« Les mobiles ont pris une place de plus en plus importante dans notre vie quotidienne au point de devenir les équipements électroniques avec lesquels nous passons le plus clair de notre temps » affirme le site Web Life. On y apprend, par exemple, que 5,1 milliards de personnes ont un téléphone alors que seulement 4,2 milliards de personnes ont une brosse à dent. Un produit faisant autant l’unanimité et dont les fabricants sont aujourd’hui les plus cotés au monde, attire forcément l’intérêt.
Ainsi, la chaine France 2 a diffusé un reportage sur « les secrets inavouables de nos téléphones portables » le 4 novembre 2014. Après un an d’enquête, l’équipe de « Cash Investigation », dirigée par Elise Lucet, révèle les dérives du système de production des principaux géants du secteur, et notamment celles de l’entreprise Huawei. Ainsi donc, nos appareils de connexion et de socialisation seraient le résultat d’une « équation industrielle et commerciale entre marques emblématiques laxistes et sous-traitants peu regardants ».
Encore peu connue en France, la société Huawei est aujourd’hui le numéro 3 mondial au niveau des ventes de Smartphones en 2013, derrière Samsung et Apple. Fondée en 1988, son siège se trouve à Shenzhen, en Chine. Opérant dans le domaine des réseaux télécoms fixes et mobiles, la vente de solutions Entreprises, et la distribution des produits grands publics (Smartphones, tablettes, montres connectées, etc.), cette marque s’installe en France en 2003 ; à sa tête aujourd’hui, François Quentin, protagoniste au cœur d’un scandale depuis la diffusion de l’émission.
Des révélations sur les conditions de travail dans l’industrie électronique
En effet, les journalistes de « Cash Investigation » ont découvert grâce à la complicité d’un employé muni d’une caméra cachée, que « LCE », sous-traitant chinois de l’entreprise, basé à Nanchang, et spécialiste des écrans de Smartphones, faisait travailler des enfants. Pour étayer ces révélations, une jeune fille de 13 ans a accepté de témoigner devant les caméras sur ses conditions de travail.
Interrogée par les journalistes, elle reconnaît tout d’abord les modèles d’écrans sur lesquels elle travaille comme étant ceux apposés sur les Smartphones Huawei. Elle révèle ensuite que sa journée de travail est de treize heures par jour, dont un mois sur deux la nuit, et qu’elle n’a que deux jours de congés par mois. Pourtant, la Chine est un pays où le travail des mineurs de moins de 16 ans est officiellement interdit depuis 2002.
Contactée par les journalistes à plusieurs reprises, la filiale française n’a donné aucune suite aux requêtes, pensant certainement que leur silence découragerait les enquêteurs. Mais apprenant que le PDG de Huawei France interviendrait publiquement au Cercle des Armés de Paris, Elise Lucet s’est rendue sur place pour l’interroger, preuves à l’appui. Feignant de ne pas la reconnaître et afin d’échapper aux questions, le dirigeant lui a demandé sa carte d’identité et sa carte de presse, puis s’est éclipsé rapidement de la manifestation.
Il apparaît qu’en sachant pertinemment qu’elle n’obtiendrait aucune explication, la célèbre journaliste a tenté d’obtenir des images chocs afin de susciter des réactions.
Une politique de communication à revoir
Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Le lendemain de la diffusion de l’émission, François Quentin a assisté aux Assises de l’Industrie organisées par le magazine l’Usine Nouvelle, et a été interrogé par un de leur journaliste au sujet du reportage litigieux. Maladroitement, le PDG a encore fait une erreur de communication en répondant : « J’ai activé tous mes réseaux et Madame Lucet n’aura plus aucun grand patron en interview, sauf ceux qui veulent des sensations extrêmes ou des cours de média training ». L’article rapportant ces propos a été abondamment repris par les réseaux sociaux et, pour de nombreux internautes, cela apparaît au mieux, comme une mise en garde, au pire comme une menace.
Dans cet article, on apprend également que, suite à une enquête interne, la filiale française était apparemment au courant des faits reportés, depuis mai 2014, c’est-à-dire un mois avant qu’Elise Lucet confronte son PDG. L’entreprise aurait également cessé toute collaboration avec le sous-traitant. Mais si tel est le cas, pourquoi François Quentin n’a pas souhaité répondre aux questions de l’équipe de journalistes ?
