Les MARCL peuvent être définis comme étant un mode de règlement des conflits par voie extrajudiciaire, dont la procédure se fait exclusivement en ligne, qu’il s’agisse d’arbitrage ou de médiation. L’intérêt de ce système résiderait donc en la rapidité, clarté et faible coût de la procédure. Ce système duquel on attribue la première application en matière commerciale à Colin Rule, fondateur de « onlineresolution.com » puis co-fondateur de l’actuel leader mondial « Modria » a été développé de façon différente aux Etats-Unis et en Europe. L’approche américaine est de nature holistique et ne se limite pas aux litiges commerciaux, mais s’étend aussi à certaines procédures civiles dont les divorces. L’approche européenne est beaucoup plus prudente dans l’utilisation de cette nouvelle forme de justice et se cantonne aux litiges commerciaux en ligne. Le Parlement Européen, dans son règlement du 21 mai 2013 (524/2013) rend même obligatoire dès le 9 janvier 2016 la présence d’au moins deux cours arbitrales en ligne par pays de l’Union et organise une plate-forme à l’échelle européenne regroupant toutes les cours nationales dans le but de redonner un second souffle au marché commun en ligne en garantissant les droits des consommateurs européens. Dans le cadre de cette directive, de nombreuses expériences sont en train d’être menées dans certains pays de l’UE.
Une invention américaine
Dès le début des années 2000, quelques avant-gardes, tel Colin Rule, qui fut formé à la médiation par les Quakers et passionné par les nouvelles technologies, se rend compte de l’intérêt que représente ce marché encore très peu visible. Aux frémissements de l’internet que nous connaissions il semblait déjà difficile d’imaginer l’essor incroyable à venir du commerce en ligne, ainsi que des litiges en résultant. Aussi, avaliser la possibilité d’étendre ce genre de mode de règlement des conflits à d’autres aspects de la vie non-numérique semblait être de la science-fiction. Cependant, ce fut bien le cours des événements qui se sont produits en ce début de siècle. Après avoir développé et lancé son site internet de résolution des conflits en ligne et avoir automatisé une bonne partie du processus de traitement du conflit, Colin Rule fut remarqué et engagé par E-bay qui détenait aussi Paypal, en 2003. Il construit alors le système automatisé de règlement des litiges commerciaux des utilisateurs de ces plate-formes et alla jusqu’à automatiser 90 % du mécanisme traitant les litiges. Face au succès de ce système et à la possibilité d’augmenter encore son champs d’action et ses profits, Ebay décida de donner son autonomie à son projet et Modria, leader actuel du marché fut créé en 2011. Chaque année Modria traite des dizaines de milliers de litiges en ligne et ce nombre est prévu d’augmenter dans les prochaines années.
Cependant, aux Etats-Unis et bientôt dans d’autres pays, il est possible d’utiliser ce même système pour d’autres types de litiges, non commerciaux cette fois-ci. En effet, le site « divorce-support.com » propose à ses utilisateurs de divorcer en ligne, le divorce ne sera pas prononcé par un juge mais par un arbitre qui viendra émettre une sentence arbitrale pour organiser la séparation des époux. La décision de l’arbitre ne sera pas dotée de force exécutoire concernant le sort des enfants dans la plupart des Etats fédérés.
Une obligation européenne dès le 9 janvier 2016
Selon les articles 169(1) et le point (a) de l’article 169(2) du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne ainsi que l’article 38 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE, l’Union doit contribuer à une protection de haut niveau des consommateurs européens. De plus, afin de garantir la bonne application de l’article 26(2) TFUE, qui prévoit le marché commun, les consommateurs doivent avoir confiance dans le marché numérique européen. Aussi, dès 2011, la Commission avait soutenu qu’il était nécessaire de développer les modes alternatifs de règlement des conflits dans le cadre du commerce électronique pour renforcer la confiance dans le marché commun. Cette recommandation a obtenu force obligatoire avec le règlement n°524/2013 du 21 mai 2013 qui prévoit que les États doivent se doter d’au moins deux cours arbitrales sur le commerce en ligne dès le 9 janvier 2016. Ce même règlement prévoit la création d’une plate-forme européenne recensant les cours arbitrales des États. Cette approche top-down se cantonne aux litiges commerciaux en ligne et ne prend pas en compte d’autres aspects des relations privées, celles-ci ne tombant pas dans son champ de compétences. Dans le but d’entrer en conformité avec le règlement les pays réfléchissent à la manière d’aborder la question au travers de rapports et d’expériences grandeur nature.
