Pas de matraques, de boucliers, ou de pavés lancés : une des dernières grandes mobilisations n’a pas eu lieu dans la rue, mais sur le web. Le 11 février 2014, de nombreux sites ont affiché une page noire, comportant une main dans un œil avec pour légende : « The day we fight back ». Le web s’est en effet mobilisé afin de contester les programmes de surveillance mis en place par les agences de renseignement occidentales. Cette journée de mobilisation a également permis de sensibiliser les internautes au USA FREEDOM ACT.
Une cyber-révolte citoyenne ?
L’objectif principal de cette journée était d’interpeller les élus américains, mais également les citoyens, sur les programmes de surveillance numérique, et les graves violations des libertés et droits fondamentaux pouvant en résulter. Cette journée de mobilisation avait également pour objectif d’encourager les citoyens et leurs élus à soutenir le USA FREEDOM ACT, une proposition de loi. Ainsi, en se rendant sur le site web dédié à la mobilisation, les internautes – américains – avaient notamment la faculté de contacter les membres du Congrès (sénateurs et membres de la Chambre des représentants). Selon les chiffres communiqués sur le site www.thedaywefightback.com, cent quatre vingt cinq mille américains ont participé à cette journée en envoyant des courriels à leurs élus. De même, quatre vingt neuf mille appels aux élus ont été recensés. Cependant, ce chiffre aurait pu être bien plus élevé, si plusieurs élus n’avaient pas désactivé leur messagerie téléphonique. Les réseaux sociaux ont également permis une très large diffusion de l’événement, puisque l’adresse du site a été partagée plus de quatre vingt mille fois sur Twitter et plus de quatre cent vingt mille fois sur Facebook. Plusieurs députés et sénateurs américains ont également réagi via leurs comptes Twitter, certains déclarant apporter leur soutien au USA FREEDOM ACT. La mobilisation ne fut pas que virtuelle, puisque de nombreuses manifestations « physiques » ont eu lieu dans de nombreux pays : États-Unis, Royaume-Uni, Colombie, Suède, Afrique du Sud, Danemark, etc. Enfin, les citoyens américains et non-américains pouvaient apposer leur signature sur une pétition afin d’apporter leur soutien aux « Principes internationaux sur l’application des droits de l’Homme à la surveillance des communications ». Selon les chiffres communiqués sur la page www.thedaywefightback.org, deux cent quarante cinq mille personnes et organisations ont signé cette pétition.
Il est intéressant de noter que les termes employés traduisent une certaine exaspération. Ainsi, les mots « combat » et « bataille » ont été régulièrement utilisés. De même, de nombreuses expressions ont pu être employées afin de souligner la dangerosité des politiques gouvernementales actuelles, comme l’expression « aspirations orwelliennes ».
Si les internautes ont grandement participé à cette journée de mobilisation, diverses organisations, associations, fondations ou entreprises du numérique ont rejoint le mouvement. Il était en effet possible d’insérer une bannière sur son site web. De surcroît, de nombreuses sociétés internationales, parfois critiquées pour leur collaboration avec des agences de renseignements et leur politique de gestion des données personnelles, ont pris part à la contestation. Ainsi, Google, sur son blog, explique que malgré les menaces auxquelles sont confrontés les pays occidentaux et notamment les États-Unis, les programmes de surveillance « devraient être opérés dans un cadre légal, strictement adapté, transparent et soumis à une surveillance »1. De même, Twitter s’est déclaré « fier » d’apporter son soutien à cette mobilisation. À l’instar de Google, Facebook a également rappelé l’initiative menée par les grandes sociétés du numérique ayant édicté une liste de cinq principes afin de modifier les lois relatives à la surveillance électronique et à l’interception de données.
La mobilisation a été qualifiée de réussie, et selon l’EFF (Electronic Frontier Foundation), « nous avons plus fait en ce jour pour inciter le Congrès des États-Unis à réformer les lois relatives à la surveillance qu’en plusieurs mois et années de lobbying effectués jusqu’alors »2. Si l’initiative a été relativement peu relayée par les grands quotidiens, certains y ont toutefois consacré un article, comme le Guardian. Les sites dédiés à l’actualité numérique ont été très nombreux à relayer l’information. Cependant, la portée de cette journée a pu être considérée comme limitée. D’autres commentateurs ont également comparé « The day we fight back » avec la mobilisation contre SOPA.
