Il relève presque de l’impossible d’ignorer l’arrivée du géant américain de la SVOD (service de vidéo à la demande par abonnement) Netflix en France. Annoncé comme la révolution de l’audiovisuel français, l’évènement a été largement relayé par les médias. Netflix est ainsi disponible en France depuis le 15 septembre dernier et propose à l’utilisateur de souscrire un abonnement mensuel lui ouvrant un accès illimité aux nombreuses séries et films disponibles sur sa plateforme en ligne.
La société américaine, d’abord lancée en 1997 par Reed Hastings et Marc Randolph comme un service de location de DVD par correspondance, a connu une évolution spectaculaire. Introduite en bourse en 2002, elle propose dès 2007 un service de vidéo à la demande par abonnement en streaming sur ordinateurs puis sur différents appareils connectés (Xbox, Playstation, tablettes, smartphones, télévisions connectées, box internet…). Netflix commence alors à s’étendre sur différents territoires comme le Canada, l’Amérique latine puis l’Europe en 2012. Le service est proposé aujourd’hui dans plus de 50 pays et dépasse les 50 millions d’abonnés.
L’entreprise doit notamment son succès à son algorithme de recommandations qui permet d’analyser le profil de l’utilisateur pour ensuite lui proposer des films et séries selon ses goûts. De plus, son large catalogue de séries et ses tarifs plutôt attractifs répondent au phénomène de « binge waching », ce nouveau mode de consommation audiovisuel de plus en plus répandu consistant à regarder les épisodes d’une série les uns à la suite des autres. Enfin, la société s’est lancée dans le financement et la production de séries originales comme « House of Cards » ou « Orange is the New black » qui sont rapidement devenues très populaires. La société va même encore plus loin en commençant la production de films originaux comme « Tigre et Dragon 2 » dont la sortie est prévue pour 2015.
La venue de Netflix en France est alors vue comme une menace pour tout le paysage audiovisuel. On craignait en effet que l’entreprise ne respecte pas la réglementation française, son siège social étant établi au Luxembourg.
Une réglementation française contraignante
L’audiovisuel français est soumis à la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Un service de vidéo à la demande, tel que Netflix, est considéré en France depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2009 (venant transposer le droit communautaire de la communication audiovisuelle) comme étant un Service de Média Audiovisuel à la Demande (ou SMAD) qui doit donc être soumis à la loi de 1986. Ainsi, les éditeurs de SMAD, sous le contrôle du CSA, sont contraints de respecter les obligations propres aux éditeurs de télévision.
Rappelons rapidement le cadre juridique. Tout d’abord, en matière de protection des mineurs, la classification des programmes et la signalétique d’âges (tous publics, -10 ans, -12 ans, -16 ans, -18 ans) doivent être appliquées. Ensuite, les services par abonnement participent à la production d’oeuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes et d’expression originale française en versant une contribution sur leur chiffre d’affaire. Par ailleurs, afin de favoriser la promotion des œuvres françaises et européennes, un quota de diffusion de 60% d’œuvres européennes et 40% d’œuvres d’expression originale française est requis. Enfin, s’impose également la règle concernant la chronologie des médias qui fixe un délai d’au moins 4 mois après la sortie en salle d’une œuvre cinématographique avant de pouvoir la mettre à disposition d’un service de vidéo à la demande à l’acte, et de 36 mois pour la vidéo à la demande par abonnement.
Ayant son siège social européen basé au Luxembourg, Netflix n’est en principe pas soumis à cette réglementation française. Inquiets de cette situation, les pouvoirs publics ont demandé des garanties à l’entreprise au moment des négociations de son installation. Le PDG Reed Hastings s’est alors engagé à respecter la chronologie des médias et, pour témoigner de sa bonne volonté, a annoncé vouloir produire une série en France : « Marseille », qui sera diffusée dans le monde entier et contribuera ainsi au rayonnement culturel de la France.
