Mardi 4 novembre, Canal + a soufflé ses trente bougies en grandes pompes. Dans le cadre de ce mois d’ anniversaire la chaine a proposé une programmation exceptionnelle à ses abonnés. Coté cinéma, elle a offert de belles affiches avec notamment « Gravity » et « Les garçons et Guillaume à table ». Coté série, elle a lancé la cinquième saison de sa création originale à succès mondial « Engrenages ». Au niveau sportif, les amoureux du ballon rond ont pû apprécié le « classico » PSG/OM. Bien sûr un « Zapping » spécial 30 ans de la chaîne a été compilé. Bref, les abonnés ont été plutôt gâtés.
De plus, la chaîne a organisé à cette occasion une exposition avec l’artiste Xavier Nielhan au Palais de Tokyo, composée notamment d’une fresque de 200 mètres carrés, ainsi qu’une soirée présentée par l’excellente Dora Tillier, Même si certains ont pu reprocher à cette fête d’être trop sage, de marquer la perte de folie de la chaîne, il reste cependant intéressant de se demander comment la première chaîne payante diffusée en France a pu voir le jour, mais également quels sont les secrets de sa longévité.
Le bref historique de la chaîne
Le 4 novembre 1984, le président de Canal +, André Rousselet, ex-directeur de cabinet du Président de la République, ouvre l’antenne à 8h du matin. Cependant la création de cette chaîne est le fruit de l’impulsion de différents protagonistes. Dès 1982, François Mitterrand, Président de la République, annonce lors d’une conférence de presse la création prochaine d’une quatrième chaîne de télévision plutôt tournée vers la culture. C’est le Ministre de la Culture de l’époque, Jack Lang, et le ministre des PTT qui étaient à l’origine de cette volonté de développer une chaîne à dominante culturelle. Finalement, le coté culturel va se tourner essentiellement vers le cinéma et notamment la diffusion de films récents. Le projet est alors nommé à l’origine « Canal 4 » mais une erreur d’impression donnera l’idée de « Canal + ». Le groupe Havas, après une période d’hésitation devant l’ampleur de l’investissement financier décide de se joindre au projet. La phase de mise au point opérationnelle durera deux ans avant que la première chaîne privée à péage voit le jour devant 186 000 premiers abonnés. Les téléspectateurs assistent alors à un bouleversement de la télévision française plutôt conservatrice à l’époque. Hormis le fait que ce soit la première chaîne privée payante en France, Canal + propose des films un an seulement après leur sortie en salle, la diffusion en direct de matchs de la Ligue 1 et la multi-diffusion des programmes, pour ne citer seulement que ces innovations.
Cependant, la chaîne connaît des débuts difficiles, notamment du fait de son choix de ne viser que les foyers plus favorisés vivants dans les grandes villes, mais également par le large piratage de son décodeur et par la création de deux nouvelles chaînes privées gratuites deux ans seulement après son lancement. Face à ces difficultés, la chaînes décide de renforcer ses plages « en clair » afin qu’elles servent de vitrines pour inciter les téléspectateurs à s’abonner. Elle tente également de rendre ses programmes plus populaires afin de toucher un plus large public. C’est lors de cette phase d’expansion en 1985 que les premiers films classés X sont diffusés, ainsi que le « Top 50 » et de nombreux programmes humoristiques tel que « Coluche 1 faux ». Ce pari est payant puisqu’en 1989 la chaîne atteint les 3 millions d’abonnés.
En février 1994, André Rousselet démissionne pour être remplacé par Pierre Lescure. S’ouvre alors une ère de changement par le départ de personnalités qui ont forgé l’image de la chaîne tel que Jean-Luc Delarue ou encore Antoine de Caunes. Le logo est également modifié et des déclinaisons thématiques de la chaîne font leur apparition pour le satellite : Canal + Bleu, Canal + Jaune et Canal + Vert. De plus, la chaîne se trouve en concurrence avec TPS, notamment à propos de ses points forts, le cinéma et le football. En conséquence de cela, en 2000, le taux de désabonnement à la chaîne n’a jamais été aussi élevé. Un plan de convergence avec d’importants licenciements à la clé est alors mis en place par Jean-Marie Messier, PDG du groupe Vivendi Universal qui a racheté précédemment le groupe Havas. Mais suite à l’échec de ce plan, ce dernier sera remplacé par Jean-René Fourtou qui oeuvrera dans le but de rendre à Canal + son « esprit des débuts ». Xavier Couture, sera nommé Président de Canal + et sera rapidement remplacé par Bertrand Méheut. Grace à tous ces changements, la chaîne fêta sereinement ses 20 ans, notamment grâce au succès du « Grand journal » présenté par Michel Denisot et par l’acquisition des droits télévisuels de la Ligue 1 de football en exclusivité. Avec l’apparition de la TNT, Canal lance sa chaîne d’information en continue gratuite : i>Télé et rachètera en 2010, les chaînes TNT gratuites, Direct 8 et Direct Star, qui deviendront respectivement D8 et D17.
En 2007, Canalsat absorbe le groupe TPS, éliminant ainsi son principal concurrent, mais non sans subir une lourde sanction de l’Autorité de la concurrence (27 millions d’euros). Dernière innovation en date, la création de Canal + Séries, en 2013, afin de répondre à la demande des téléspectateurs.
Un bilan plus que positif
Il est intéressant de se demander, 30 ans après le choix d’autoriser une chaîne privée payante, si les objectifs visés à l’origine sont remplis et quels ont été les apports de cette nouvelle chaîne.
