A l’ère du développement des technologies numériques, de nouveaux mécanismes voient le jour et nos enfants en sont les cibles. Des applications sur Smartphones et autres gadgets permettent notamment leur géolocalisation. Se pose alors la question des enjeux juridiques liés à cette utilisation.
Un constat émerge depuis ces dernières années. De plus en plus de parents ne sont pas sereins lorsque les enfants partent à l’école, au point que seule une minorité accepte que son enfant fasse les trajets seuls, contrairement à la génération précédente. Certains expliquent ces phénomènes de différentes manières. Tout d’abord, la multiplication de la médiatisation des enlèvements, crimes ou agressions a engendré un sentiment d’insécurité bien plus important au sein de la population. La facilité de transmission de l’information, grâce notamment aux réseaux sociaux, accentue ce phénomène. C’est ainsi qu’une « mauvaise rencontre » qui demeure assez rare en somme donne le sentiment qu’elle est le quotidien de bon nombre de personnes. Puis, certains expliquent ce besoin de contrôle permanent par le fait que les mères travaillent plus de nos jours et ont l’impression de manquer à l’encadrement de leurs enfants. Pour combler ce manque, leur surveillance est alors démultipliée.
Une contradiction est mise en exergue. En effet, bien que les parents se transforment quelque peu en « Big Brother », bon nombre d’enfants très jeunes disposent de téléphones portables, alors qu’ils sont encore à l’école primaire. La moyenne d’âge d’acquisition d’un mobile est estimée à 11 ans. Certains parlent de phénomène « d’adultification » de l’enfant. Or, le danger ne proviendrait-il pas davantage de l’usage de cette technologie qui peut conduire à des dérives dont les conséquences peuvent être dramatiques. Ça a été le cas d’adolescents qui se sont suicidés après avoir subi l’acharnement de certains camarades sur les réseaux sociaux.
Cependant, les parents restent focalisés sur ces nouveaux usages qui leur permettent de se rassurer et surtout de suivre leurs enfants « à la trace ».
Des applications au service d’une surveillance exacerbée des enfants
C’est ainsi que des entreprises ont surfé sur cette vague et proposent des applications et autres objets connectés dont le but premier est de pouvoir scruter l’enfant dans ses déplacements. Cela se fait notamment grâce aux Smartphones. Ces objets, dont sont munis les enfants, sont connectés directement aux téléphones portables de leurs parents qui en reçoivent les données.
Néanmoins, ce n’est pas le seul moyen technique qui permet cette connexion parent/enfant. Par exemple, l’entreprise Gémo a lancé un manteau connecté. Celui-ci est équipé d’un système GPS qui offre la possibilité au parent de suivre son enfant, du moment que celui-ci le porte. Ce manteau est destiné aux enfants de 3 à 10 ans. De même qu’un dispositif intitulé « ma p’tite balise » permet de géolocaliser son enfant. Cette balise est comparée au mécanisme des bracelets électroniques destinés à suivre les détenus après leur sortie de prison ou en cas de mesure alternative à une peine carcérale. La similitude paraît exagérée pour certains mais elle est tout autant nécessaire pour d’autres.
Pour en revenir aux téléphones portables, des applications sont également prévues pour pister son enfant. Elles proviennent des Etats-Unis. Une première application prévoit la possibilité de bloquer le téléphone portable de son enfant qui aurait l’idée de filtrer les appels ou messages de ses parents. Le dispositif entraine alors le blocage pur et simple du téléphone et la seule possibilité pour se sortir de cette situation est le rappel des parents, option suggérée sur l’écran automatiquement. Une seconde application va encore plus loin et prévoit la captation de toutes les données du téléphone. Tous les appels, tous les messages, les différentes manipulations jusqu’aux touches du clavier qui sont utilisées sont autant d’informations qui sont transmises aux parents. De même, qu’un GPS et les bruits aux alentours sont enregistrés. L’acquisition de ce mécanisme coûte un certain prix (160 euros l’année). Il faut préciser que l’utilisation de ces applications suppose d’avoir accès aux appareils au préalable.