Cette position d’éditeur de SMAD depuis l’étranger met en exergue des problématiques qui doivent faire réagir l’Etat français. C’est ce qu’a souligné la ministre de la culture Fleur Pellerin lors d’un séminaire du CSA intitulé « l’audiovisuel, enjeu économique » le 2 octobre dernier. Celle-ci a en effet déclaré qu’il fallait impérativement « faire en sorte que les services audiovisuels souscrivent demain aux obligations légales des pays auxquels ils se destinent », les pouvoirs publics devant s’assurer que la concurrence sur le marché soit équitable pour tous les acteurs.
En outre, l’arrivée de Netflix semble accélérer le débat sur la question de la chronologie des médias jugée trop contraignante. Ainsi, le Centre National du cinéma et de l’image animée (CNC) au mois de juillet a préconisé une réduction de 36 à 24 mois pour la SVOD tandis que le rapport Lescure du printemps 2013 proposait quant à lui de passer à 18 mois. Néanmoins, si le CNC s’est positionné en faveur d’une réduction, celle-ci ne devrait selon lui s’appliquer qu’aux acteurs dits « vertueux », c’est-à-dire ceux qui participent au financement de la création française et européenne. Un avertissement clair en direction de Netflix.
Vers l’extinction du septième art ?
Un autre événement récent fait encore craindre un peu plus ce colosse de la SVOD. Netflix, toujours plus ambitieux, s’est associé au studio Harvey Weinstein pour produire un film original, « Tigre et Dragon 2 ». Netflix a annoncé que ce film serait lancé directement sur sa plateforme en ligne, en même temps que dans les salles de cinéma IMAX aux Etats-Unis. Les trois grands réseaux d’exploitants de ces salles ont alors fait savoir qu’ils refuseraient de diffuser ce film dans leurs salles. En définitive, si cela devait arriver, le film ne serait tout simplement pas projeté sur les écrans de cinéma mais ne serait plus diffusé que sur la plateforme Netflix. Même si un tel scénario n’a pas encore vu le jour en France, il pose quand même certaines questions quant à l’avenir du cinéma.
Pour autant, malgré ces nombreuses craintes, l’arrivée de Netflix n’a pas encore révolutionné l’audiovisuel français, de nombreux services de vidéos à la demande existant déjà en France. Cela pourrait même plutôt avoir des effets positifs sur le marché de la SVOD.
La riposte des concurrents
La venue en France du leader mondial de la SVOD a amené les professionnels du secteur à réagir et à revoir leurs offres. D’un côté, Canalplay, le concurrent direct de Netflix qui propose également des séries originales et un large choix de films pour la même gamme de prix, a lancé une grande campagne de communication cet été en s’offrant une égérie de renom, l’acteur John Malkovich, pour ses publicités télévisées. Canalplay s’est doté d’une nouvelle interface et de nouvelles fonctionnalités (comme la possibilité de créer plusieurs profils à partir d’un même compte ou visionner les programmes hors connexion) mais surtout, il a développé ses algorithmes de recommandations afin de pouvoir contrer Netflix. De l’autre côté, on voit apparaître de nouveaux acteurs comme Wuaki, filiale du groupe japonais Rakuten, Orange qui prévoit également de monter une offre de SVOD concurrente, ou encore l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) qui a annoncé son intention de lancer un service de vidéos à la demande dont le catalogue sera composé de ses 25 000 programmes d’archives.
On observe une structuration du secteur entreprise par des professionnels motivés et cherchant toujours plus à innover et à se perfectionner afin d’être le plus compétitif.
Alors finalement, Netflix, bombe à retardement ou simple électrochoc ? Il semblerait plutôt pour le moment que l’arrivée de Netflix en France invite surtout à repenser le système audiovisuel français d’aujourd’hui tout en stimulant le marché de la SVOD. D’autant plus que, après un mois d’existence en France, il s’avère que Netflix n’a pas remporté le succès escompté, provoquant une chute brutale du cours de son action en bourse.
SOURCES :
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JAIMES N., « L’arrivée de Netflix va pousser Canal + à réinventer son offre », journaldunet.com, mis en ligne le 15 septembre 2014, consulté le 13 octobre 2014, <http://www.journaldunet.com/media/publishers/netflix-impact-france.shtml>
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