Sept jeunes trisomiques ont déposé le 25 septembre dernier un recours auprès du Conseil d’État à l’encontre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) pour « excès de pouvoir » à la suite du retrait des antennes de la vidéo « Dear future Mom ».
Diffusée à titre gratuit par les chaînes Canal +, D8 et M6 à la suite de la journée mondiale de la trisomie qui s’était tenue le 21 mars 2014 ; elle fut proposée pendant 1 mois lors des séquences publicitaires ; avant d’être retirée sur les recommandations du CSA.
Cette vidéo a été réalisée par l’agence italienne Saatchi & Saatchi pour l’association Coordown qui milite pour l’intégration des personnes touchées par la trisomie 21. Elle est soutenue par les fondations « les amis d’Eléonore » et « Jérôme Lejeune » (découvreur de la trisomie 21), associations également connues pour leur militantisme anti avortement.
De nombreux Lions d’ors au Festival International de la Créativité et de nombreux débats
L’œuvre audiovisuelle présentée à l’ONU le 21 mars 2014, a reçu plusieurs Lions d’Or au festival International de la Créativité, et compte plus de 5 millions de vues sur Youtube, dont 4 millions dès sa première semaine sur la toile.
Mais ça n’en exclue pas des controverses qui portent non pas sur la qualité du court métrage mais sur ses réelles intentions.
Dans ce clip, de jeunes trisomiques rassurent une future mère angoissée car le bébé qu’elle attend porte le syndrome de Down.
Ils lui disent ainsi : « Il pourra te faire des câlins, il pourra aller à l’école, travailler, gagner de l’argent, voyager, avoir son propre appartement». La vidéo s’achève sur le message « les personnes trisomiques peuvent vivre une vie heureuse, ça dépend de nous tous ».
Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel contraint d’intervenir
A la suite de sa diffusion dans les encarts publicitaires de certaines chaînes de télévision françaises, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a reçu de nombreuses plaintes de téléspectateurs, qui auraient été dérangés par le message anti-eugénique et même culpabilisant, véhiculé par ce court métrage. Il a donc dû statuer sur la question.
Ainsi, Le conseil a adressé à ces chaînes le 25 juin 2014 une lettre d’avertissement, premier degré des rappels à l’ordre dans l’échelle des sanctions dont il dispose.
Il considère que « ce message ne relève pas de la publicité au sens de l’article 2 du décret du 27 mars 1992 », mais également, « qu’il ne peut pas non plus être regardé comme un message d’intérêt général, au sens de l’article 14 de ce même décret, bien qu’il soit diffusé à titre gratuit, puisque en s’adressant à une future mère, sa finalité peut paraître ambiguë et ne pas susciter une adhésion spontanée et consensuelle ».
C’est pourquoi, le CSA a estimé que cette vidéo n’avait pas sa place au sein d’écrans publicitaires et a demandé aux chaînes de veiller à l’avenir aux modalités de diffusion des messages susceptible de porter à controverse
Cette décision du CSA va créer la polémique dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Une décision du CSA qui fait rage
« Le CSA n’aime pas les trisomiques » tel a titré le 26 juillet 2014 le site Medias-Presse-Info.
Ou encore, le député des Yvelines Jean-Frédéric Poisson accuse le CSA d’avoir failli à sa mission de garant du pluralisme en réprimandant les chaînes qui avaient relayé cette vidéo. Il y voit également de la censure, car si le CSA devait réprimander toutes les chaînes de télévisions au motif qu’elles diffusent des programmes non susceptibles de provoquer une adhésion spontanée, il laisse alors « imaginer les coupes claires à opérer ».
De même, la fondation Lejeune voit dans cette décision une limitation à la liberté d’expression et une atténuation de la portée d’un message accueillant vis-à-vis des enfants trisomiques. Pour elle, la finalité de cette campagne est de lutter contre la discrimination et la stigmatisation dont sont victimes les personnes handicapées et d’encourager leurs insertion dans la société.
Le CSA s’explique
Le CSA se défend d’avoir jugé sur le fond mais seulement sur la forme, et a tenu à faire une mise au point au vue des vives réactions crées par sa décision.
