat des œuvres françaises et européennes mais aussi par un encadrement strict des futures négociations notamment celles de Canal + cinéma. La proposition n°11 met en avant l’obligation des chaines au financement des films non plus sur la base du chiffre d’affaire des chaines mais sur le chiffre d’affaire du groupe en sa globalité et cela dans le but d’assouplir les contraintes d’une chaine à l’autre à l’intérieur d’un même groupe et de dynamiser les investissements en faveur du grand écran.
Ensuite, le rapport estime qu’il est essentiel que le cinéma attire des capitaux complémentaires. La proposition n°8 recommande de captiver des investisseurs extérieurs en leur permettant de toucher des intérêts équivalents à ceux du producteur délégué et du distributeur. De plus, il s’agit également d’encourager le crowd-funding (appel au financement de particuliers via une annonce sur Internet) et de donner à cette pratique un cadre juridique légal approuvé d’un label CNC (n° 10). L’action régionale trouve une place au sein de ce rapport où celui-ci appelle à un renforcement du mécanisme 1 euro du CNC pour 2 euros des collectivités territoriales. Cependant, cette mesure fait face à la rigueur budgétaire imposée par l’état et par la baisse des dotations aux régions ainsi que de stratégies diverses de ces dernières préférant parfois soutenir l’industrie ou même au niveau culturel axer leurs protections auprès des œuvres audiovisuelles au dépens des œuvres cinématographiques. Il serait même envisagé de prendre compte des recettes diverses comme les bénéfices découlant des produits dérivés (jeux vidéos) ou de l’exploitation des films en salles (achats de confiseries).
On dénonce en la matière un manque de transparence entre les acteurs de la filière et le rapport Bonnell fait état de ces difficultés en exigeant une clarification au plus vite de ces relations. Les producteurs peinent à tenir leurs obligations de rendre des comptes car les acteurs (distributeurs, exploitants) donnent tardivement les informations et donc le producteur est dans l’incapacité d’établir un relevé annuel de qualité. Afin d’améliorer le financement de la production, des initiatives doivent être prises en matière de transparence et de partage de recettes grâce à la mise en place de discussions interprofessionnelles en vue d’instaurer des dispositifs de cogestion des droits d’auteurs mais aussi de pratiquer plus régulièrement des audits des budgets de production et de distribution, des rendus de comptes des salaires des différents protagonistes et enfin un contrôle accru du partage des recettes des films en salles mené par le CNC.
Amorcer la transition au numérique : un passage obligé pour la survie du cinéma
C’est le dernier point soulevé par le rapport : il s’agit en effet de la prise en compte de la transformation majeure des pratiques avec le développement du numérique. Avec l’apparition de nouveaux supports de diffusion et des géants de l’internet, le consommateur est devenu un véritable programmateur de ses loisirs avec notamment l’essor de la vidéo à la demande et de la télé de rattrapage.
Tout les mercredis, c’est une douzaine de nouveaux films qui sont à l’affiche de nos cinémas. Compte tenu de l’encombrement récurrent des films projetés sur le grand écran et de la volonté pour le distributeur d’un fort turn-over afin de dégager un maximum de profit, les petites productions sont à la peine. Même si l’idée aura bien du mal à émerger pour les réalisateurs rêvant de voir l’accomplissement de mois de travail être diffusé sur les écrans de cinéma, le rapport Bonnell esquisse une piste qui fait grand bruit. Il serait dès lors question de remettre en cause le principe fondateur de sortie en salle de chaque film produit et d’entrevoir la possibilité pour les films les plus fragiles économiquement de faire l’objet d’une exploitation directe en vidéo et sur internet. Cette mesure révolutionnaire devra néanmoins prévoir une politique de prix attractif passant alors par une baisse du taux de TVA sur la vidéo de 20 à 10%, ainsi qu’une aide à la VOD afin de diminuer le coût unitaire d’une telle acquisition et par conséquent pouvoir trouver au final son public (n°32-33).