Le USA FREEDOM ACT
Au-delà de la sensibilisation des citoyens et des élus, cette journée avait notamment pour objectif d’informer le public de l’initiative menée par monsieur le député F. James Sensenbrenner Jr., auteur du très controversé USA PATRIOT ACT, qui a proposé à la Chambre des Représentants le USA FREEDOM ACT (Fulfilling Rights and Ending Eavesdropping, Dragnet-collection, and Online Monitoring). Cette proposition de loi, introduite à la Chambre des Représentants le 29 octobre 2013, vise à amender de nombreuses lois, comme le USA PATRIOT Inprovements and Reauthorization Act of 2005, ou le FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act of 1978), dans le but d’instaurer des exigences supplémentaires pour pouvoir procéder à des interceptions de données numériques et de protéger les droits et libertés fondamentaux, par exemple en autorisant les « fournisseurs de services électroniques » à publier des rapports faisant état des données fournies. L’autre objectif du USA FREEDOM ACT est l’instauration d’un Office of the Special Advocate, notamment composé d’un Special Advocate pouvant participer aux procédures menées devant la FISA Court et la Foreign Intelligence Surveillance Court of review. Ce Special Advocate aurait la possibilité de demander à la FISA Court de « reconsidérer […] ses décisions, et de participer aux appels et aux examens ». Le but de cette proposition de loi est, selon monsieur le député F. James Sensenbrenner Jr., de « maîtriser la collecte de données par la National Security Agency (NSA) et par les autres agences gouvernementales, d’augmenter la transparence de la Foreign Intelligence Surveillance Court (FISC), de donner la possibilité aux sociétés de rendre public des informations relatives aux requêtes de la FISA, et de créer un avocat constitutionnel indépendant pouvant plaider devant la FISC »3. Le USA FREEDOM ACT est co-parrainé par cent trente six députés, dont quatre sont devenus co-parrains le 11 février 2014.
Cette proposition de loi est notamment soutenue par Google, l’ACLU (American Civil Liberties Union) et l’EFF. Toutefois, cette dernière souhaite que le USA FREEDOM ACT aille au-delà de ses ambitions actuelles. L’ACLU souligne qu’il s’agit d’un « premier pas ».
Malgré la mobilisation du 11 février 2014, il est peu probable que les programmes de surveillance soit substantiellement modifiés. En effet, la permanence de la perception d’une menace terroriste donne une justification crédible aux yeux de la population (cf. Observatoire Orange-Terrafemina, Big Data : Affaires privées, données publiques, janvier 2014). La célèbre phrase de Benjamin Franklin n’est plus un avertissement, mais sera sans aucun doute le simple constat d’une future sanction.
SOURCES :
- GABBATT (A.), « Protesters rally for ‘the day we fight back’ against mass surveillance », www.theguardian.com, mis en ligne le 11 février 2014, consulté le 22 février 2014, disponible à l’adresse <http://www.theguardian.com/world/2014/feb/11/day-fight-back-protest-nsa-mass-surveillance>
- REITMAN (R.), « The day we fought back », www.eff.org, mis en ligne le 11 février 2014, consulté le 22 février 2014, disponible à l’adresse <https://www.eff.org/deeplinks/2014/02/day-we-fought-back>
- RICHARDSON (M.), « The USA FREEDOM Act is Real Spying Reform », www.aclu.org, mis en ligne le 29 octobre 2013, consulté le 23 février 2014, disponible à l’adresse <https://www.aclu.org/blog/national-security/usa-freedom-act-real-spying-reform>
Sites internet :
https://thedaywefightback.org/international/?r=aclu
https://fr.necessaryandproportionate.org/text
http://sensenbrenner.house.gov
1« Google recognizes the very real threats that the U.S. and other countries face, but we strongly believe that government surveillance programs should operate under a legal framework that is rule-bound, narrowly tailored, transparent, and subject to oversight », MOLINARI (S.), « It’s time to reform government surveillance laws », http://googlepublicpolicy.blogspot.fr, mis en ligne le 11 février 2014, consulté le 23 février 2014, disponible à l’adresse <http://googlepublicpolicy.blogspot.fr/2014/02/its-time-to-reform-government.html>
2« We’ve done more in this single day to pressure the U.S. Congress to reform surveillance law than what months or even years of lobbying to date have accomplished », REITMAN (R.), « The day we fought back », www.eff.org, mis en ligne le 11 février 2014, consulté le 22 février 2014, disponible à l’adresse <https://www.eff.org/deeplinks/2014/02/day-we-fought-back>
3« Purpose: To rein in the dragnet collection of data by the National Security Agency (NSA) and other government agencies, increase transparency of the Foreign Intelligence Surveillance Court (FISC), provide businesses the ability to release information regarding FISA requests, and create an independent constitutional advocate to argue cases before the FISC », SENSENBRENNER (J.), « The USA FREEDOM ACT », http://sensenbrenner.house.gov, date de mise en ligne inconnue, consulté le 23 février 2014, disponible à l’adresse <http://sensenbrenner.house.gov/legislation/theusafreedomact.htm>