Depuis quelques années déjà, naviguer sur internet sans être importuné par des publicités intempestives est devenu possible. Des logiciels spécialisés, ou adblockers, ont en effet vu le jour, permettant un blocage des publicités, en rendant l’espace qui leur est dédié invisible. Il s’agit d’extensions informatiques que les internautes peuvent rapidement et gratuitement installer sur leurs navigateurs.
Ce type de logiciel séduit de plus en plus d’internautes dans le monde. Selon le rapport de septembre 2014 de PageFair, start-up irlandaise qui évalue chaque année le phénomène, le recours à ces bloqueurs de publicités aurait augmenté de 69% en une année, pour atteindre aujourd’hui 144 millions d’utilisateurs dans le monde. Le plus connu d’entre eux est Adblock Plus, un projet open source allemand lancé en 2006. Celui-ci a pris une telle ampleur que ses deux cofondateurs Till Faida et Wladimir Palant ont décidé en septembre 2011 de créer une société, Eyeo GmbH, qui gère désormais le produit. Le logiciel compte à ce jour près de 5 millions d’utilisateurs actifs en France.
Néanmoins, ce type de programmes ne fait que pas que des heureux et pose problème pour une majorité d’éditeurs de site internet qui fonctionnent grâce à un modèle économique fondé sur la publicité. Pour eux, plus la publicité est visible, plus elle elle coûte chère à l’annonceur et plus elle leur rapporte de l’argent à la fin. Un revenu nécessaire pour le financement des contenus diffusés gratuitement sur la toile. Ainsi, les adblockers constitueraient un manque à gagner important pouvant conduire à la fermeture pure et simple de certains sites. Face à ce phénomène, les éditeurs de sites français ont alors décidé de contre-attaquer.
La riposte des éditeurs de sites
On a récemment vu beaucoup d’éditeurs diffuser des messages informatifs à destination des utilisateurs de logiciels antipub, expliquant le risque économique qui plane sur eux en cas de disparition de la publicité. Par exemple, lequipe.fr ou encore tf1.fr ont choisi de bloquer la lecture d’une vidéo si un logiciel anti-pub est activé en affichant un message indiquant que le site est financé par la publicité, ce qui lui permet de proposer ses contenus gratuitement. Si l’internaute désactive le logiciel, celui-ci pourra alors à nouveau regarder les vidéos qu’il souhaite.
Certaines sociétés mettent également au point des programmes permettant de bloquer les logiciels bloqueurs. Par exemple, Frédéric Montagnon, ancien président d’Overblog, a crée Secret Media, qui permet de crypter l’adresse web des publicités afin qu’elles ne puissent pas être détectées par un adblocker et qu’elles s’affichent alors normalement sur l’écran des internautes. Cette société connait un succès grandissant auprès de plusieurs médias français depuis son lancement officiel en septembre dernier.
Le groupe Canal est récemment également entré dans la bataille contre les adblockers. En effet, il a recours à un programme du type Secret media et le logiciel bloqueur n’agit donc plus sur les contenus du site de Canal + qui réussit à diffuser des publicités. Si malgré tout la publicité réussit à être détectée par le logiciel bloqueur, un message s’affiche, invitant l’internaute à désactiver le bloqueur pour accéder au contenu.
Mais au-delà de ces adblockers qui inquiètent les éditeurs, c’est plus particulièrement le modèle économique d’Adblock Plus qui fait polémique.
