Quand on dit que les téléphones portables sont présents partout aujourd’hui, même dans des lieux où ils ne sont pas censés l’être, ce n’est pas un euphémisme. En effet, une page Facebook, intitulée « MDR O BAUMETTES », se traduisant par « Mort de rire aux Baumettes », est apparue, il y a quelques semaines, sur la toile. Elle compilait plus de 120 photos ainsi que quatre vidéos. Des prisonniers, tout sourire, y apparaissaient avec des billets de 50 euros, en train de fumer des narguilés ou de téléphoner ; certains clichés témoignant également de la présence de drogue dans l’enceinte de la prison.
Il semblerait que cette page, ayant recensé plus de 4 800 likes en quelques jours, était administrée par d’anciens détenus, venant d’être libérés. « Etait », car à la demande de l’Administration pénitentiaire, la page a été fermée le 31 décembre 2014.
Point positif, cette véritable provocation a, du coup, permis d’identifier les détenus et cinq cellules ont été entièrement fouillées. Trois téléphones et une clé USB y ont été retrouvés mais aucune trace de drogue n’a pu être décelée. Les emplois, rémunérés des protagonistes, ont immédiatement été suspendus et tous devraient probablement passer en commission disciplinaire dans les jours prochains. Une enquête a également été ouverte et le procureur de Marseille, saisi.
Par la suite, une nouvelle page, intitulée de la même manière, est apparue sur la toile le 6 janvier 2015, montrant un présumé détenu, tenant toujours billets et téléphones portables à la main, mais cette fois-ci, ce dernier était encagoulé. Après investigation, il est apparu que ce compte était faux, car la photo en question avait déjà servi à illustrer un article du quotidien le Progrès en juin 2014.
Il ne reste pas moins que cette nouvelle affaire illustre parfaitement les différents problèmes connus et récurrents dans le milieu pénitentiaire.
La prison, un « centre de vacances » ?
En 2012, le rapport rendu par Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, dénonçait des conditions de vie extrêmement dures, dangereuses voire inhumaines, au sein de la prison phocéenne. Pour remédier à cette situation, un grand projet de rénovation a été mis en œuvre, associant même certains détenus. Aujourd’hui, au regard des différentes photographies prises sur place, il semblerait que ces conditions se soient considérablement « améliorées » au point d’être comparées à celles d’un « centre de vacances » ! Ce que dénonce, notamment, le syndicat Force ouvrière par le biais de sa déléguée, Catherine Forzi : « Ils ont tous des téléphones portables, le sport, l’école, des activités, la télévision avec en prime Canal + (pour neuf euros par cellule et par mois), alors que la majorité des gens, à l’extérieur, n’ont pas les moyens de se payer l’abonnement […]. Très franchement, seule une infime partie a l’air de souffrir d’être en prison ».
Ce genre de réaction est de plus en plus fréquent mais le Gouvernement semble faire la sourde oreille. De plus, ce type d’incident n’est pas nouveau puisqu’on estime entre 700 et 800, le nombre de portables récupérés au sein de cette prison, chaque année. D’après le directeur de l’Administration pénitentiaire de Marseille, Philippe Perron, « il existe aujourd’hui des téléphones en matière indétectable par les portiques de sécurité » et « le brouillage des communications » se heurte aux évolutions technologiques, avec, par exemple, « le passage à la 4G ».
De plus, avec l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009, cela n’est pas prêt de s’arrêter, puisque les fouilles systématiques après les parloirs ont été interdites. Certains proches de détenus sont tout de même assez dubitatifs quant à la seule responsabilité des prisonniers, estimant même que des gardiens, dépassés par la situation, seraient complices.
Mais ce n’est pas le plus grave. Bruno Boudon, responsable régional pour l’Ufap-UNSa-Justice (Union fédérale autonome pénitentiaire -Union nationale des syndicats autonomes), affirme qu’aujourd’hui « la mode du moment est aussi aux couteaux en céramique, par définition indétectables » aux ondes millimétriques. L’insécurité s’est donc renforcée tant pour les autres détenus que pour le personnel du centre pénitentiaire ; les fouilles des cellules, même quotidiennes, étant totalement insuffisantes, par manque de moyens.
Une absence de moyens
David Cucchietti, le secrétaire local de la CGT, majoritaire aux Baumettes, enfonce le clou en déclarant au journal La Provence : “Quand la direction a découvert cette page, elle nous a tout de suite demandé ce que faisaient les agents pour ne pas avoir vu ce cinéma ! Mais le problème, c’est que nous ne sommes plus assez nombreux, nous le répétons depuis des années. Ils (les détenus) n’ont plus peur de rien, et nous, nous n’avons pas les moyens de lutter. Cette page n’a rien de valorisant pour nous, pour le travail fait chaque jour par les surveillants, mais c’est un fait, les détenus sont livrés à eux-mêmes.”
Thierry Serra, délégué local de l’Ufap-UNSa-Justice insiste : « Aux Baumettes, un surveillant a en charge entre 100 et 150 détenus, or une fouille sérieuse peut prendre plus de deux bonnes heures ». Cette prison accueillerait actuellement quelques 1 800 détenus pour 1 200 places disponibles. Impossible donc pour les 500 surveillants, dont une trentaine est affectée à la gestion des étages, de réaliser leur travail dans des conditions satisfaisantes. D’autant plus que les fautifs ne seront pas forcément sanctionnés, dans un but de « paix sociale ». Notons que le contrôleur général des lieux de privation de liberté a déjà évoqué l’idée d’une possible loi, autorisant, sous conditions, les téléphones portables en prison…
Démunis face au manque de moyens techniques et humains, l’Administration pénitentiaire ne sait plus quoi faire. Fin octobre, un rassemblement de surveillants avait déjà eu lieu devant de nombreuses prisons françaises, et notamment aux Baumettes, pour dénoncer leurs conditions de travail extrêmement difficiles. L’urgence d’une rapide réaction semble, malheureusement, se faire attendre…
Sources :
– CAPDEPON R., « Prison des Baumettes à Marseille : la page Facebook qui fait tache », laprovence.com, mis en ligne le 5 janvier 2015, consulté le 6 janvier 2015, <http://www.laprovence.com/article/actualites/3203629/prison-des-baumettes-a-marseille-la-page-facebook-qui-fait-tache.html>
– GONZALES P., « Des détenus postent des “selfies” sur Facebook », lefigaro.fr, mis en ligne le 5 janvier 2015, consulté le 6 janvier 2015, <http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/01/05/01016-20150105ARTFIG00136-des-detenus-postent-des-selfies-sur-facebook.php>
– KOCH F., « “MDR o baumettes”: la pénitentiaire prend l’affaire “très au sérieux” », lexpress.fr, mis en ligne le 5 janvier 2015, consulté le 6 janvier 2015, <http://www.lexpress.fr/actualite/societe/fait-divers/mdr-o-baumettes-le-groupe-facebook-qui-fache_1637564.html>
– ANONYME, « Enquête sur une page Facebook qui met en scène des détenus des Baumettes », lemonde.fr, mis en ligne le 5 janvier 2015, consulté le 6 janvier 2015, <http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/05/une-page-facebook-met-en-scene-des-detenus-des-baumettes-et-declenche-deux-enquetes_4549603_3224.html>