Il est à l’heure actuelle impossible, quand on pense à Canal +, de ne pas avoir en tête toutes les émissions cultes qu’elle a généré. Il y a entre autres « Le zapping », les satyriques « Guignols de l’info » et l’émission « Nulle part ailleurs » présentée par Philippe Gildas pendant 10 années et qui a vu naître le duo comique Garcia/de Caunes. La chaîne présente la caractéristique de découvrir des talents et à leur constituer un vrai tremplin. Il quasiment impossible d’en faire une liste exhaustive mais on peut citer le groupe humoristique Les Nuls, porté par Alain Chabat, le comique Jamel Debbouze, les acteurs Omar Sy et Louise Bourgoin, ou encore le réalisateur de « The Artist » Michel Hazanavicius. La chaîne s’élève alors comme la chaîne de la dérision.
Au niveau cinématographique, si Canal + a obtenu une dérogation à la chronologie des médias en pouvant diffuser des films seulement un an après leur sortie en salle, c’était à la condition de préacheter des films. Avec sa filiale StudioCanal, Canal + est devenu l’un des piliers du cinéma français et a contribué à préserver une vraie industrie du secteur. Si à l’heure actuelle, la situation est bénéfique, la question qui peut se poser est de savoir qu’adviendra-t-il du cinéma français si Canal + venait à s’effondrer ?
Coté série, la chaîne a renouvelé le genre par ses créations originales, de par leurs qualités et leur originalités. Pour preuve la série « Engrenages » est l’une des séries françaises les plus exportées dans le monde (diffusée dans plus de 60 pays).
A coté de cela, la chaîne s’est depuis le début efforcée à faire évoluer les moeurs. Elle a, en effet, soutenu ouvertement le mariage gay, et elle s’évertue également à promouvoir et intégrer les minorités. Si certains peuvent lui prêter une tendance machiste, elle laisse aux femmes une place, depuis un certain nombre d’années, de plus en plus importante. En effet, que ce soit Daphné Roulier, Maïtena Biraben, Daphné Burki pour ne citer qu’elles, elles sont toutes à la tête de leur émission. Même si une majorité des présentateurs sont des hommes, il ne semble pas que Canal + soit plus à blâmer que les autres chaînes en matière de parité. De plus, elle n’a pas hésité par sa série « Mafiosa » à placer à la tête d’un clan de mafia Corse une femme.
Il apparait alors que le plus gros défaut de la chaîne soit son prix. Si l’abonnement la première année est proposé à partir de 19,90€ par mois, pour en bénéficier les années suivantes il faudra alors s’acquitter de la somme de 39,90€. Même si le prix a guère augmenté, à l’époque du lancement il était de 120 francs, ce qui équivaut selon l’Insee à 33€ actuels, il reste toujours élevé pour une bonne partie de la population.
Mais le prix justifie t-il alors la qualité des programmes ? Faut-il donc être un minimum riche pour ne pas avoir à subir sur TF1 « Joséphine, ange gardien » ou encore toutes le émissions culinaires qui nous font frôler l’écoeurement. On entrevoie là les critiques souvent courantes sur cette chaine, mérite t-elle donc son statut de chaine de « Bobos de gauche » qui lui colle à la peau depuis le début sans jamais arriver à s’en détacher ? De plus, avec le rachat des droits télévisuels de retransmission Formule 1, il est donc impossible, sans avoir recours à une chaîne payante de pouvoir visionner un Grand Prix, ce qui est, au vue des bonnes audiences qui étaient réalisées par TF1, dommageable pour une bonne partie des téléspectateurs.
Des objectifs à atteindre
En matière d’exclusivité, Canal + a intérêt à rester attentive, avec l’apparition de beIN SPORTS sur le marché de la retransmission d’événements sportifs, son monopole sur le Ligue 1 risque fort d’être mis à mal dans les prochaines années.
De plus, au niveau cinématographique, avec l’arrivée en France de Netflix (voir note d’actualité : Cécile Geistel, « Netflix : un bouleversement du paysage audiovisuel français », 19 octobre 2014, http://www.iredic.com) et des autres services de Vidéo à la Demande, son argument de proposer des films récents pourrait donc devenir rapidement obsolète.
Elle a donc tout intérêt à préserver son fameux « esprit Canal » afin de faire perdurer le fantasme qui plane sur la chaîne et à continuer d’innover afin de se démarquer de la concurrence, et d’inciter ses actuels abonnés à le rester. Elle doit également continuer à diffuser des programmes en clair tel que « Le Petit Journal » pour attirer des nouveaux abonnés.
Ainsi, Canal + doit donc rester sur ses gardes afin de pouvoir fêter ses 40 ans avec autant de sérénité que ses 30 ans.
Bref, bon anniversaire Canal + !
Sources :
GARRIGOS R. et ROBERTS I., « 30 ans de Canal + : le garage à mythes », ecrans.liberation.fr, mis en ligne le 3 novembre 2014, consulté le 19 novembre 2014, < http://ecrans.liberation.fr/ecrans/2014/11/03/30-ans-de-canal-le-garage-a-mythes_1135467>
GROUSSARD V. SOULA C., « 30 ans de Canal + : on distribue les bons et les mauvais points », teleobs.nouvelobs.com, mis en ligne le 4 novembre 2014, consulté le 19 novembre 2014, <http://teleobs.nouvelobs.com/actualites/20141104.OBS4002/30-ans-le-bilan.html>
MORIN F., « 30 ans de Canal + : mais que reste-t-il vraiment ? », tvmag.lefigaro.fr, mis en ligne le 4 novembre 2014, consulté le 19 novembre 2014, <http://tvmag.lefigaro.fr/le-scan-tele/actu-tele/2014/11/04/28001-20141104ARTFIG00071-30-ans-de-canal-mais-que-reste-t-il-vraiment.php>