Une refonte du système de la chronologie des médias est appréhendée dans ce rapport. Pour le cinéma, il apparaît indispensable de préparer l’avenir surtout à l’heure où Netflix semble décidé à s’implanter en France (rencontre de la ministre du numérique Fleur Perrin avec le dirigeant de cette société au CES de Las Vegas le 7 janvier 2014). La mission Lescure visait elle aussi à raccourcir la chronologie des médias notamment en matière de VOD à l’acte disponible trois mois après l’exclusivité de la salle cinéma, quant à la VOD par abonnement, elle serait accessible à partir de 18 mois (contre 36 actuellement). Le rapport prévoit également de limiter à des périodes plus courtes le gel des droits d’exploitation VOD par les chaines et celles-ci devront contribuer davantage au financement du cinéma. Selon certaines extrapolations, ces mesures permettraient de doper de 30% le marché de la VOD et de la SVOD.
Quant à la lutte contre le piratage, c’est le point noir du rapport jugé peu ambitieux dans ce domaine en avançant des pistes déjà utilisées (sanction par voie d’amende en cas de récidive) ou alors obsolètes (taxe sur les appareils connectés). La France a bien du retard par rapport au géant d’outre atlantique qui a ouvert récemment une fenêtre de téléchargement définitif (entre une à quatre semaine avant la sortie du DVD et VOD) ce qui a permis en 2013 une progression du téléchargement définitif de 47 %.
Ce rapport a été accueilli favorablement par les professionnels du milieu. La présidente du CNC, Frédérique Bredin évoquant une véritable réforme de la filière cinématographique. Pour la SACD (société auteurs compositeurs dramatiques), René Bonnell dresse un bilan sans complaisance qui « a le mérite de souligner le déficit chronique du cinéma et l’urgente nécessité de réformes ». Il est vital que ces 50 propositions ne restent pas sans suite car si aujourd’hui le cinéma est sous perfusion, la ministre de la culture Aurélie Filippetti a rappelé qu’il était essentiel que le cinéma redevienne une industrie rentable. Dès la fin du mois, des groupes de travail oeuvreront sur chacun des axes mentionnés par le rapport et à l’issu de cette collaboration, des mesures seront soutenues par voie d’accords interprofessionnels, réglementaires ou bien encore législatifs.
Ce travail apparaît alors utile mais il faut également qu’au sein de la production, on apprenne à produire moins et mieux. Il est capital de faire émerger des superproductions à l’effigie du cinéma hollywoodien mais il faut parallèlement produire moins cher et tâcher d’exporter les productions ainsi que de les rentabiliser sur le territoire national. Enfin, rappelons que le public est avide de qualité et le cinéma français devra concentrer ses efforts futurs sur l’écriture, les scénarios plutôt que sur les têtes d’affiche pour dégager au final des recettes suffisantes et redevenir une force industrielle incontestable.
Sources
Rapport Bonnell : « Le financement de la production et de la distribution cinématographiques
à l’heure du numérique », disponible sur le site du CNC www.cnc.fr, consulté le 11 janvier 2014.
MAZZACURATI (I.), « Il faut sauver le cinéma français: les 50 propositions du rapport Bonnel », lexpress.fr, mis en ligne le 08 janvier 2014, consulté le 11 janvier 2014.<http://www.lexpress.fr/culture/cinema/il-faut-sauver-le-cinema-francais-les-50-propositions-du-rapport-bonnel_1312465.html#hzmyA4gIbM0gGvt9.99>.
Les cachets des stars du cinéma sous surveillance », lemonde.fr, mis en ligne le 09 janvier 2014, consulté le 15 janvier 2014. <http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/01/08/les-cachets-des-stars-sous-surveillance_4344433_3246.html>.
HUSSON (L), « Le rapport Bonnell commandé par Filippetti veut faire du cinéma une industrie rentable », challenges.fr, mis en ligne le 09 janvier 2014, consulté le 16 janvier 2014. <http://www.challenges.fr/entreprise/20140108.CHA8946/rapport-bonnell-pourquoi-le-cinema-francais-ne-fait-plus-recette.html>.