Inciter des personnes à boire de l’alcool par le biais des réseaux sociaux n’est pas nouveau. En effet, c’est au cours de l’année 2009 que la pratique des apéros géants prend une réelle ampleur. Cependant, cette tendance sera très vite encadrée par les autorités françaises et notamment Brice Hortefeux, alors ministre de l’intérieur en 2010. D’une part, en instaurant un principe de déclaration préalable pour l’organisation d’une manifestation à vocation purement festive et d’autre part en établissant une responsabilité accrue des promoteurs de la soirée si des dégradations venaient à se produire. Par conséquent, cela a permis d’essouffler un mouvement qui n’a jamais été interdit mais à juste raison fortement réglementé et qui pouvait réunir dans certaines villes jusqu’à 10 000 individus. Dernièrement, un nouveau jeu est apparu sur Facebook nommé Neknomination. Même si par celui-ci, les consommateurs d’alcool ne se rejoignent pas par centaines dans des lieux publics, ce divertissement a le démérite de mettre de côté l’aspect festif et convivial encore défendu dans la mise en place des apéros géants.
Neknomination : un phénomène qui prend des ampleurs de virus
Cette pratique extrêmement récente a malheureusement connu un succès incontestable en quelques semaines puisque lancée en Australie au mois de janvier dernier, la Neknomination a déferlé au sein du continent européen depuis à peine trois semaines. De l’anglais neck your drink signifiant boire cul-sec, ce nouveau jeu prône donc la consommation d’alcool sur Internet notamment à travers les réseaux sociaux. Une fois la vidéo publiée de l’individu entrain de consommer une certaine quantité d’alcool, le participant peut alors nominer (nomination) trois de ses amis, les invitant alors à faire de même en l’espace de 24h. Au départ, il s’agissait pour le participant de boire une bière en un seul trait mais rapidement cela a dérapé et les internautes se sont alors lancés dans des défis tous plus périlleux les uns que les autres en absorbant des mélanges d’alcool de plus en plus fort ou en les mêlant avec des produits tels des épices ou des œufs crus.
Sur la toile et sur le réseau social Facebook, la Neknomination s’est répandue telle une traînée de poudre. En effet, le fait de désigner plusieurs de ses amis à relever des défis de plus en plus néfastes à la santé et à repousser ainsi leurs limites en réalisant des mélanges est donc un véritable fléau se diffusant tel un virus. Ce remake du divertissement cap ou pas cap prend des allures funestes car on dénombre déjà à l’heure actuelle pas moins de 5 morts en Australie, en Angleterre mais aussi en Irlande avec ce jeune de 19 ans qui après avoir vidé sa pinte de bière s’est jeté dans une rivière au Nord de Dublin et a trouvé la mort par noyade. Cette « biture expresse » a déjà recueilli les faveurs de 28 000 fans sur la page Facebook en France et concerne un très jeune public de surcroît.
Le jeu peut aussi être analysé sous l’aspect sociologique puisque le spécialiste Olivier Glassey démontre le côté provocateur de cette distraction ainsi que la mise en valeur de soi même en défiant ses proches. La personne désignée subit alors la pression de celui qui l’a clairement mentionné à la fin de sa vidéo mais aussi de manière indirecte de tous ses contacts. Par peur de passer pour un « dégonflé » ou alors en quête de popularité, le jeune n’hésitera pas à se filmer au cours de sa consommation d’alcool omettant alors tout les risques quant à sa santé mais aussi dans une moindre mesure à son image du fait d’être visible par tous en état d’ébriété.
Facebook refuse de stopper l’épidémie
En invitant alors des contacts à boire de l’alcool et à le prouver, le droit prévoit une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amendes pour toute personne qui inciterait un mineur à boire de façon excessive et habituelle. Pire, en cas de mort d’un ami, les poursuites engagées pourraient aller jusqu’à l’homicide involontaire. D’un petit jeu censé divertir le fil d’actualité du réseau social Facebook, on se retrouve alors confronté à des comportements irresponsables qui peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur la vie du jeune utilisateur ainsi que sur celui qui a provoqué autrui à prendre des risques évidents à l’encontre de sa santé. Mais les utilisateurs des réseaux sociaux sont-ils les seuls responsables de ces dérives ?
