Le salaire des acteurs cinéma est un sujet qui divise au vu de la rémunération souvent astronomique de certaines grandes stars du cinéma. Des cachets dont les montants peuvent laisser rêveur autant qu’ils peuvent agacer. A ce titre, en 2012 suite à l’exil fiscal de Gérard Depardieu une polémique avait fait surface, « Comment un homme devenu riche grâce à cette industrie subventionnée qu’est le cinéma peut-il décemment s’exiler en Belgique ? ». Mais, le producteur Vincent Maraval dans une tribune dorénavant célèbre, « Les acteurs français sont trop payés ! » publiée dans le Monde avait décidé de voir au-delà du cas particulier Depardieu. Selon lui, le problème était plus grand. En effet, pour lui le système de financement du cinéma français encouragerait le versement de salaires disproportionnés, faisant des acteurs « riches de l’argent public ». Suite à ce pamphlet, la ministre de la culture de l’époque, Aurélie Filippetti avait commandé un rapport sur le financement de la production et de la distribution cinématographique à l’heure du numérique à l’ancien directeur de Gaumont, René Bonnell. En janvier dernier, ce rapport Bonnell livrait ses 50 propositions pour adapter le financement du cinéma Français. Parmi ces propositions, celle de revoir à la baisse le cachet des acteurs. Une proposition qui fait aujourd’hui écho en novembre 2014 à la décision du CNC de plafonner le salaire des acteurs de cinéma.
Des coûts artistiques démesurés
Si la mesure avait déjà filtré dans la presse en juin dernier elle est dorénavant officielle. Le CNC lors de son conseil d’administration du 27 novembre dernier a décidé de mettre en place l’encadrement du cachet des acteurs. Pour ce faire, selon le journal les Echos, le CNC à l’intention de mettre en place quatre paliers.
Ainsi, pour un film au budget inférieur à 4 millions d’euros, un acteur ne pourra percevoir un cachet dépassant 15 % du coût de production soit environ 600 000 euros. Un palier minimum qui reste néanmoins beaucoup plus élevé que ce que préconisé Vincent Maraval en 2012 avec un plafonnement à 400 000 euros. Quant au deuxième palier de cette grille tarifaire, il concerne les films entre 4 et 7 millions d’euros avec une rémunération plafonnée à 8% du coût de production. Puis ce sont les films entre 7 et 10 millions pour lesquels le cachet d’un acteur ne pourra excéder 5% du coût de production. Et enfin, pour les films dépassant les 10 millions d’euros, un acteur ne pourra percevoir un cachet dépassant 990 000 euros. Il est intéressant de voir que le CNC refuse de dépasser la barrière symbolique du million. A noté aussi, que ce montant s’apprécie en fonction de la personne et non pas en fonction du poste occupé. Une sage précaution, car il est courant au cinéma de multiplier les casquettes (acteur, réalisateur, scénariste…) et sans cette précaution prise par le CNC, il aurait été très simple de contourner le plafonnement en augmentant par exemple la rémunération pour le travail de scénariste d’un acteur. Fort à parier que de nombreux acteurs se seraient alors trouvés comme par magie un soudain talent scénaristique…
Aussi, en cas de dépassement de ces plafonds, le CNC parle de « coût artistiques démesurés ». Dès lors, si le CNC remarque un dépassement, le film se verra alors privé de subventions telles que l’aide sélective à la production ou encore l’aide automatique à la production.
