Dans une décision du 28 novembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la vente événementielle en ligne, l’Autorité de la concurrence estime que la société Vente-Privee.com n’est pas en position dominante.
En 2009, la société BrandAlley recourt à l’Autorité de la concurrence pour faire constater par elle un abus de position dominante de Vente-Privee.com sur le marché des ventes événementielles privées par Internet. Elle reproche principalement à sa concurrente les clauses d’exclusivité qu’elle estime être excessives puisqu’elles interdissent aux marques de commercialiser leurs produits sur d’autres sites de ventes événementielles. Les durées de ces clauses excédant la durée de la vente et pouvant aller jusqu’à plus de six mois.
Le marché de la vente événementielle sur internet
La vente événementielle sur internet est un évènement relativement récent, pensée par la société Vente-Privee.com. En réalité, il s’agit de la retranscription dans le monde numérique d’un modèle existant dans le circuit de distribution traditionnel. Les sociétés n’ayant pu écouler l’ensemble de leurs produits neufs les revendent à des “destockeurs” qui se chargent de les vendre avec des réductions importantes. Cela permet ainsi aux marques de réduire les coûts liés aux stocks et les frais de destruction de marchandises.
Ce marché de la vente événementielle en ligne représente aujourd’hui en France près d’un milliard d’euros alors qu’il n’était que de dix-huit millions en 2004, soit le chiffre d’affaires du seul opérateur de l’époque Vente-Privee.com. Ce dernier est le leader du marché avec près de dix millions de membres et un chiffre d’affaires en constante augmentation. BradAlley, la société requérante, est également présente sur le marché de la vente événementielle sur internet avec un chiffre d’affaires qui avoisine les soixante-cinq millions d’euros. Parmi les autres concurrents de taille on peut évoquer les sociétés Showroomprive.com, Bazarchic ou encore Private Outlet et la société OLFO détentrice du site achatvip.com.
Du contrat de commercialisation au contrat “Privilège”
Ce qui est reproché à la société Vente-Privee.com ce sont les clauses d’exclusivité et plus généralement les contrats proposés par celle-ci. On peut en dénombrer trois types: les contrats de commercialisation, les contrats “Privilège” et enfin plus rarement les contrats en cash.
Les contrats de commercialisation sont conclus pour une seule vente entre Vente-Privee.com et son fournisseur. Il s’agit d’un achat conditionnel, c’est-à-dire que le fournisseur réserve le stock au site internet qui n’acquiert les produits que lorsque la vente événementielle se termine. Cette technique permet à la société Vente-Privee.com de réduire ses frais de stock, de livraison et de produits invendus. Ces contrats incluent également des clauses d’exclusivité qui interdisent au fournisseur de vendre ses produits sur d’autres sites internet de ventes événementielles. Ce contrat représente 89% des contrats conclus par la société.
Les contrats privilèges reposent sur une collaboration plus étroite avec le fournisseur qui en tire des avantages comme le versement d’un acompte, l’engagement de régler la facture dans les huit jours ou encore la priorité dans le choix des plages de dates. En contrepartie la clause d’exclusivité passe à deux ans soit la durée du contrat. Le fournisseur s’engage également avec une clause de non-concurrence de neuf mois.
“Il est fait grief à la société Vente-privee.com d’avoir abusé de sa position dominante sur le marché français de la vente événementielle en ligne en contractant avec ses fournisseurs des clauses d’exclusivité et de non-concurrence leur interdisant, pour une durée injustifiée, de passer par un site de vente événementielle en ligne concurrent. Une telle pratique doit recevoir la qualification d’abus de position dominante au regard de l’article L.420-2 du code de commerce ainsi que l’article 102 du TFUE dans la mesure où elle a eu pour objet et pour effet de conforter la position de Vente-privee.com en rendant artificiellement plus difficile l’entrée et le développement d’entreprises concurrentes sur ce marché. Ces pratiques ont été mises en œuvre depuis fin 2005 jusqu’à ce jour, et sont retenues pour cette période à l’encontre de Vente-privee.com”.
Dans son analyse l’Autorité de la concurrence va dans un premier temps rechercher le marché pertinent au sens de l’article 102 du TFUE puis déterminer si les clauses d’exclusivité des contrats constituent un abus de position dominante conformément à l’article L.420-2 du Code de commerce.
