À la suite de l’arrêt du Conseil d’Etat du 14 février 2013 ouvrant la commercialisation des médicaments non soumis à prescription médicale sur Internet, l’arrêté du 12 juillet 2013 autorise la vente en ligne d’environ 4000 médicaments sans ordonnance sur des sites de pharmacies autorisés et contrôlés par l’Ordre National des Pharmaciens et le Ministère de la Santé.
Pourtant, la société Enova, trouvant ce contrôle trop contraignant et portant atteinte à l’e-commerce, avait décidé de commercialiser sur le site 1001Pharmacies.com des médicaments, qu’ils soient soumis à prescription obligatoire ou non.
La fin du monopole des pharmacies comme argument d’origine
En période de crise économique, les utilisateurs de ces sites trouvent facilement de quoi justifier cet engouement pour les pharmacies en ligne du fait du prix plus avantageux des médicaments qui y sont achetés. Mais les professionnels de la santé crient quant à eux, au scandale. En effet, d’un point de vue éthique, le bien être des malades ne doit pas passer après des questionnements financiers.
Ceux-ci toléraient en effet depuis l’arrêté de juillet 2013 la vente des médicaments sans ordonnance avec pour principe que seules les vraies pharmacies pouvaient commercialiser ces médicaments sur Internet.
Mais la société Enova créatrice du site 1001Pharmacies.com ne l’entend pas de cette oreille et revendique un partenariat important avec des pharmacies reconnues afin de vendre également les médicaments. Cette société défend son rôle d’intermédiaire entre les patients et les pharmaciens auprès desquels elle se fournit, ce qui portait déjà atteinte aux obligations légales contenues dans le code de la santé publique. (Article L4225-26 du code de la santé publique).
Le TGI de Paris, dans son ordonnance de référé du 8 août 2014, condamne ainsi la société Enova pour le non-respect de ces principes, notamment en ce que les responsables du site n’ont pas la qualité de pharmaciens.
Mais les constatations de violations ne s’arrêtent pas là. En effet, dans la rubrique « À propos » accessible sur le site, il existe une notice explicative indiquant la possibilité d’effectuer une commande de médicaments avec ou sans ordonnance. Une autre rubrique du site explique ensuite la manière de transmettre l’ordonnance en la scannant ou en la retranscrivant, ce qui ne laisse ainsi aucun doute sur la volonté de ces commerçants à mettre à disposition des internautes, tous les médicaments.
Le point 21 de la directive 2011/62/CE du Parlement Européen dispose par ailleurs que « les États membres peuvent imposer des conditions pour la délivrance au détail de médicaments au public», notamment pour ce qui est de la vente en ligne. Et c’est le cas en l’espèce pour l’autorisation de la vente à distance de médicaments, sous réserve qu’ils ne soient pas soumis à prescription obligatoire et qu’ils soient délivrés par une autorité compétente, à savoir des pharmaciens officiels. (Article L. 5125-34 du code de la santé publique).
Le jugement du TGI du 8 août 2014 établit alors que le site 1001Pharmacies.com transgresse ces règles. Il doit donc cesser toute vente à distance de médicaments sinon, il encourra une astreinte de 1000euros par jour.
Vers une « déshumanisation » des métiers de la santé
Les questions sur les risques liés à la vente de médicaments sans ordonnance sur Internet sont déjà anciennes et les abus tels que la contrefaçon ou la difficulté financière des pharmacies de campagne du fait de la concurrence de ces sites, ont été démontrés. Il apparait légitime que le cadre législatif qui protège la commercialisation des médicaments soit strict à cause des conséquences importantes que des comprimés contrefaits pourraient avoir sur la santé d’un individu.
L’Ordre National des Pharmaciens met l’accent sur la définition première de ce professionnel. Il est considéré comme étant le conseiller et l’accompagnant des malades en traitement, définition mise à mal par le développement des nouvelles technologies et des évolutions de la société actuelle tournée vers le commerce électronique. En effet, avec la montée en puissance des sites internet dans de nouveaux domaines très réglementés comme celui de la Santé, le fait de commander des médicaments en ligne devient un acte banal qui ne devrait normalement pas l’être.
La France est l’un des premiers consommateurs de médicaments au monde, et les sites de forums médicaux tels que « Doctissimo » ou « Vulgaris médical » sont très fréquentés par les internautes, souvent avant même que les patients ne consultent un véritable médecin.
Les pharmacies virtuelles peuvent donc accentuer l’automédication des français puisque les médicaments sont plus facilement accessibles. Ils deviennent d’autant plus, de véritables clients capables de comparer les prix sur Internet par rapport aux officines locales, de la même manière qu’ils commanderaient leurs courses alimentaires en ligne.
Et c’est là tout le problème qui se pose : est-ce normal aujourd’hui de pouvoir banaliser un achat tel que celui de ses médicaments ? Comme si cet achat n’avait pas d’importance, si ce n’est le prix plus avantageux des comprimés pour les consommateurs, et la possibilité de ne plus se déplacer pour les personnes qui vivent dans les déserts médicaux. Ces arguments se défendent effectivement, ajoutés à celui de la confidentialité qu’offre le formulaire en ligne par rapport au comptoir de l’officine physique, mais suffisent-ils à justifier le risque de voir se multiplier les abus des vendeurs malhonnêtes ?
Sources :
JSA ET ASSOCIES « Seuls les pharmaciens ont droit de vendre des médicaments en ligne », jsa-avocats.fr mis en ligne le 15 septembre 2014, consulté le 11 octobre 2014 <http://www.jsa-avocats.fr/seuls-les-pharmaciens-ont-droit-de-vendre-des-medicaments-en-ligne/ >
TGI Paris Ordonnance de référé 8août 2014, CNOP c./ENOVIA, Legalis.net, consulté le 11 octobre 2014 < http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4265 >
ANONYME, « 4000 médicaments sans ordonnance désormais disponible sur Internet », Le nouvel Observateur, mis en ligne le 12 juillet 2013, consulté le 11 octobre 2014
Article et vidéo < http://tempsreel.nouvelobs.com/sante/20130712.OBS9228/4-000-medicaments-sans-ordonnance-desormais-disponibles-sur-internet.html >