Ce jeudi 27 février 2014, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), grâce à son nouveau pouvoir de nomination des Présidents de l’audiovisuel public, s’est prononcé en faveur du plus jeune des six candidats en lice, Mathieu Gallet, actuel Président de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), pour prendre la tête de Radio France. Le jeune âge de Mathieu Gallet (37 ans) mais surtout sa position marquée à droite font de ce choix une réelle surprise, mais affirme l’indépendance du CSA.
Le retour de la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public dans les mains du CSA
Mathieu Gallet a été nommé dans le cadre de la restitution au CSA du pouvoir de choisir les présidents des chaînes publiques. Ce pouvoir avait en effet été retiré à l’autorité de régulation de l’audiovisuel lors de la présidence de Nicolas Sarkozy qui avait attribué au Président de la République cette faculté de nommer les Présidents respectifs de France Télévision, Radio France et France Médias Monde (ex-Audiovisuel Extérieur de la France). Il se trouve d’ailleurs, par ironie, que Mathieu Gallet à l’époque avait fait mis sur pied cette loi alors qu’il était au service du Ministère de la Culture dont la Ministre de l’époque était Christine Albanel.
Désormais ce pouvoir de nomination est donc revenu au CSA, comme François Hollande l’avait promis dans sa campagne présidentielle, suite à la loi en date du 31 octobre 2013 sur l’indépendance de l’audiovisuel public. Les patrons de ces grands groupes sont nommés pour des mandats d’une durée de cinq ans à la majorité des membres du CSA, et cela a été le cas pour Mathieu Gallet comme l’a dit Olivier Schrameck, Président actuel du CSA, puisque « la décision a été unanime, neuf voix sur neuf ».
Des impératifs compliqués pour Radio France
Mathieu Gallet semble avoir su convaincre les membres du CSA par son dynamisme et les projets qu’il entend faire mener à Radio France. Créé en 1975, le groupe Radio France rassemble les radios France Inter, France Culture, France Info, France Musique, FIP et Le Mouv’, ainsi que quarante-quatre radios locales du réseau France Bleu. La Maison Ronde étant en crise, elle a un besoin urgent de revoir sa politique car plusieurs objectifs sont à atteindre.
Tout d’abord, Radio France a pris du retard quant à l’écriture de sa nouvelle convention collective qui avait été remise en question en 2009. En effet, en 1986, France Télévision, Radio France et l’INA s’étaient réunis dans l’Association des employeurs du service public de l’audiovisuel, pour laquelle s’appliquait la convention collective de la communication et de la production audiovisuelle. Or en 2009, France Télévisions avait décidé de démissionner de cette association. L’INA et Radio France avaient alors considéré que l’association n’avait plus de raison d’être puisque France Télévisions était le plus gros employeur du secteur audiovisuel. Mais selon la jurisprudence de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation, la dissolution de l’organisation signataire d’une convention collective entraîne la remise en cause de ladite convention. Donc l’INA et Radio France ont du conclure chacun une nouvelle convention collective à appliquer à leurs salariés, et notamment aux journalistes. Si l’INA a réussi à en conclure une en 2012, qui a été mise en place en janvier 2013, Radio France en revanche n’a pas vu ses négociations collectives aboutir et les salariés sont désormais régis par le Code du Travail, ainsi que par la Convention Nationale des Journalistes pour les journalistes.
Ensuite, Mathieu Gallet a bien compris que Radio France devait se développer dans le numérique. En effet, Olivier Schrameck, a expliqué que « la conscience des enjeux numériques » et « la vision stratégique » qu’avait prouvées Mathieu Gallet lors de son audition à huis-clos avaient séduit l’unanimité des membres du CSA. Le Président du CSA ajoute que « de tous les candidats, c’est celui qui appréhendait le mieux l’enjeu du renouvellement de l’audience et de la conquête du jeune public » pour la Maison de la radio. En effet, dans les objectifs que s’étaient fixés l’Etat et Radio France pour la période 2010-2014, il était clairement défini qu’il fallait réussir à toucher un plus large public, et pour cela s’attirer les bonnes grâces des plus jeunes. Des enquêtes montrent que trop de gens pensent encore que les radios comme France Inter, France Info ou France Culture n’ont pas leur place dans les écouteurs des jeunes auditeurs, et c’est pourquoi la Maison Ronde doit continuer de se démener pour créer de nouvelles chroniques, avoir de nouveaux animateurs qui attireront la tranche des 18-25 ans. D’une manière générale, Mathieu Gallet aura en charge de rehausser les audiences des différentes stations puisque Radio France obtenait une audience de 25,2% en 2013, un point de pourcentage de moins qu’en 2009.
