Facebook a récemment de nouveau fait l’objet de l’actualité. Le réseau social a fait parler de lui, non pas au regard de la protection des données personnelles, mais au sujet de contenus publiés qui seraient « illicites », selon le Procureur de la République de Rodez.
Ainsi, le 9 septembre dernier, 15 personnes membres d’un groupe Facebook « anti-radars » ont été convoquées au Tribunal correctionnel de Rodez pour « soustraction à la constatation d’infractions routières », ainsi que pour certains, « outrage à agent sur le réseau social ». Le jugement mis en délibéré en décembre suscite de nombreuses interrogations aujourd’hui.
L’évolution vers le numérique qui a conduit à un certain nombre de changements dans notre société, concerne également des pratiques inattendues, telles que les habitudes routières des français au volant. Ainsi, la pratique dite « des appels de phare » a aussi connu une évolution avec l’émergence des réseaux sociaux. Au sein de ceux-ci, des centaines de groupes ayant pour objet d’avertir les autres membres de la présence de radars ont été créés. Ces groupes Facebook rencontrent un succès très important avec un nombre d’adhérents élevé et une participation active de ceux-ci. Tel était le cas en l’espèce, du groupe ayant fait l’objet de l’actualité en septembre dernier. Ce groupe intitulé « Le groupe qui te dit où est la police en Aveyron » compte plus de 10 000 membres. La pratique litigieuse qui fait polémique soulève aujourd’hui de nombreuses questions juridiques.
Une mise en danger potentielle des libertés d’information et d’expression
La multiplication des groupes sur Facebook est un phénomène difficile à évaluer quantitativement. Le nombre de groupes destinés à avertir de la présence de radars n’a cessé de croître. Au nom de la liberté d’information que certains prônent sur les réseaux sociaux, peut-on se permettre de tout écrire, et informer de tout? A cet égard, en droit positif, il convient de rappeler qu’il n’existe pas « d’incrimination précise pour sanctionner les automobilistes qui avertissent les autres usagers de l’existence d’un contrôle de police ». Ce principe a été posé par un arrêt rendu le 17 mai 1990 par la Cour d’appel de Dijon. Dès lors, certains s’interrogent sur la pertinence des poursuites en l’espèce.
Par ailleurs, la problématique en l’espèce est nouvelle. Les poursuites à l’encontre des membres du groupe sont inédites. Interdire la diffusion de ce type d’information alors qu’au regard de la jurisprudence, il ne semble pas exister d’incrimination précise, ne porterait-il pas atteinte aux libertés d’information et d’expression ?
Un procès opportun en vue de préciser l’étendue du champ d’incrimination du fondement visé
Selon le décret n°2012-3 portant diverses mesures de sécurité routière, il est prohibé d’utiliser des « avertisseurs de radars ». Par ailleurs, l’article R413-15 du code de la route incrimine la détention, le transport ou l’usage d’un appareil permettant la détection d’un radar ou en perturbant le fonctionnement. Toutefois, de nombreuses incertitudes sont apparues du fait que ces termes soient manifestement imprécis.
Le principe d’interprétation stricte de la loi pénale devrait en principe conduire le juge à relaxer les prévenus. Ainsi, le « groupe Facebook » ne semble pas pouvoir être incriminé au sens de l’article évoqué. Par ailleurs, il n’existe aucune jurisprudence pour éclairer le juge en l’espèce.
Il apparaît néanmoins utile de rappeler la polémique relative aux avertisseurs de radars sur laquelle le Conseil d’Etat s’est prononcé le 6 mars 2013. Ce dernier a précisé que « l’interdiction des avertisseurs de radars ne portait pas à la liberté de communiquer et de recevoir des informations, une atteinte disproportionnée aux objectifs d’ordre et de sûreté publics qu’elle poursuit ».