Un fonctionnement commercial au cœur des débats
Les fondateurs d’Adblocks Plus se présentent comme les défenseurs des internautes en revendiquant des valeurs « communautaires » dans le but d’améliorer la publicité et non pas la tuer. Mais ce qui dérange est le fonctionnement économique de ce logiciel qui a mis en place une « liste blanche » en 2011 pour monétiser le service. Cette « liste blanche » autorise l’affichage de certaines annonces considérées comme « non intrusives » si elles respectent un certain nombre de critères. La publicité doit alors être statique, clairement identifiée, ne pas cacher pas le contenu du site ou encore ne pas perturber l’équilibre de la page. Le problème réside dans le fait que le maintien de la liste à jour nécessite beaucoup de moyens. En effet, vérifier continuellement qu’un éditeur ne contrevienne pas aux critères posés n’est pas chose aisée. La société a alors rajouté une condition pour les « grandes » entreprises. Celles-ci doivent s’acquitter d’une taxe pour pouvoir être intégrée à la liste et ainsi échapper aux filtrages. Mais sur quels critères objectifs la société Eyeo se base t-elle pour considérer qu’une entreprise est assez « grande » pour payer ? Cette question reste sans réponse, la société invoquant le « secret commercial ». L’entreprise fixe donc les prix et les conditions « au cas par cas », en fonction du client.
C’est sur la base de ce modèle économique qu’une action en justice est actuellement à l’étude par les éditeurs français, certains médias l’assimilant à de l’extorsion.
Une éventuelle action en justice contre Eyeo
En France, le GESTE, organisation regroupant la majorité des éditeurs en ligne et l’IAB France, association édictant les standards de la publicité en ligne, réfléchissent sérieusement à une possible action en justice contre l’entreprise. Ils poursuivent encore pour l’heure des consultations juridiques afin de déterminer un fondement solide sur lequel pourrait se baser la plainte.
Les éditeurs allemands ont quant à eux déjà entamé une procédure judiciaire contre le groupe Eyeo en juillet dernier. Leur plainte vise le modèle économique d’Adblock Plus qui est selon eux, contraire aux règles de la concurrence et de fait « illégal ».
Néanmoins, Adblock Plus étant mis à disposition en open source c’est-à-dire avec un code source pouvant être repris, amélioré puis diffusé par n’importe qui, une multitude d’autres adblockers peuvent alors se développer très rapidement. Une action en justice uniquement dirigé contre la société de blocage la plus connue ne résoudrait sûrement pas le problème même si les éditeurs considèrent que cela permettrait d’envoyer un signal à celles qui l’ont imitée.
Face à l’explosion de l’utilisation de ces adblockers, certains services décident de créer eux mêmes leur propre service sans publicités, fonctionnant grâce à des abonnements mensuels. Ainsi, Google a lancé récemment en expérimentation Google Contributor, une plateforme de financement participatif de sites web sans publicités, contre un abonnement de quelques dollars par mois. Une partie des sommes récoltées grâce l’abonnement sera ensuite reversée aux sites partenaires qui, au lieu d’afficher une publicité, publieront un message remerciant les internautes contribuant à leur soutien. De même, Youtube a lancé Youtube Music Key, qui permettra de regarder des vidéos sans interruptions publicitaires.
Néanmoins, il n’est pas certain que ce type de service rencontre un fort succès et réussisse à endiguer le phénomène des adblockers, la majorité des internautes n’étant pas encore prêt à payer pour supprimer la publicité quand la possibilité leur est laissée de le faire gratuitement…
C’est finalement peut-être plutôt au niveau du format de la publicité en elle même qu’il faudrait opérer des modifications, afin qu’elles soient moins intrusives et agressives pour l’internaute.
SOURCES :
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ANONYME, « Google et les éditeurs s’attaquent aux logiciels anti-publicité », lepoint.fr, mis en ligne le 2 décembre 2014, consulté le 13 décembre 2014, <http://www.lepoint.fr/high-tech-internet/google-et-les-editeurs-s-attaquent-aux-logiciels-anti-publicite-02-12-2014-1886092_47.php>
KRISTANADJAJA G., « Adblock Plus attaqué en justice ? Ce qui pose question », rue89.nouvelobs.com, mis en ligne le 3 décembre 2014, consulté le 10 décembre 2014, <http://rue89.nouvelobs.com/2014/12/03/adblock-plus-attaque-justice-pose-question-256363>
RONFAUT L., « Google fait payer les internautes pour supprimer les pubs en ligne », lefigaro.fr, mis en ligne le 21 novembre 2014, consulté le 16 décembre 2014, <http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/11/21/01007-20141121ARTFIG00306-google-remplace-la-publicite-en-ligne-par-des-dons.php>
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