Le 6 novembre, un communiqué a finalement été publié sur la page Facebook de Huawei France, apportant des précisions sur le respect exigé à ses fournisseurs directs et indirects de leur « code éthique », des « conventions internationales » et de la « réglementation locale applicable » ; et en y veillant par des « audits détaillés ». Malheureusement, la réaction escomptée ne s’est pas produite et les internautes ont répliqué par des commentaires assez virulents, appelant au boycott de la marque ainsi qu’au soutien à Elise Lucet.
Par la suite, c’est au tour de l’équipe de Cash Investigation de répondre, à travers son compte Facebook également, qu’elle avait bien pris note de la volonté de l’entreprise de cesser toute collaboration avec le sous-traitant et qu’elle ne serait pas contre le fait de consulter l’audit commandé. C’est à nouveau une pluie de commentaires allant dans ce sens qui est apparu sur la toile.
Enfin, pour calmer le « bad buzz », François Quentin a décidé de publier le 8 novembre sur son compte Twitter, un rectificatif de ses propos antérieurs. Il énonce qu’il a été « déstabilisé par l’approche de Cash Investigation » et qu’il « respecte le travail journalistique de cette équipe ». Il finit par annoncer qu’il n’a « pas l’intention de porter atteinte à la réputation de l’équipe de Cash Investigation » et « qu’il regrette sincèrement ces propos mal exprimés ».
Une prise de conscience entrainant des conséquences ?
Cette affaire, bien qu’ayant fait grand bruit sur la toile, amène plusieurs constats. Premièrement, il existe encore des reportages révélant de véritables scandales, par des investigations poussées, où les journalistes ne sont ni pressés par le temps, ni contrôlés par les grandes industries. A l’instar de la BBC, chaine britannique connue pour son impartialité, les journalistes de « Cash Investigation » font partie du service public.
De plus, la menace de boycott des produits Huawei par les internautes et les utilisateurs des réseaux sociaux a encore fait mouche, puisqu’elle a contraint le dirigeant français de cette multinationale a faire son mea culpa et à revoir sa politique de communication.
Enfin, même si les révélations ont terni la réputation d’un géant du secteur, « l’addiction aux téléphones portables est telle qu’on imagine mal les utilisateurs boycotter et se défaire du jour au lendemain de leur objet fétiche pour cause d’éthique ». Quelle que soit la marque…
Sources :
– BONNET J., « Cash Investigation : le président de Huawei France répond à la polémique sur le travail desenfants », usinedigitale.fr, mis en ligne le 6 novembre 2014, consulté le 11 novembre 2014, <www.usine-digitale.fr/article/cash-investigation-suite-au-bad-buzz-le-president-de-huawei-france-assure-s-etre-mal-exprime.N295836>
– BONNET J., « Cash investigation : suite au bad buzz, le président de Huawei France assure s’être mal exprimé », usinedigitale.fr, mis en ligne le 10 novembre 2014, consulté le 13 novembre 2014, <www.usine-digitale.fr/article/cash-investigation-suite-au-bad-buzz-le-president-de-huawei-france-assure-s-etre-mal-exprime.N295836>
– BOUDOT M., « “Cash investigation” sur l’industrie du portable : Apple, Samsung… Ils sont tous mouillés », Le Nouvel Obs, mis en ligne le 4 novembre 2014, consulté le 13 novembre 2014, <http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1271058-cash-investigation-sur-l-industrie-du-portable-apple-samsung-ils-sont-tous-mouilles.html>
– CHICHEPORTICHE O., « Cash Investigation : les fabricants de smartphones ont pris cher, les journalistes IT aussi… », ZDNet.fr, mis en ligne le 5 novembre 2014, consulté le 12 novembre 2014, <http://www.zdnet.fr/actualites/cash-investigation-les-fabricants-de-smartphones-ont-pris-cher-les-journalistes-it-aussi-39809095.htm>
– CIMELIERE O., « “Cash Investigation” : les marques de portables restent silencieuses. C’est une erreur », Le Nouvel Obs, mis en ligne le 5 novembre, consulté le 10 novembre 2014, <http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1271277-cash-investigation-les-marques-de-portables-restent-silencieuses-c-est-une-erreur.html>
– CIMELIERE O., « Clash du président de Huawei contre Elise Lucet : Ce que tout dirigeant devrait retenir », leblogducomunicant2-0.com, mis en ligne le 9 novembre 2014, consulté le 10 novembre 2014, <www.leblogducommunicant2-0.com/2014/11/09/clash-du-president-de-huawei-contre-elise-lucet-ce-que-tout-dirigeant-devrait-retenir>