Il est question évidemment du rôle important que joue le réseau social en lui même dans la diffusion de ces vidéos aux yeux de tous les internautes. Si l’alcool concerne aujourd’hui de plus en plus de jeunes et a été désigné par les scientifiques comme étant la substance psychoactive la plus dangereuse notamment pour les 15-25 ans, Facebook s’avoue impuissant face à ce phénomène inquiétant. Faudrait t-il reconnaître un refus de la part de Facebook de prendre ses responsabilités quand le réseau se défend sous le couvert de la liberté d’expression, de partage mais encore au regard de la liberté de l’utilisateur ?
Pour beaucoup, cet argument n’est pas favorable et à l’image de Twitter qui remet en cause la liberté d’expression au sein de son réseau et accepte de collaborer avec les autorités françaises en permettant le déférencement des hashtags à succès mais illicites ainsi qu’un dispositif de signalement de tout les contenus indésirables, Facebook devrait mener une politique plus rigoureuse quant à l’éthique de son service. C’est ce qu’a demandé notamment le Ministre Irlandais de la Communication au réseau social en affirmant « que serait d’une grande aide si Facebook acceptait de fermer ces pages qui promeuvent ce comportement stupide et bête ». Si le réseau censure parfois des informations de sources alternatives ou encore fin 2012 des images des Femen, concernant la Neknomination, les responsables de Facebook défendent la liberté des internautes en rappelant que « les comportements controversés ou offensants ne vont pas nécessairement à l’encontre des règles » du réseau. Toutefois, Facebook rappelle que les personnes sont encouragées à leur faire part des pratiques qui pourraient aller à l’encontre des règles prônées par le réseau social et ce dernier prendrait en charge les actes de manière casuistique.
Pour favoriser la protection des mineurs et éviter la propagande de la dégradation de la personne humaine, Facebook France assure prendre ce nouvel amusement au sérieux en prétendant que même si la société est sensible à la liberté d’expression, elle garde des règles strictes et si cela venait à prendre trop d’ampleur, Facebook supprimerait dans les plus brefs délais les vidéos et les pages. Une réponse qui démontre assurément le manque de clairvoyance de Facebook qui ne prend incontestablement pas assez au sérieux le problème en laissant l’épidémie gangrener au sein du réseau et chez les jeunes internautes français au lieu de la prohiber dès son apparition. Inutile de rappeler que l’alcool est pourtant la première cause de mortalité pour la tranche 15-30 ans de la population. Un telle protection à la propagation de ces vidéos en refusant toutes actions concrètes est donc une aberration et le réseau a semble t-il fait aveu de faiblesse afin de mettre fin à cette nouvelle mode.
Une intervention attendue de l’état : un premier vaccin pour éradiquer le problème
La jurisprudence est aujourd’hui muette face à cette pratique, puisque à ce jour, la cour de cassation en 2013 (affaire Ricard) n’a eu qu’à traiter d’une question relative à la publicité sur l’alcool visible par le biais des réseaux sociaux. Ici, en l’espèce, la situation est différente car aucun fabricant de tels produits n’est mis en cause derrière cet engouement populaire. Le gouvernement s’est donc invité dans le débat afin d’apporter les premières pistes pour que la Neknomination disparaisse du réseau social Facebook.
