La flamme olympique de Sotchi (Russie) s’est éteinte dimanche soir devant les caméras du monde entier. L’entrain pour ces festivités fait cependant oublier au public le travail considérable effectué par les médias, pendant cette quinzaine, travail qui lui permet d’accéder librement aux informations sportives. En effet, pour ces Jeux Olympiques, le site de Sotchi comptait autant de journalistes accrédités (2800) que d’athlètes (2873). Cependant, certains de ces acteurs de l’information, selon leur nationalité, voient leur liberté d’information reconnue avec plus ou moins de restrictions. L’événement international a ainsi été l’occasion pour les médias russes de dénoncer les atteintes à cette liberté orchestrées par l’État.
En Russie, la liberté d’information sous contrôle de l’État
Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (JO) le 7 février dernier, des milliards de téléspectateurs ont pu assister en direct au couac technique du cinquième anneau de l’emblème des JO… excepté le public russe. En effet, sur le territoire hôte, la cérémonie était diffusée en décalé et le ton était donné : quelle liberté d’information pour les médias à Sotchi ?
Peu d’incidents journalistiques ont été révélés durant cette quinzaine : le terrain avait été correctement défriché par les autorités russes, en amont des Jeux.
Depuis 2012, le Président russe Vladimir Poutine a renforcé l’arsenal juridique pénal visant à restreindre la liberté d’information sur son territoire en réaction à la récente détermination de la société civile à faire entendre ses droits. En particulier, alors que les délits de presse avaient été dépénalisés par la Douma (Parlement russe) une année auparavant, la notion de diffamation est réapparue élargie et permet notamment de condamner les journalistes exprimant des opinions dissidentes à 5 ans d’emprisonnement. De même, l’État contrôle et définit les sujets que les médias ne peuvent pas aborder, en pénalisant par exemple « la propagande homosexuelle » et bientôt, « l’offense aux sentiments patriotiques ».
Ainsi, la liberté d’information est conditionnée au bon vouloir des autorités publiques exerçant un contrôle rapproché des contenus éditoriaux. Les médias nationaux sont largement maîtrisés par le pouvoir en place, et les médias locaux et régionaux, même s’ils sont principalement privés, comme à Sotchi, s’autocensurent. Cette constatation a été faite dans un rapport publié par Reporters sans frontières intitulé « Sotchi. Le journalisme indépendant : un sport de combat » et réalisé dans le cadre de la campagne internationale : « Le journaliste indépendant, seule discipline interdite à Sotchi ». L’autocensure s’explique d’abord par la forte vulnérabilité économique des supports d’information locaux qui sont pour la plupart gratuits et peinent à trouver des annonceurs publicitaires dès lors que les rédacteurs y expriment des opinions ouvertement séparatistes ou critiques envers le pouvoir en place. En difficulté, le média n’a alors qu’une solution, se soumettre au système public russe de soutien aux médias qui s’avère être un instrument de dépendance fort. Effectivement, en échange de financement et d’avantages fiscaux, le média doit publier un quota d’informations provenant directement du service de presse de l’administration. Ce sont des « accords de fourniture d’informations » qui sont à l’origine de nombreuses ingérences dans les contenus éditoriaux des médias locaux.
Le journaliste indépendant est donc une espèce en voie de disparition sur le territoire russe d’autant plus que les intimidations, arrestations, procès et suspensions d’activité ce sont multipliés avant l’ouverture des Jeux.