Une manière efficace de restaurer son image
En 2012, la cour des comptes reprochait au CNC d’avoir trop d’argent et de dépenser ses fonds de manière maladroite. En effet, le CNC bénéficie d’un budget très confortable, une augmentation constatée depuis 2007 grâce à la mise en place d’une taxe sur les opérateurs de télécom (que Free a eu du mal à accepter). Ainsi, le CNC à l’image d’« un nouveau riche » avait tendance à ne plus regarder à la dépense dans l’octroi de ses subventions, ce qui profitait notamment aux acteurs pour s’assurer au passage de confortables rémunérations. A ce titre, de la tribune de Vincent Maraval beaucoup n’ont retenu que sa célèbre formule, « les acteurs français sont riches de l’argent public ». C’est pourquoi, on ne peut que louer cette décision du CNC, qui a décidé de ne plus cautionner ces rémunérations souvent disproportionnées. En ce sens dans les Inrocks, le producteur Patrick Sobelman s’est enchanté de cette position ; “il fallait envoyer un signal fort, à la fois aux gens du métier et au grand public, pour lutter contre cette idée d’un cinéma français qui se gave avec l’argent des contribuables et reste aveugle aux échecs“. A travers ce plafonnement le CNC se rachète une image, en cas de gros salaire on saura désormais que le CNC n’est plus lié. La symbolique est forte, au même titre que le plafonnement en dessous du million. On met aussi fin à des situations aberrantes, on ne pourra plus désormais demander une aide au financement s’il on peut à côté rémunérer un acteur près de 5 fois le montant maximum de cette aide, c’est une question de logique. Aussi, ce plafonnement va avoir un effet curatif sur l’inflation des cachets comme le souligne le producteur Marc Missonier pour Libération, « les producteurs qui ont besoin du soutien financier du CNC auront un argument décisif dans leurs négociations avec les agents afin qu’ils tempèrent les exigences salariales des talents ». Par ailleurs, Patrick Sobelman pour les Inrocks pense que ce plafonnement aura pour effet de consacrer certaines sommes autrefois réservées aux cachets des acteurs à d’autres postes de dépense, ce qui pourrait se répercuter sur le résultat final. Théoriquement cette logique de cercle vertueux semble réalisable, mais reste à vérifier en pratique…
Cependant, si le CNC a décidé de plafonner le salaire des acteurs cela n’entraînera pas pour autant la disparition des cachets mirobolants, notamment à cause des chaînes de télévision.
Les chaînes de télévision pointées du doigt
En dépit du plafonnement préconisé par le CNC les gros salaires seront toujours présents et ceux en raison des obligations de production imposés aux chaînes de télévision. Comme l’explique le producteur Marc Missonnier pour Libération, “les stars qui réclament des salaires très élevés pourront continuer à le faire, mais cet argent devra venir du privé ou d’un intéressement plus important aux revenus du film ». Cela semble juste, nous sommes dans une économie libérale, les chaînes doivent pouvoir encore agir comme elles le souhaitent tant que cela ne concerne plus une intervention de l’organisme public. Mais, si Vincent Maraval s’est réjoui de la décision du CNC, sur Twitter il a fait part du fait que le CNC aurait pu aller plus loin en pointant du doigt les chaînes de télévision.
En effet, en France il existe une réelle dépendance entre le monde du cinéma et celui de la télévision. Preuve récente de la puissance financière de la télévision, M6 vient de mettre sur la table près de 23 millions d’euros pour la seule production du dernier film d’animation Astérix. Une somme très éloignée du montant maximum des sommes allouées par le CNC. Ainsi, dans le cadre de préachats ou de co-production, les chaînes de télévision privilégient des films qui feront leurs audiences de demain et qui satisferont également à leurs quotas de diffusion, une pierre deux coups en somme. Voilà pourquoi, contrairement au cinéma espagnol par exemple, le cinéma d’horreur français peine à trouver des financements, en raison de cette dépendance télévisuelle. En effet, si TF1 est obligé de consacrer 3,2% de son chiffre d’affaire à la production de films et de respecter un quotas de diffusion d’œuvres cinématographiques, la chaîne le fera pour de films qui seront fédérateur en prime-time. En effet, la chaîne cherchera à compenser ces contraintes par une audience massive lors de la diffusion du film lui permettant la vente d’espaces publicitaires. C’est pourquoi, la chaîne en échange de son apport va exiger la présence de tel ou tel acteur au casting. De ce fait, lorsque TF1 produit Supercondriaque, c’est une comédie apposée du label Dany Boon qu’elle produit car c’est un acteur fédérateur d’audience comme le confirme les classements 2013 et 2014 des 100 meilleures audiences télévisuelles. Voilà pourquoi le salaire de certains acteurs à subit de tels envolés, c’est l’effet pervers d’un système à la base bien intentionné qui est aujourd’hui vecteur de films trop calibrés pour la télévision et de cachets pharamineux. Le rapport Bonnell avait d’ailleurs préconisé de retirer les dépenses de cachets du calcul des obligations de production. Le rapport avançait aussi l’idée comme beaucoup de l’intéressement pour une rémunération plus juste.