La réflexion européenne sur les MARCL
Plusieurs projets expérimentaux sont menés dans le cadre de la directive de 2013 en Europe. Le projet le plus abouti aujourd’hui semble être la plate-forme hollandaise « Rechtwijzer » (Indicateur du Droit). En effet, cette plate-forme fut tout d’abord conçue pour les particuliers et professionnels du droit qui souhaitaient obtenir des informations à jour sur le droit hollandais. Créée en 2006, dans sa première version, Modria a rejoint l’équipe de développement pour contribuer à l’élargissement des services de la plate-forme vers des services d’arbitrage en ligne pour les litiges commerciaux et divorces, transposant ainsi leur modèle en droit hollandais. Le logiciel permettant l’automatisation du traitement des litiges fut lui aussi importé par Modria. « Rechtwijzer 2.0. » sera en service, dans ce pays, dès mars 2015. Le Royaume-Uni, qui est pourtant rarement le plus diligent et amateur des obligations Bruxelloises, a lui aussi commencé à se pencher sur cette même question et le Civil Justice Council, a nommé le Professeur Richard Susskind de la Faculté de droit de University College London, à la tête d’un groupe de réflexion sur le sujet qui compte de nombreux spécialistes des nouvelles technologies, du droit, de la philosophie et aussi un autre représentant de Modria, Graham Ross. Ainsi, il semblerait que la firme américaine soit très encline à diffuser son système de règlement des litiges en Europe. Comme le rappelle Lord Dyson dudit Conseil, le groupe de réflexion viendra étudier l’application possible de ce système aux litiges commerciaux en ligne (comme le prévoit le règlement) mais aussi aux solutions pour étendre ce mode de rendu de la justice, si efficace et peu onéreux, à d’autres secteurs du droit. Un façon de préparer le terrain à l’arrivée de Modria au Royaume-Uni ? La France quant à elle s’est déjà dotée d’une première ébauche d’un tel projet dans le cadre de la Fédération du E-Commerce et de la Vente à Distance (FEVAD). En effet, selon le rapport du médiateur du e-commerce de juin 2014 (Bernard Slouk), cet organe de médiation des litiges du e-commerce est légitime de part sa représentativité des personnes du secteur (600 entreprises , 60% du chiffre d’affaire total E-commerce en France) et son efficacité, pour qu’une médiation ait lieu, il suffit que l’entreprise soit membre de la Fevad. Cependant, aujourd’hui, il ne s’agit pas d’une cour arbitrale en ligne comme le prévoit le règlement, mais selon son rapporteur « [nous travaillons] sur la conception et la mise en œuvre d’une gestion en ligne [de la médiation] ». Ce rapport nous laisse cependant quelque peu sceptique car, bien qu’on ne puisse nier l’intérêt pédagogique des activités de médiation en ligne mentionnées, ne serait-il pas plus judicieux de travailler à l’élaboration d’une véritable cour arbitrale en ligne française, sur le même modèle que Modria ? Voulons-nous vraiment une version « molle » de ce système qui laissera la place, dans quelques années au colosse américain sur notre territoire ?