D’une part, s’agissant des journalistes russes, à Sotchi, le premier cas controversé d’arrestation a été celui du reporter freelance Nikolaï Iasrt accusé de « possession de drogues » et soumis à résidence entre mai et décembre 2013 alors qu’il enquêtait sur une jeune fille, héritière de parts importantes dans l’immobilier, retenue par le compagnon de sa mère décédée, tandis qu’une décision de justice la plaçait sous la garde de son père biologique. Une décision que les autorités russes n’entendaient pas exécuter activement. Ensuite, dans la région de Sotchi, deux journalistes indépendants, Sergei Reznik et Alexandre Tolmatchev, ont notamment été arrêtés fin 2013 alors qu’ils enquêtaient sur des affaires de corruption politique et judiciaire. De même, toujours dans cette région, de nombreux écologistes ont été harcelés et un défenseur des Droits de l’Homme, Mikhaïl Savva, ce dernier, toujours en détention, a été accusé de « détournements de fonds ». De telles situations ont également été constatées au niveau national puisqu’en janvier 2014, la chaîne de télévision indépendante « Djad », qui laisse l’opposition s’exprimer librement, a été harcelée et suspendue de façon arbitraire par les opérateurs nationaux, perdant ainsi 80 % de son audience. Ces situations sont souvent injustifiées et attentatoires à la liberté d’expression. Rappelons également que Vladimir Poutine, afin d’accentuer son contrôle sur les médias, avait fait le choix en décembre 2013, de dissoudre la Ria Novosti, principale agence de presse officielle de l’État, alors remplacée par la Rossia Segodnia (La Russie aujourd’hui), en charge de la promotion de l’image de la Russie à l’étranger.
D’autre part, ce système répressif russe ne semble pas épargner les journalistes internationaux. Le 14 janvier 2014, le ministère des affaires étrangères russe a sanctionné le célèbre reporter américain David Satter en lui interdisant l’entrée en Russie pour une durée de cinq ans suite à un séjour irrégulier effectué par celui-ci. Une sanction disproportionnée et probablement directement liée à l’ouvrage « Darkness at Dawn : The Rise of the Russian Criminal State » publié par ce dernier concernant la présidence de Vladimir Poutine.
En outre, d’autres cas d’intimidation de la presse étrangère ont été relevés. Des équipes de télévisions norvégienne et tchèque enquêtant sur les préparatifs des JO de Sotchi ont été harcelées (interpellées et interrogées sur leurs sources) et intimidées par les autorités russes.
Malgré la dénonciation de ces affaires par Reporters sans frontières et les inquiétudes dont ont fait part les médias internationaux concernant les atteintes à la liberté d’information en Russie, les Jeux Olympiques de Sotchi ont justifié, pour les autorités russes, la mise en place de dispositifs restrictifs visant à garder le contrôle sur les médias et communications.
Cela a été le cas lors de l’attribution des 200 accréditations olympiques réservées aux médias russes. Le Comité d’organisation des Jeux, jugeant que les demandes d’accréditations transmises par les rédactions étaient trop nombreuses, a choisi d’organiser un concours sur le thème « Ta star sportive ». Pour la majorité des acteurs de l’information, cela s’apparentait à un concours de propagande visant à sélectionner les journalistes les moins critiques envers les autorités. Certains ont appelé au boycott des JO mais sans succès, les accréditations ont été attribuées arbitrairement. Pour exemple, des attachés de presse de grandes entreprises russes ont reçu leurs accréditations aux dépends de certains journalistes professionnels. Une procédure peu conventionnelle, polémique et servant indirectement à prévenir tout risque de critique durant la quinzaine olympique.
Plus restrictif encore pour les libertés, Vladimir Poutine a placé les Jeux sous état d’urgence, par un simple décret et non par une loi comme le prévoit la Constitution russe, et ce, afin de contrôler de façon accrue la circulation des biens et des personnes à Sotchi. Une mesure justifiée par la « menace terroriste » et qui rend plus difficile le travail des médias locaux non accrédités. Par la même occasion, le président russe en a profité pour interdire tout « rassemblement, meeting, manifestation, cortège ou piquet » sans en démontrer la nécessité. Les médias russes dénonçaient une mesure disproportionnée. L’exposition et la pression internationale des Jeux qui avaient poussé Vladimir Poutine à la libération des Pussy Riots et des activistes de Greenpeace, n’a cependant pas eu l’effet escompté ces derniers jours. En effet, de nombreuses violations des droits de l’Homme ont été révélées, liées notamment aux arrestations violentes d’une part, de neuf personnes dans le centre de Sotchi (dont des Pussy Riots), et d’autre part, de deux écologistes, qui manifestaient pour faire reconnaître leur cause. Amnesty International reprochait d’ailleurs au Comité international olympique (CIO) , de ne pas être intervenu pour condamner ces faits.
