Lancée le 24 Octobre dernier, la chaîne A+ fête déjà son premier mois d’existence. Son plus grand défi sera sans doute celui de trouver une place au milieu d’un panel de plus de 600 chaînes déjà présentes dans le paysage audiovisuel africain. Retour sur l’ambition du groupe audiovisuel français Canal Plus de créer « la grande chaîne africaine ».
Une chaîne faite en Afrique, pour les africains
Alors que son lancement a été annoncé dès le mois de juillet lors d’une conférence de presse à Issy-les-Moulineaux, c’est bien l’Afrique, que la nouvelle chaîne du groupe Canal Plus a pour ambition de continuer à conquérir. Depuis trois ans, son offre audiovisuelle connait un succès fulgurant en Afrique. En 2011, on lui recensait environ 500 000 d’abonnés puis 1 million à la fin 2013 et 1,3 million aujourd’hui.
Mais le groupe, présent depuis plus de 20ans sur le continent, semble aujourd’hui avoir pris acte de la tendance audiovisuelle en Afrique : celle de lancer des chaînes produites en Afrique et à destination du public africains. Cette tendance s’explique d’abord par le succès lié au lancement en 1998 de la chaîne panafricaine Télésud et du lancement de la chaîne Africa 24 en 2008, toutes deux diffusant du contenu africain. Aujourd’hui, alors que France 24 souhaite élargir son audience sur le continent, Euronews prévoit par exemple le lancement de la chaîne Africanews au deuxième semestre 2015, consacrée exclusivement aux informations panafricaine. De même pour le groupe Lagardère, qui dévoilera début 2015 la chaîne Gulli Africa. Les grands groupes audiovisuels internationaux, qui veulent s’assurer une présence en Afrique, se lance donc dans du contenu de « proximité ».
Diffusée dans plus de 20 pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale à travers le bouquet Canalsat (disponible à 5000 Francs CFA par mois soit environ 8€ par mois), c’est en matière de divertissement africain qu’A+ souhaite devenir la référence. L’objectif est d’abord celui de « refléter les identités et les spécificités du continent, et d’être résolument tournée vers l’Afrique du futur » selon le communiqué de presse du groupe. Les deux tiers de l’antenne sont consacrés à des séries, des films et des téléfilms africains, voir afro-américains. Mais A+ diffuse également des magazines de divertissement, des émissions de téléréalité et des jeux. Résolument moderne, la chaîne s’adresse à un large public, en partie francophone et issu de la classe-moyenne émergente, tourné d’avantage vers les femmes et les jeunes de 15 à 25 ans.
Le risque pour une chaîne panafricaine est celui d’oublier que l’Afrique est un continent multiculturel avec des particularités locales, nationales et régionales. Mais Damiano Malchiodi, directeur de la chaîne A+ rassure : « A+ se veut à l’image de l’Afrique d’aujourd’hui : multiculturelle, dynamique et positive ». La stratégie d’A+, installée en Côte d’Ivoire, s’inscrit donc dans le choix de privilégier un contenu de qualité, en encourageant les créations originales (comme Canal+ l’a fait en France) et en diversifiant la provenance du contenu. Ainsi, les téléspectateurs africains pourront aussi bien avoir accès aux célèbres films de Nollywood (Nigéria), qu’à des jeux entre plusieurs candidats de nationalités différentes, ou encore à des séries sénégalaises ou ivoiriennes, etc. Une stratégie contraire à celle de son principal concurrent, le chinois Startimes, qui mise davantage sur les prix bas de son offre plutôt que sur la qualité de son contenu.
Un marché audiovisuel africain prometteur
Plusieurs facteurs expliquent l’engouement lié au marché audiovisuel africain. D’abord, l’accroissement du nombre de foyers disposant d’un accès électrique de qualité, devrait atteindre 12 millions dans moins de 4 ans. Ensuite, le marché connaît un environnement favorable. La libéralisation encore très récente du secteur audiovisuel dans plusieurs pays africains a encouragé le développement du secteur privé. Mais c’est surtout le développement technique des moyens de communication et d’information, qui fait du marché audiovisuel africain, un marché de toutes les convoitises. On assiste ainsi à la réduction des coûts de production et de transmission et à l’émergence d’une diversité d’objets permettant l’accès au contenu (télévision, smartphones, tablettes, etc.). Enfin, il y a aussi une multiplication des moyens de diffusion depuis les années 90 avec l’arrivée du satellite, puis petit à petit avec la 3G et la fibre optique. Aujourd’hui le passage à la TNT, recommandé par l’UIT à l’occasion des Conférences Régionales des Radiocommunications de Genève en 2006, suscite là aussi beaucoup d’intérêt. L’adoption de la TNT prévue au mois juin 2015 par les Etats africains, permettra à une dizaine de canaux locaux et internationaux dans chaque pays de diffuser auprès de l’ensemble de la population. Même si cette date butoir recule de jour en jour, les opérateurs audiovisuels voient dans la télévision numérique terrestre un moyen de plus pour élargir leurs audiences.
Le piratage du contenu audiovisuel inquiète
Dans ce paysage proche de l’Eldorado, certaines choses viennent tout de même ternir le tableau. Le piratage des contenus audiovisuels ainsi que l’absence de véritables autorités de régulation freinent le développement du secteur et inquiètent. En effet, il paraît difficile que le marché puisse s’agrandir sans un renforcement du droit de propriété intellectuelle et d’une régulation sectorielle effective. A deux reprises, d’abord en 2000 puis en 2011, Canal Plus a dû quitter la zone du Maghreb en raison du piratage constant de ses programmes. Mais ce problème se pose en fait dans l’ensemble de l’Afrique. Or, le piratage est pratiqué non seulement par les consommateurs mais aussi par certaines entreprises audiovisuelles elles-mêmes. Aujourd’hui, le groupe Canal Plus assure avoir mené des opérations de sécurisation qui rend le piratage de son signal plus compliqué, pour un investissement de plus de 10 millions d’euros. Malgré ces risques, le lancement d’A+ démontre bien que le marché reste attractif surtout lorsque l’on sait que d’ici 2050, le nombre de francophones dans le monde devrait atteindre plus de 750millions…dont 85% en Afrique.
SOURCES :
– « Forum Audiovisuel et TNT en Afrique subsaharienne», organisé par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris dans le cadre du salon SATIS, Paris, 18 novembre 2014.
– ANONYME, « Canal Plus lance la chaîne A+ consacrée aux contenus africains », jeuneafrique.com, mis en ligne le 24 octobre 2014, consulté le 19 novembre 2014, http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/23370-canal-plus-lance-la-chaine-a-consacree-aux-contenus-africains.html
– COMMUNIQUE DE PRESSE GROUPE CANAL PLUS, « Lancement de la chaîne A+ », canalplusgroupe.com, mis en ligne le 21 octobre 2014, consulté le 19 novembre 2014, http://www.canalplusgroupe.com/uploads/pressRelease/press_release_1375.pdf
– CLEMENCOT (J.), « Chaînes panafricaines : la rentabilité, seule ombre au tableau », jeunafrique.com, mis en ligne le 24 février 2014, consulté le 19 novembre 2014, http://economie.jeuneafrique.com/entreprises/entreprises/communication-a-medias/21476-chaines-panafricaines-la-rentabilite-seule-ombre-au-plateau.html
– DE ROCHEGONDE (A.), « L’Afrique, nouvel horizon des groupes audiovisuels », rfi.fr, mis en ligne le 25 octobre 2014, consulté le 19 novembre 2014, http://www.rfi.fr/emission/20141025-afrique-nouvel-horizon-groupes-audiovisuels/