Dans cette affaire opposant Dailymotion au groupe TF1, la Cour d’appel a eu l’occasion de rappeler la responsabilité qui incombe à l’hébergeur d’un site internet, face à la mise en ligne de contenus illicites.
Les faits remontent aux mois de juin et juillet 2007 durant lesquels la plateforme Dailymotion présentait des vidéos sur lesquelles TF1 détenait les droits. Il s’agissait de vidéos du spectacle du comique Gad Elmaleh, d’extraits d’émissions de téléréalité comme Secret Story, Koh Lanta ou encore de séries américaines. Le groupe avait averti le site internet du fait que ces contenus étaient illicites, notamment par le biais de mises en demeure. Cependant, celui-ci a tardé à supprimer ces derniers. Cela a donné lieu à une action en justice de la part des chaines du groupe.
Le TGI de Paris, dans un arrêt du 13 septembre 2012, rectifié par un jugement du 8 novembre 2012, avait déjà condamné Dailymotion à verser à TF1 la somme de 270 000 euros pour ne pas avoir retiré « promptement » ces contenus illicites qui lui avaient été pourtant signalés.
Néanmoins, le groupe TF1 interjette appel de cette décision et remet en cause la qualification du statut d’hébergeur de Dailymotion en lui opposant celui d’éditeur de contenus. Or, cette distinction est importante car les régimes juridiques sont différents et n’entrainent pas les mêmes conséquences en terme de responsabilité. L’hébergeur détient une responsabilité limitée, ce qui n’est pas le cas de l’éditeur.
La Cour d’appel a rendu sa décision ce mardi 2 décembre. Les juges du fond ont estimé que la plateforme Dailymotion avait commis des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, portant atteinte aux droits du groupe TF1. Elle a donc été condamnée au paiement d’une somme de 1,38 million d’euros dont 1,2 million revient au groupe TF1 et 15 000 euros à l’artiste Gad Elmaley, au titre de son droit d’auteur.
La consécration du statut d’hébergeur pour Dailymotion
Il convient de définir ce qu’est un hébergeur et quel est son rôle. Par définition, l’hébergeur est celui qui fournit un espace de stockage à un éditeur, à qui il laisse de la place pour conserver ses données. Autrement dit, l’hébergeur met à disposition du public le stockage de signes, signaux, images, sons ou messages de toute nature ; et ce même à titre gratuit (art 6-1-2 LCEN).
La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 met en œuvre la responsabilité limitée des hébergeurs et détermine que ce dernier n’est pas responsable des contenus s’il a tout mis en œuvre pour retirer les données litigieuses. Par exception, sa responsabilité peut être engagée s’il a eu connaissance de ces activités illicites.
Dans cet arrêt du 2 décembre 2014, la mesure phare de cette condamnation consiste à supprimer les mots clés « TF1 » et « LCI » du site Dailymotion car ils permettent d’accéder facilement à ces contenus considérés comme illicites. Néanmoins, la demande du groupe TF1 de procéder au filtrage avant toute mise en ligne, c’est-à-dire a priori des contenus comportant les logos des chaines du groupe, a été refusée par la Cour d’appel.
Ce refus tient principalement à la qualification du statut de la plateforme. En effet, en tant qu’hébergeur, Dailymotion n’a pas à opérer de contrôle a priori de l’information mise en ligne. Par contre, le site est tenu de procéder à la suppression du contenu illicite dès lors qu’il en a été informé. C’est le caractère tardif de cette suppression qui lui a donc été opposé.
Le rejet du statut d’éditeur pour Dailymotion
En réalité, les juges doivent exercer un examen approfondi des missions et des services proposés par le site internet. Lorsque la plupart des vidéos en ligne provient des internautes eux mêmes, on peut considérer que celui qui fournit la capacité de stockage est davantage un hébergeur qu’un éditeur.
La Cour de cassation a eu l’occasion de juger une affaire en 2011 dans laquelle Dailymotion était en cause (NordOuest Production c/ Dailymotion). En effet, le statut d’hébergeur a été reconnu au site, en ce qu’il permettait au public de stocker des vidéos en ligne. Mais le juge apporte une précision et estime que lorsque la plateforme peut limiter l’accès au contenu mis en ligne et ordonner ces contenus, elle a bien la qualité d’éditeur.
C’est ainsi que TF1 a voulu à son tour lui imputer cette qualité d’éditeur, ce que la Cour d’appel a refusé. Dailymotion resterait satisfait de la qualification par les juges du fond de sa qualité d’hébergeur. Cela implique toujours qu’aucune obligation générale de surveillance ne lui incombe. C’est pourquoi, le site envisagerait un pourvoi en cassation.
Vers un allégement du mode de preuve ?
Pour que la responsabilité de l’hébergeur soit engagée, il faut une notification qui rapporte avec précision les activités et informations illicites susceptibles de devoir être retirées. La LCEN n’envisage d’engager cette responsabilité que pour les faits qui sont recensés dans cette notification. C’est le principe du « notice and take down ». Cela est remis en cause par les titulaires des droits qui souhaitent la mise en place du principe « notice and stay down » qui permettrait d’empêcher la réapparition des informations retirées. En effet, le problème de ce système est qu’il vaut pour le contenu actuel mais ne prévient pas pour le contenu futur.
C’est cette notification qui crée une présomption de la connaissance du caractère illicite du contenu pour l’hébergeur. Ce dernier doit alors tout mettre en œuvre pour le retirer. Les preuves à fournir par celui qui revendique être le titulaire de ces droits sont lourdes. Une multitude de contrats doit être présenté. Il faut également prouver en quoi le délai pour retirer ces contenus n’a pas été raisonnable.
Or, il semblerait que le caractère illicite de ces contenus est aisément vérifiable. Certains avancent l’argument selon lequel cet arrêt permettrait de mettre en évidence la lourdeur de cette procédure et au combien il serait nécessaire d’alléger le recueillement de la preuve en matière de contenus illicites sur ces plateformes d’hébergement.
Sources :
ANONYME, « Dailymotion condamné en appel pour contrefaçon et concurrence déloyale », lemonde.fr, mis en ligne le 2 décembre 2014, consulté le 5 décembre 2014, <http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/12/02/dailymotion-condamne-en-appel-pour-contrefacon-et-concurrence-deloyale_4533098_3246.html>
JAIMES (N.), « Dailymotion condamné à verser 1,38 million d’euros à TF1 », journaldunet.com, mis en ligne le 3 décembre 2014, consulté le 5 décembre 2014, <http://www.journaldunet.com/media/publishers/dailymotion-condamnation-tf1-1214.shtml>
REBBOT (N.), « Dailymotion condamné à payer 1,38 million d’euros à TF1 : une décision emblématique », nouvelobs.com, mis en ligne le 3 décembre 2014, consulté le 5 décembre 2014, <http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1284346-dailymotion-condamne-a-payer-1-38-million-d-euros-a-tf1-une-decision-emblematique.html>
REES (M.), « L’hébergeur Dailymotion condamné à 1,3 million d’euros au profit de TF1 et LCI », nextinpact.com, mis en ligne le 2 décembre 2014, consulté le 5 décembre 2014, <http://www.nextinpact.com/news/91194-lhebergeur-dailymotion-condamne-a-13-millions-deuros-au-profit-tf1-et-lci.htm>