L’assimilation du réseau social à un produit pouvant être qualifié d’avertisseur de radars est contestée par l’avocat des prévenus. Selon ce dernier, l’information publiée constitue une « solution d’aide à la conduite » autorisée, qui peut inciter les autres automobilistes à la prudence et à la vigilance. La qualification du réseau social présente un enjeu en vue de déterminer si les messages publiés sur le groupe entrent dans le champ d’incrimination du texte visé. La solution attendue de ce jugement permettra de préciser le champ d’incrimination du fondement, qui apparaît aujourd’hui manifestement très imprécis.
Un procès fortement contesté eu égard au fondement des poursuites et à la qualification du réseau social
Le caractère public ou privé de l’écrit, au coeur de la problématique du délit d’outrage à agent sur le réseau social
Des jurisprudences récentes nous permettent d’affirmer que le délit d’outrage à agent sera en l’espèce difficile à caractériser. Ainsi, la Cour d’Appel de Douai dans un arrêt du 5 avril 2006 a infirmé un jugement qui avait condamné un individu pour outrage dès lors que les faits avaient été rendus publics. L’analyse de différents critères, entre autres la confidentialité du groupe, permet selon la jurisprudence de déterminer le caractère public ou privé d’une publication sur internet. A cet égard, le critère de la communauté d’intérêts a été posé par la jurisprudence. La communauté d’intérêts peut être définie comme « l’appartenance commune, des inspirations et des objectifs partagés ». Au regard de la jurisprudence, il peut exister une communauté d’intérêts entre des amis Facebook (voir en ce sens, civ.1ere, 10 avril 2013).
Néanmoins les faits sont différents en l’espèce car il s’agit d’un groupe Facebook. Il est opportun de s’interroger sur le caractère public ou privé. Dans l’hypothèse où le groupe serait « public » et où la publication litigieuse serait ouverte à un nombre illimité de personnes non liées par une communauté d’intérêts, l’information pourrait être qualifiée de publique. En l’espèce, cela semble avoir été le cas, et donc cela permettrait d’écarter le délit incriminé. Il reste possible de s’interroger sur le critère de la communauté d’intérêts: est-ce qu’un groupe Facebook réunissant plus de 10 000 membres est-il lié par une communauté d’intérêts? En l’espèce, l’existence de ce critère apparaît discutable. Par conséquent, ce procès met en évidence les difficultés à identifier ce qui relève de la sphère privée ou publique sur Facebook.
Cette affaire témoigne de l’importance de combler certains vides juridiques en matière de réseaux sociaux au regard des nombreuses problématiques juridiques qu’ils soulèvent. Elle met également en garde les utilisateurs de ces réseaux sociaux, des risques qu’ils peuvent encourir. Enfin, il est possible de s’interroger : N’y a-t-il pas une volonté de condamner un réseau social qui fait actuellement l’objet de vives critiques à de nombreux égards? La solution de ce procès est très attendue car elle pourrait faire jurisprudence.
SOURCES :
ANONYME, « Un groupe facebook anti-radars devant la justice », lexpress.fr, mis en ligne le 9 septembre 2014, consulté le 12 octobre 2014 <http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/un-groupe-facebook-anti-radar-devant-la-justice_1574135.html >
ANONYME, « Carton rouge en justice pour une page facebook anti-radar ? » franceinfo.fr, mis en ligne le 8 septembre 2014, consulté le 10 octobre 2014, <http://www.franceinfo.fr/actu/justice/article/carton-rouge-pour-une-page-facebook-anti-radar-564909>
LE DALL J-B., « Page anti-radars sur facebook : condamner les auteurs serait hypocrite », leplus.nouvelobs.com, mis en ligne le 9 septembre 2014, modifié le 10 septembre 2014, consulté le 13 octobre 2014<http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1239122-page-anti-radars-sur-facebook-condamner-les-membres-du-groupe-serait-hypocrite.html >
BERNE X. « Peut-on signaler des radars ou des contrôles sur Facebook?», nextimpact.com, mis en ligne le 2 juin 2014, consulté le 12 octobre 2014, <http://www.nextinpact.com/news/87795-interview-peut-on-signaler-radars-ou-controles-sur-facebook.htm >