Outre le fait que les enfants contesteront sans doute l’utilisation de ces applications qui permettra de scruter leurs moindres faits et gestes, qu’en est-il alors sur le plan juridique ?
Vers une protection des données personnelles des mineurs
L’apparition de ces nouvelles technologies renvoie donc à des nouvelles questions juridiques et notamment concernant le droit du mineur à sa vie privée.
Dans le cadre de la seconde application dite « Mpsy », elle consiste en réalité à espionner la personne qui en est l’objet. Cela est considéré comme une atteinte volontaire à la vie privée d’une personne, sans qu’aucun consentement ne vienne l’autoriser. Ce qui est strictement interdit par notre code pénal, en son article 226-1 qui punit son auteur d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Le fait que son propre enfant en soit la cible ne change rien à l’application du délit. Le procédé est donc en lui même complètement illégal, à moins que l’enfant ne soit d’accord pour en faire l’objet.
De même, l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 prévoit que la collecte de données doit avoir une finalité nécessaire et surtout pas excessive. Il est alors légitime de se demander si le devoir de surveillance du parent envers sa progéniture est de nature à entrer dans le cadre de cette disposition, autrement dit si cette collecte d’informations est bel et bien nécessaire. Dans ce cas, le parent pourrait justifier son intrusion dans la vie privée de son enfant. Le caractère non excessif de la mesure n’est pas prouvé pour le moment.
Il semble opportun d’établir une différence entre l’enfant de 8 ans et l’adolescent de 16 ans. En effet, il apparaît comme étant inapproprié de leur appliquer les mêmes régimes. La sécurité doit rester la priorité des parents. Connaître la vie privée de son enfant de 16 ans peut relever simplement d’un besoin d’assouvir sa curiosité, certes légitime mais pas d’une nécessité absolue quant à sa sécurité.
Concernant l’utilisation des balises GPS, les fabricants sécurisent leurs usages en indiquant que seuls les parents peuvent avoir accès à l’information car celui ci est limité à un code choisi par eux mêmes. Cependant, avec tous les moyens techniques qui émergent et la facilité de pirater les données personnelles informatiques aujourd’hui, peut-on réellement se fier à ce système ?
Pour les protecteurs des droits fondamentaux, cette atteinte est inenvisageable et doit être impérativement encadrée pour que le mineur puisse conserver son droit au respect de sa vie privée, qui incombe à chaque citoyen. Ces intrusions ne semblent pas pouvoir permettre d’éviter l’envie naturelle d’un enfant de se détacher de ses parents et d’acquérir son autonomie. Au contraire, une surveillance exacerbée ne fera qu’accroitre son besoin d’indépendance.
Sources :
BOUANCHAUD (C.), « Ces applis de parents qui font trembler les ados », europe1.fr, mis en ligne le 10 novembre 2014, consulté le 16 novembre 2014, <http://www.europe1.fr/societe/ces-applis-de-parents-qui-font-trembler-les-ados-2285155>
DAAM (N.), « Comment nous sommes devenus les Big Brother de nos enfants », slate.fr, mis en ligne le 3 octobre 2014, consulté le 16 novembre 2014, <http://www.slate.fr/story/92831/enfants-sortir>
KRIEF (B.), « Un manteau-GPS pour pister ses enfants », nouvelobs.com, mis en ligne le 9 septembre 2014, consulté le 16 novembre 2014, <http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20140909.OBS8612/un-manteau-gps-pour-pister-ses-enfants.html>
SOULLIER (L.), « Une enfance sous surveillance », lemonde.fr, mis en ligne le 12 novembre 2014, consulté le 16 novembre 2014, <http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/11/12/une-enfance-sous-surveillance_4521887_4408996.html>