Finalement, Mathieu Gallet a lui-même annoncé aux employés de l’INA que « les enjeux de management et de modernisation sociale d’une grande entreprise de service public, les défis du numérique et de la multidiffusion sur les nouveaux terminaux, l’ambition de proposer une offre élargie et complémentaire de radio pour tous » l’avaient entre autre convaincu de présenter sa candidature pour le poste de Président de Radio France.
Un parcours spectaculaire qui a su démarquer Mathieu Gallet des cinq autres candidats
La partie était pourtant loin d’être gagnée pour Mathieu Gallet au moment où il a, un peu par surprise, présenté sa candidature pour ce poste. En effet, des candidats étaient déjà favoris pour occuper la haute fonction au sein de Radio France.
Le Président sortant Jean-Luc Hees, qui avait réussi le « colossal chantier » de la Maison de la Radio et qui avait su lancer les radios publiques sur Internet, s’était représenté pour ce nouveau mandat. Pourtant, sa nomination cette fois-ci présentait deux inconvénients : tout d’abord il aurait eu l’âge maximum de 65 ans en cours de mandat et aurait donc été contraint de quitter le poste et de générer une nouvelle nomination, mais également il avait connu un certain « effritement » des audiences au cours de ce dernier mandat et une nouvelle figure de tête semblait nécessaire pour remettre le navire à flots.
On trouvait trois candidats favoris parmi les six sélectionnés par le CSA. Tout d’abord Anne Durupty (Directrice générale d’Arte et ex-membre du CSA) et Anne Brucy (ex-directrice de France Bleu) qui étaient mises en avant par la Ministre de la Culture Aurélie Filipetti pour une simple raison de parité puisque cette logique voudrait qu’il y ait un président et une présidente pour la plus haute fonction de Radio France et France Télévisions, or la Ministre souhaiterait qu’un homme, Emanuel Hoog, prenne la présidence de France Télévisions. Enfin, Martin Ajdari présentait « le dossier le plus solide » en ayant une parfaite connaissance du fonctionnement de Radio France puisqu’il avait été le numéro deux lors de la présidence de Jean-Paul Cluzel.
Outre Mathieu Gallet, un deuxième candidat avait un peu surpris : il s’agissait de Philippe Gault, Président du SIRTI (Syndicat Interprofessionnel des Radios et Télévisions Indépendantes). Lui mettait en avant les projets du numérique et du social pour Radio France.
Finalement, c’est Mathieu Gallet qui a le mieux su convaincre par sa « personnalité jeune », ses projets pour Radio France, et sa réussite dans la présidence de l’INA. Les membres du CSA ont par ailleurs précisé que le candidat nommé avait été largement meilleur au cours de son audition par rapport aux autres. Le Président de l’INA a de plus un parcours très riche puisqu’il est passé d’abord par le privé (Warner, Pathé puis Canal +) avant de se tourner vers une carrière politique fulgurante auprès de Christine Albanel puis de son successeur Frédéric Mitterand au Ministère de la Culture.
Preuve de l’indépendance du CSA vis-à-vis de l’Etat
Le CSA est sur surveillance étroite car l’opinion publique craint toujours que son indépendance vis-à-vis du Gouvernement ne soit que prétendue et ne constitue en réalité qu’un « vaste trompe l’œil ». Pourtant, l’autorité de régulation a ici prouvé que son choix était fait en toute indépendance. En effet, Mathieu Gallet était loin d’être l’un des favoris au vu de son penchant à droite, notamment à travers sa carrière politique, mais également en raison de son jeune âge qui pouvait laisser penser à une inexpérience et une simple volonté « d’ajouter une ligne sur son CV », déjà bien rempli. Ici le CSA a donc fait taire la rumeur et a prouvé qu’il n’entretenait aucune « connivence, supposée, avec tel ou tel, au plus haut niveau de l’Etat » et il « sort renforcé de cette élection ».
Reste à savoir si l’indépendance dont fait preuve le CSA aujourd’hui sera tenace lors de la nomination du Président de France Télévisions, puisque le mandat du Président actuel, Rémy Pfimlin, arrivera à son terme en 2015.
Bibliographie :
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