Ainsi il rappelle que dans le cadre de ses missions, il lutte contre toutes les discriminations soutient toutes les initiatives de lutte contre la stigmatisation des personnes handicapées et encourage l’ensemble des médias audiovisuels à donner une image respectueuse de leur vie personnelle et sociale. Même si cette vidéo présente une vision positive de la vie de jeunes trisomiques et peut favoriser leur insertion et leur épanouissement, force est de constater au vue des plaintes reçues que ce message est susceptible de troubler en conscience des femmes qui ont fait des choix de vie personnelle différents, et en conséquence que son insertion au sein d’écrans publicitaires est inappropriée.
Cette vidéo touchante et émouvante contribue assurément à porter un regard différend plus tendre et moins stigmatisant sur les personnes touchées par la trisomie.
« I’m expecting a baby – I’ve discovered he has Down syndrome – I’m scared »
« J’attends un enfant – J’ai découvert qu’il est trisomique – J’ai peur »
On ne peut pas exclure que ce film véhicule un message à l’attention des futures mères, et c’est celui-ci qui porte à confusion et qui peut heurter leurs sensibilités.
Selon ses défenseurs, cette vidéo a pour but de lutter contre la discrimination et la stigmatisation ; n’aurait-il pas fallu alors supprimer dans le titre l’adjectif «future», ne garder que «chère maman, et réécrire les 20 premières secondes du clip ?
« Dear future mom » peut être considéré comme un plaidoyer implicite contre avortement et on sait que les messages audiovisuels peuvent avoir un impact fort sur la population.
Aujourd’hui, 96% des femmes qui attendent un enfant trisomique décident d’interrompre leur grossesse, cette possibilité, ce choix, est un droit qu’elles ont acquis et cela à force de combat et de revendication, ainsi peut-on les faire douter et culpabiliser d’avoir recours à ce droit ?
Le CSA a toujours lutté contre toute forme de discrimination de race, de sexualité, d’opinions politiques ou religieuses, …, et ses décisions sont prises dans l’intérêt général et non pas particulier. Il ne pouvait donc pas laisser passer une « publicité » aussi partisane sur une question aussi sensible que l’avortement.
A quelques jours des quarante ans de la loi pour le droit à l’IVG, de nombreuses personnes s’opposent encore à celle-ci et le sujet suscite toujours des polémiques, des débats et des controverses.
Sources :
DAL’SECCO (E.), « Clip trisomie 21 : le CSA déclenche les foudres ! », handicap.fr, mis en ligne le 29 juillet 2014, consulté le 14 octobre 2014, <http://informations.handicap.fr/art-trisomie-clip-CSA-853-7083.php>
DERAEDT (A.), « Les anti-IVG montent au créneau après les réprimandes du CSA », liberation.fr, mis en ligne le 31 juillet 2014, consulté le 14 octobre 2014, <http://www.liberation.fr/societe/2014/07/31/les-anti-igv-montent-au-creneau-apres-les-reprimandes-du-csa_1073486>
PLANCQ (K.), « CSA : une campagne sur la trisomie 21 fait polémique », tempsreel.nouvelobs.com, mis en ligne le 31 juillet 2014, consulté le 14 octobre 2014, <http://tempsreel.nouvelobs.com/video/20140731.OBS5237/csa-une-campagne-sur-la-trisomie-21-fait-polemique.html>
Auteur inconnu, « Pour le CSA, le bonheur des enfants trisomiques est suspect », fondationlejeune.fr, mis en ligne le 28 juillet 2014, consulté le 14 octobre 2014, <http://www.fondationlejeune.org/blog/blog-communiques-de-presse/15-communique-presse/889/pour-le-csa-le-bonheur-des-enfants-trisomiques-est-suspect>
Auteur inconnu, « VIDEO. Polémique autour d’une campagne sur la trisomie », leparisien.fr, mis en ligne le 30 juillet 2014, consulté le 14 octobre 2014, <http://www.leparisien.fr/une/video-polemique-autour-d-une-campagne-sur-la-trisomie-21-30-07-2014-4036811.php>
Auteur inconnu, « Message de sensibilisation sur la trisomie 21 : intervention auprès de M6 et Canal+ », Décision du CSA, csa.fr, mis en ligne le 25 juillet 2014, consulté le 14 octobre 2014, <http://www.csa.fr/Espace-juridique/Decisions-du-CSA/Message-de-sensibilisation-sur-la-trisomie-21-intervention-aupres-de-M6-et-de-Canal>