Le marché pertinent qualificatif de l’abus de position dominante
Le marché pertinent “permet d’apprécier la part de marché ainsi que le pouvoir de marché d’une entreprise, c’est-à-dire sa capacité à se comporter indépendamment de ses concurrents, notamment en augmentant ses prix de manière profitable au-delà du prix concurrentiel”. L’Autorité fait référence à une communication de la commission européenne qui permet de définir un marché pertinent à partir d’un produit que le consommateur considère comme étant interchangeable avec un autre en prenant en compte le prix et l’usage qui peut en être fait. Elle rappelle également que ce marché doit prendre en compte la dimension géographique “le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l’offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable”.
L’Autorité retient facilement le marché géographique français métropolitain. En revanche, elle n’arrive pas à définir un marché de produits ou du moins ne considère pas le marché de la vente événementielle sur internet comme un marché pertinent. En effet, le critère principal de définition du marché pertinent est celui de la substituabilité. Or ici, l’Autorité constate que ces services sont susceptibles d’être remplacés par les offres de soldes sur internet, par les sites internet proposant des prix réduits ou encore par les magasins d’usines qui sont connus du consommateur. En outre, l’élément confidentiel de la vente n’est pas retenu puisque ces sites de ventes événementielles représentent des millions d’utilisateurs et que l’inscription ne nécessite plus d’invitation et se fait en quelques secondes.
Les clauses d’exclusivités disproportionnées
Toutefois, l’Autorité est plus sévère avec la société Vente-Privee.com concernant les clauses d’exclusivité. Elle rappelle que les clauses d’exclusivité de distribution sont en principe légales. Mais en pratique, il est nécessaire de s’interroger sur l’effet restrictif de ces clauses. Elle s’interroge principalement sur la clarté de ces clauses et des différentes interprétations qui peuvent en être faites. Ainsi certains fournisseurs ont estimé que ces clauses les liaient pour l’ensemble de leurs produits en fin de série alors que la société Vente-Privee.com a précisé qu’elles ne concernaient que les produits objets du contrat. En outre, ces clauses semblent être pour l’autorité en inadéquation avec l’objet du contrat. La durée constatée de six mois peut être considérée comme excessive et disproportionnée.
Le marché de la vente événementielle sur internet n’étant pas considéré comme un marché pertinent, la société BrandAlley ne peut se fonder sur l’existence de clauses d’exclusivité disproportionnée pour justifier un abus de position dominante de la société Vente-Privee.com.
Une décision contestée en appel
Cette solution ne convainc pas Cyril Andrino, PDG de la société BrandAlley qui contestera la décision de l’Autorité de la concurrence devant la Cour d’Appel de Paris. “Nous sommes extrêmement déçus de constater qu’après 5 ans de procédure, d’un côté l’Autorité de la concurrence reconnaît que les exclusivités qui figurent dans les contrats que les marques signent avec Vente Privée, pourraient être considérées comme abusives, mais d’un autre côté elle déclare qu’elle ne peut pas se prononcer parce que ses services d’instruction n’ont pas défini de façon assez précise le marché sur lequel Vente Privée est en position dominante”.
BERGE F., «Brandalley conteste la décision de l’Autorité de la concurrence sur vente-privée.com», 01net.com, mis en ligne le 17 décembre 2014, consulté le 20 décembre 2014, <http://pro.01net.com/editorial/637521/brandalley-conteste-la-decision-de-lautorite-de-la-concurrence-sur-vente-privee-com/>
BERTRAND F., «Vente-privee.com échappe au joug de l’Autorité de la concurrence», lemonde.fr, mis en ligne le 28 novembre 2014, consulté le 28 novembre 2014, <http://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/0203974875905-vente-priveecom-echappe-au-joug-de-lautorite-de-la-concurrence-1069372.php>
AUTORITE DE LA CONCURRENCE, «Décision 14-D-18 du 28 novembre 2014 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la vente événementielle en ligne», autoritedelaconcurrence.fr, mis en ligne le 28 novembre 2014, consulté le 28 novembre 2014, <http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/14d18.pdf>