La faille majeure du projet français semble être contenue dans l’extrait du rapport du médiateur du E-commerce (2014) : « Si après contact avec l’entreprise, via l’intermédiaire de la Fevad, aucune solution est trouvée dans le délai prévu, votre cas pourra, si c’est votre souhait, être pris en charge par le Médiateur du E-commerce, comme ultime voie de recours amiable, pour vous éviter un éventuel recours judiciaire ». Ce système ne représente aucun intérêt dans le cadre du Règlement de 2013 et la Fevad semble ne pas avoir compris l’objectif du texte, pourtant énoncé explicitement dès les premiers paragraphes. L’objectif est de donner confiance dans le marché numérique commun de l’UE. Ainsi, la solution proposée n’est absolument pas adaptée car il n’est fait mention, à aucun moment, d’un projet de traitement en ligne des litiges qui donnerait lieu à une décision ayant force exécutoire. Ce point est crucial et nos voisins l’ont compris. Le projet de la Fevad est bien sur qu’une première ébauche, et nous sommes persuadés qu’ils seront à même à présenter une version plus aboutie, avant la date convenue. Bien qu’il n’est pas forcément souhaitable qu’une association de professionnels viennent régler des litiges commerciaux, dans le cadre de leur activité :aliquis non debet esse judex in propria causa, quia non potest esse judex et pars.
Une réflexion mondiale
Il semble important de noter que la réflexion sur les MARCL n’est pas une réflexion purement européenne. En effet l’essor du commerce international a diffusé ce concept dans de larges parties du monde. Le Canada, particulièrement l’Etat de British Columbia développe en ce moment son propre système de MARCL dans le cadre d’un projet de développement financé et organisé par l’Etat qui sera effectif dans les deux prochaines années. Ce projet, ne se cantonnera, lui aussi, pas au e-commerce et sera étendu à tous les petits litiges civils et commerciaux, dont les divorces. Le Japon, la Chine et l’Inde connaissent aussi des projets similaires, tous ont choisi la voie de l’arbitrage en ligne et non celle de la médiation.
Les implications théoriques
Tout d’abord après une analyse globale du sujet, il semble que les travaux menés, dans le cadre de l’application du règlement de 2013 sur les MARCL, doivent comprendre la création d’une instance capable de délivrer des décisions ayant force exécutoire dans le règlement des litiges en matière de e-commerce. L’instance peut, selon le modèle Canadien, être une instance publique en ligne qui délivre des décisions à force obligatoire, ou bien selon le modèle Américain, une instance privée, une cour arbitral délivrant des sentences. Cependant, s’il s’agit d’une instance publique, l’on ne pourra parler de procédure extrajudiciaire de règlement des conflits, mais de procédure judiciaire en ligne et ce n’est pas le sens du règlement qui mentionne explicitement des « modes alternatifs de règlement des différents », en ce sens, « alternatif » est entendu comme « alternatif » au règlement traditionnel des différents : le système judiciaire étatique.
Ce postulat étant dégagé, il s’agirait de trouver le système adéquat. Plusieurs questions se posent à nous : est-il judicieux de laisser Modria détenir le monopole des « small-claims » en Europe, puis certainement dans le monde ? Leur compétence technique et leur expérience est-elle un gage d’impartialité et d’efficacité ? Le droit européen, et la conception continentale de la protection des consommateurs ne peut-elle pas donner naissance à des cours arbitrales européennes ? Quels sont les garanties que ce service restera gratuit ou à très faible coût pour les justiciable ?
Sources :
BAKSI (C), Civil Justice Council explores online dispute resolution, The Law Gazette UK, 25 avril 2014, consulté le 06 janvier 2015
FEDERATION DU E-COMMERCE ET VENTE A DISTANCE (FEVAD), Rapport du médiateur du e-commerce 2013, juin 2014, 42 pages, consulté le 06 janvier 2015
PARLEMENT EUROPEEN ET CONSEIL, 21 mai 2013, Règlement n°524/2013 relatif au règlement en ligne des litiges de consommation et modifiant le règlement CE 2006/2004 et la directive 2009/22 (CE). Entrée en application au 9 janvier 2016.
PARLEMENT EUROPEEN ET CONSEIL, 21 mai 2013 Directive n°2013/11 UE, relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation et modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2009/22/CE. Entrée en vigueur le 10 juin 2013
SMITH (R), “I’ve seen the future, it works maybe and it’s in Dutch”, Blog Personnel du Professeur Roger Smith, 18/03/2013