Dans le même ordre d’idée, il avait été révélé par le quotidien britannique The Guardian, le renforcement du système SORM du Service fédéral de sécurité russe, destiné à la surveillance des communications téléphoniques, du trafic internet, à la collecte et au stockage sur serveurs de toute forme de communication. Les médias russes étant déjà habitués à ces intrusions, il s’agissait surtout d’alerter les journalistes étrangers accrédités sur l’importance de la sécurisation de leurs communications durant les JO. Faut-il établie un lien avec la mise en place -pour la première fois de l’histoire- d’un service wi-fi gratuit pour les participants des Jeux ?
Enfin, comme pour les JO de Londres, une mesure d’interdiction a été prise en Russie : celle faite aux journalistes de filmer les Jeux avec leurs smartphones ou tablettes pour les publier sur les réseaux sociaux. Une mesure compréhensible et justifiée au regard des sommes exorbitantes déboursées pour l’achat des droits exclusifs de retransmission de l’événement, mais dans les faits, très peu respectée. Les réseaux sociaux font aujourd’hui partie intégrante de la promotion de ces Jeux Olympiques, leur contrôle est délicat et difficile. En Russie, il existe notamment une liste noire de sites Internet, bloqués sans décision de justice et de façon arbitraire.
Ainsi, contrairement à l’idée que l’on pouvait se faire sur l’amélioration de l’encadrement excessif de la liberté d’information en Russie, liée à une exposition internationale durant les Jeux Olympiques de Sotchi, des mesures encore plus attentatoires ont été prises durant l’événement. Enfin, malgré les quelques dénonciations relatives aux droits de l’Homme relayées dans le monde, l’entrain international pour ces festivités a en partie occulté en partie les difficultés rencontrées par les journalistes russes.
Par ailleurs, si en Russie, la liberté d’expression est restreinte, en France, il semble que les journalistes français en ont largement usé, voire abusé durant ces JO d’hiver…
Et pendant ce temps, la liberté d’expression en France…
La quinzaine olympique a largement été couverte par les médias français. Plus particulièrement, les téléspectateurs, en nombre, ont pu assister, en direct, aux épreuves sportives sur France télévisions. Des audiences records pour la société nationale de télévision puisque les deux chaînes qui se partageaient la retransmission des jeux, France 2 et France 3, ont réalisé des parts d’audience par semaine d’environ 17 % pour la première et 10 % pour la seconde, supérieures à celles réalisées en période normale (14 % et 9%).
Rappelons la raison pour laquelle les Jeux Olympiques ont été intégralement retransmis sur ces chaînes publiques : France télévisions a acheté les droits exclusifs de diffusion au CIO pour la télévision mais également pour Internet et le téléphone mobile. D’autres éditeurs auraient pu prétendre à ces droits ; cependant cela n’aurait eu que peu d’intérêt puisqu’il faut savoir que les Jeux Olympiques font partie des événements d’importance majeure listés par le décret du 22 décembre 2004. Or, selon ce texte, l’exercice par un éditeur de services de télévision des droits de retransmission exclusifs sur cet événement, ne peut pas faire obstacle à la retransmission intégrale et en direct de celui-ci par un service de télévision à accès libre. Ce sont les éditeurs dont le financement ne fait pas appel à une rémunération de la part des usagers et dont les émissions peuvent être effectivement reçues par au moins 85 % des foyers de France métropolitaine (France télévision, TF1, M6…). Cette disposition est justifiée au nom du droit du public à l’information.