La solution de l’intéressement
Souvent ce n’est pas le salaire d’un acteur qui interpelle l’opinion publique, mais le fait qu’il soit associé à un échec. C’est une vision en partie injuste, car il est difficile d’imputer aux seuls acteurs l’échec d’un film. Cependant, le fait de s’enrichir sur un échec est aussi difficilement concevable. Aussi, pour une rémunération plus juste il a souvent été avancé l’idée de la généralisation de l’intéressement sur les recettes d’un film. Il existe le système de bonus, lorsqu’un film atteint un certain palier au niveau des entrées l’acteur a le droit à une rémunération supplémentaire. Ceci fut le cas pour Bérénice Bejo pour le film The Artist, au-delà de 700 000 entrées l’actrice a touché un bonus de 50 000 euros plus encore un autre passé le palier du million d’entrées. Une méthode expérimentée aussi à l’international et qui a permis notamment à Robert Downey Jr de gagner près 50 millions de dollars pour le film Avengers aussi grâce à ce système de bonus par palier.
Il y’a aussi le système de l’intéressement prélevé directement sur la vente de la place de cinéma. Ainsi, un acteur a le droit à un salaire de base revu à la baisse, mais en contrepartie il reçoit pour chaque billet vendu une partie des recettes. Un système mise en œuvre pour certains films comme pour Intouchables. Les deux acteurs principaux du film ont touché à partir de 1,6 millions d’entrées, 0,09 centimes sur chaque ticket vendus, ce qui a valu aux deux acteurs un cachet final de 1,79 millions d’euros chacun.
Grâce à ce système certains acteurs peuvent baisser leurs cachets en pariant sur le potentiel de certains projets qui ne sont pas en adéquation avec les standards télévisuels et qui font donc fuir les plus gros investisseurs. Pour le magazine So Film de Février 2014, le réalisateur et président de l’ARP Michel Hazanavicius soulignait d’ailleurs l’effet positif que pouvait avoir l’intéressement sur le soin apporté à la fabrication d’un film. Mais il soulignait également les difficultés dans la mise en œuvre d’un tel dispositif, en pointant du doigt le souci qu’il rencontre dans les remontées de recette, ce qui fait que bien souvent l’argent est là au début mais rarement à la fin. Un système à améliorer donc, mais qui devrait devenir de plus en plus courant dû au plafonnement des salaires par le CNC.
Sources :
-POUSSIELGUE (G.), « Cinéma : première initiative pour plafonner le cachet de stars », lesechos.fr, mise en ligne le 3 décembre 2014 <http://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0203985149934-cinema-le-cnc-encadre-les-salaires-des-stars-1070925.php#>
-BLONDEAU (R.), « Salaires encadrés pour les acteurs : gadget démago ou vraie réforme ? », lesinrocks.fr, mise en ligne le 5 décembre 2014. <http://www.lesinrocks.com/2014/12/05/actualite/encadrer-salaire-acteurs-gadget-demago-vraie-reforme-11539607/>
-PERON (D.) et GESTER (J.), « Gros cachets : le CNC impose son remède », libération.fr, mise en ligne le 4 décembre 2014. <http://www.liberation.fr/culture/2014/12/04/gros-cachet-s-le-cnc-impose-son-remede_1157011>
-LOUNAS (T.), « Entretien Michel Hazanavicius/Vincent Maraval. Cinéma français : jusqu’ici tout va bien… », SoFilm, N°17, février 2014.