« La justice se rend dans les palais de justice et pas ailleurs » affirmait Maitre Dupond-Moretti, après l’audience de ce jeudi 27 février, se félicitant de l’interdiction de diffusion du programme « intimes conviction », jusque là proposé par Arte.
Programmée pour la première fois le 14 février dernier, cette fiction d’un genre nouveau mettant en scène le procès d’un médecin accusé d’avoir tué son épouse, permettait aux téléspectateurs et internautes de se forger une opinion sur la culpabilité de l’accusé et de la partager via une plateforme internet dédiée au programme. Sur le site internet, les internautes avaient la possibilité de visionner les plaidoiries des avocats, d’inspecter les pièces à conviction, ainsi que de partager leur vision du procès avec les autres « apprentis magistrats », jusqu’à la diffusion du verdict final, programmée le 2 mars, toujours sur Arte.
Avec 5,6 % de part d’audience et 1,4 million de téléspectateurs selon Médiamétrie, la chaine réalisait alors sa deuxième meilleure performance de l’année toutes cases confondue. La plateforme internet quant à elle, comptait plus de 80 000 visites seulement trois jours après son lancement.
Or ce « procès virtuel participatif » se trouve être très largement inspiré d’une histoire vraie, celle du Dr. Jean-Louis Muller, accusé du meurtre de son épouse, et acquitté en octobre dernier, après de nombreuses péripéties judiciaires . Face à cet affront, les défenseurs du docteur Muller sont « montés au créneaux » refusant de voir l’image de celui ci salie à nouveau, et ont assigné Arte et la société Maha production devant la juge des référés, réclamant la cessation immédiate de la diffusion du procès virtuel sur tout support, ainsi que des dommages et intérêts. Ainsi, malgré les arguments de Me. Camille Bauer, avocate de la société Maha productions, soutenant qu’il ne s’agissait pourtant « que d’une fiction », la requête fut immédiatement accordée le 27 février. Maha production et Arte se voyait donc condamnés à verser respectivement 10 000€ et 30 000€ de dommages et intérêts au Dr. Muller au titre du préjudice subi.
Les avocats du Dr. Muller estimaient que leur client était très facilement identifiable dans cette « fiction », et que son innocence, pourtant consacrée définitivement en 2013, était remise en doute. Pour illustrer ces affirmations, Me. Dupond-Moretti dresse la liste des similitudes entre le personnage de fiction et le Dr. Muller : même âge, même profession, épouse en dépression, deux enfants, même circonstances du décès, lieux identiques…
Et en effet, selon l’ordonnance rendue par le juge des référés, « l’atteinte portée à la vie privée du docteur Jean-Louis Muller et le préjudice subi du fait du programme qui propose de le rejuger, et ce quels que soient l’issue du faux procès ou le résultat des votes des internautes, sont d’une telle ampleur que la demande de cessation de diffusion du programme sans délai (…) est justifiée. »
Malgré l’indignation de la twittosphère, criant à la censure sur la hashtag #intimesconvictions, on peut aisément comprendre cette décision. En effet, cet homme, acquitté par la justice après presque 15 ans de bataille judiciaire, ne peut il pas bénéficier du droit à l’oubli ? En effet, il n’existe ici aucun intérêt légitime t pouvant justifier de l’utilisation de l’image du Docteur Muller, le procès virtuel ayant une vocation plus récréative qu’informative. Comment justifier qu’un homme soit virtuellement rejugé, soumis à l’appréciation du peuple, malgré son acquittement récent ? Et tout cela, « à des fins mercantiles », comme l’a affirmé l’un des avocats du plaignant.
Si le concept était sans nul doute très innovant et ludique, et permettait une découverte interactive du fonctionnement de la justice, il eut été plus astucieux d’inventer une affaire de toute pièce.
Les téléspectateurs/internautes restent donc sur leur faim, stoppés net dans leur élan, suspendus aux lèvres de l’avocat général lors de son dernier réquisitoire au cours du 31ème épisode, et ne pourront pas connaître l’épilogue, qui devait se présenter sous deux formes différentes : le verdict des jurés fictifs dans le procès, et celui des téléspectateurs.
Cependant, l’avocat de la société Maha productions, Me. Christophe Bigot, a assuré interjeter appel de la décision dans les plus brefs délais, dénonçant « une véritable censure ».
Sources :
DUMONS (O) “Le Docteur Muller obtient l’interdiction de l’émission “intime conviction”, lemonde.fr, publié le 27 février 2014, consulté le 27 février 2014, disponible sur http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/02/27/la-justice-interdit-la-diffusion-d-intime-conviction-sur-arte_4375091_3246.html
MONNIER (V) “Affaire Muller/Intime conviction: Arte condamnée à stopper la diffusion” nouvelobs.com, publié le 26 février 2014, consulté le 27 février 2014, disponible sur http://teleobs.nouvelobs.com/polemique/20140226.OBS7778/affaire-muller-intime-conviction-la-fiction-d-arte-etait-presque-parfaite.html