Ainsi, France télévisions a consacré 200 h de direct aux Jeux Olympiques. Pour présenter certains événements sportifs, deux journalistes ont été choisis, Nelson Monfort et Philippe Candeloro. Le duo a exercé pleinement sa liberté d’expression allant même jusqu’à tenir des propos qui ont indigné une grande partie de l’auditoire français. En effet, de vives critiques à l’encontre des commentaires jugés « sexistes » ou « misogynes » ont été relevées sur les réseaux sociaux et différents supports d’information. Par exemple, M. Candeloro déclarait, « Je connais un anaconda qui serait bien allé embêter cette Cléopâtre canadienne! » ou « Vous pourrez lui dire que c’est pas la seule à être excitée, elle a un joli sourire cette patineuse! ».
Ayant reçu plus de 200 messages de plainte, Christine Kelly, membre de Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), avait annoncé que l’autorité allait se pencher sur le dossier. En effet, le CSA a déclaré officiellement, lundi 24 février, le visionnage des images afin d’étudier les propos. Quels conséquences pour France télévisions ? En se fondant sur une décision du CSA du 13 février 2014 publiée le 25 février dernier, il s’agirait de rappeler à France Télévisions ses missions de promotion de l’égalité, inscrites à l’article 43-11 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée et ses engagements pris concernant la représentation des femmes dans le groupe à l’occasion de la Journée Internationale de la Femme et de différents événements publics. Dans cette affaire où des propos à caractère misogyne avaient été tenus dans une émission portant sur le football féminin, le CSA avait relevé la contradiction entre de tels propos tenus par des chroniqueurs de l’émission diffusée à des horaires de grande écoute, et les actions menées par le groupe pour promouvoir l’image et la place de la femme. Cependant, avec les déclarations du duo « Monfort-Candeloro » et son retentissement public, il s’agirait d’un second manquement lié à des propos misogynes tenus sur France télévisions. Mise en garde ou mise en demeure ? Affaire à suivre…
En tout état de cause, bien loin du régime répressif imposé en Russie et durant ces Jeux Olympiques, les journalistes français n’auront pas manqué d’user de leur liberté d’expression ; on regrettera cependant les paroles discutables de certains…
Sources :
ANONYME, « Jeux olympiques de Sotchi : la liberté de l’information n’est pas à la fête », rsf.org, mis en ligne le 6 février 2014, consulté le 20 février 2014, disponible sur <https://fr.rsf.org/russie-jeux-olympiques-de-sotchi-la-06-02-2014,45828.html>
ANONYME, « Bilan de Sotchi : les arrestations, une discipline olympique à part entière », amnesty.fr, mis en ligne le 24 février 2014, consulté le 24 février 2014, disponible sur <http://www.amnesty.fr/AI-en-action/Protegeons-les-personnes/Defenseur-des-Droits-Humains/Actualites/Bilan-de-Sotchi-les-arrestations-une-discipline-olympique-part-entiere-10961>
ANONYME, « En Russie, Poutine accentue son contrôle sur les médias », lemonde.fr, mis en ligne le 9 décembre 2013, consulté le 20 février, disponible sur <http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/12/09/vladimir-poutine-accentue-son-controle-sur-les-medias-russes_3528033_3214.html>
CHAUVEAU A., « JO de Sotchi: médias russes bâillonnés », huffingtonpost.fr, mis en ligne le 14 février 2014, consulté le 20 février 2014, disponible sur <http://www.huffingtonpost.fr/agnes-chauveau/jo-de-sotchi-medias-russe_b_4768520.html>
HAUSHALTER L., « Commentaires des JO : quelle décision peut prendre le CSA? », europe1.fr, mis en ligne le 25 février 2014, consulté le 25 février 2014, disponible sur <http://www.europe1.fr/Medias-Tele/Commentaires-des-JO-quelle-decision-peut-prendre-le-CSA-1811705/>