Ainsi, le Ministère de l’Intérieur a publié un communiqué pour informer les jeunes internautes du danger dû à la consommation d’alcool mais aussi des risques quant au casier médiatique avec ces images qui risquent de les poursuivre une bonne partie de leurs vies. Ce jeu extrêmement controversé suscite aussi l’inquiétude des associations de parents d’élève mais aussi de la part de la police nationale qui sur son site internet à rappelé aux jeunes utilisateurs que « face aux défis de vos amis, montrez que vous êtes bien plus intelligents que ça et ne vous laissez pas influencer par une stupide épidémie ». Même si beaucoup affirment que ce n’est pas la consommation d’un verre d’alcool qui les tuera, le Ministère des Affaires sociales et de la Santé a déjà pris l’affaire très à cœur à la suite d’interrogations de nombreux parlementaires. Cette nouvelle tendance concerne principalement les jeunes amateurs du « binge drinking » et la ministre en la personne de Marisol Touraine a sollicité l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) « de proposer, sur son site, de nombreux outils d’information et de pédagogie spécialement adaptés aux jeunes sur les dangers de l’alcool ». De plus, la future loi concernant la santé publique intégrera tout un volet relatif à la santé des enfants avec comme principal objectif d’approfondir la question de l’alcoolisation du jeune public. Enfin, il serait aussi judicieux de renforcer la législation concernant la consommation d’alcool à travers les réseaux sociaux comme l’a souligné un député de l’Eure.
Cependant, que ce soit les réponses du réseau social Facebook lui même ou encore les réactions institutionnelles, il ne semble pas que la Neknomination s’essouffle face à ces premières tentatives d’encadrement et les pouvoirs publics ont été devancés par une initiative citoyenne qui fait des émules depuis le 13 février.
Smartnomination : une thérapie à suivre pour mettre un terme à ce fléau
À ce jour, la meilleure solution pour bannir la Neknomination du réseau social Facebook a été exhorté par un jeune bordelais qui a décidé de lancer à son tour la Smartnomination en se filmant entrain de donner à manger à des sans abris. Une idée qui a rapidement été accueilli par un succès considérable et qui semble être la meilleure réponse pour mettre fin à la bêtise humaine encouragée par la Neknomination. Ainsi, inviter ses amis à donner son sang, à participer à une œuvre caritative ou encore à faire acte de solidarité envers les plus démunis est donc la réaction qui paraît être la plus astucieuse pour décrédibiliser ce phénomène précurseur et ainsi nous l’espérons placer les amateurs de la Neknomination en situation de faiblesse face à ceux qui ont décidé d’utiliser le concept à des fins bien plus prolifiques pour la société et leurs images personnelles. Le réseau social peut aussi véhiculer des messages encourageants pour la suite, on déplore cependant que ces derniers viennent contrecarrer des dérives et ne s’imposent pas sur le réseau social aux premiers abords…
Je vous invite alors à lire l’article de ma collègue Clémence Dani à ce sujet.
Sources :
DE COUSTIN (P.), « Neknomination, le jeu d’alcoolisation intensive sur internet qui inquiète l’Intérieur », lefigaro.fr, mis en ligne le 16 février 2014, consulté le 20 février 2014. <http://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/neknomination-le-jeu-d-alcoolisation-intensive-sur-internet-qui-inquiete-l-interieur-4352/.>
PHAM-LÊ (J.), « Neknomination, ce jeu d’alcool dangereux qui se répand sur Facebook et Twitter », lexpress.fr, mis en ligne le 14 février 2014, consulté le 20 février 2014. <http://www.lexpress.fr/actualite/societe/neknomination-ce-jeu-d-alcool-dangereux-qui-se-repand-sur-facebook-et-twitter_1321484.html>
DURETZ (M.), « La neknomination, c’est pas du jeu », lemonde.fr, mis en ligne le 18 février 2014, consulté le 21 février 2014. <http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/02/18/c-est-pas-du-jeu_4368502_3234.html>
GLASSEY (O.), « “Neknomination” : le pire et le meilleur du web en un seul jeu à boire », nouvelobs.com, mis en ligne le 13 février 2014, consulté le 23 février 2014. <http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1146040-neknomination-le-pire-et-le-meilleur-du-web-en-un-seul-jeu-a-boire.html>