Épilogue de plusieurs mois de débats intensifs, la Federal Communications Commission (FCC) a adopté le jeudi 26 février un cadre règlementaire strict afin d’imposer une neutralité sans failles concernant le trafic au sein du réseau. Souvent évoquées, les questions sous-jacentes à la notion de neutralité du Web ne sont pas nouvelles.
L’idée d’un réseau libre et ouvert
Afin de pouvoir cerner le postulat de ladite neutralité, il faut préalablement la définir. Selon Tim Wu professeur de droit au sein de l’université Columbia, qui aurait introduit cette expression, la meilleure manière d’appréhender la neutralité du réseau est de l’analyser sous le prisme architectural. L’idée est qu’un réseau public utile d’information a pour vocation de traiter tout le contenu, aussi bien pour des sites que des plateformes. Ceci permet au réseau de prendre à charge toutes les formes d’information qu’elle transmet, pour tout support et usage. Ce principe infère que les réseaux d’information ont souvent plus de valeur quand ils sont moins spécialisés, lorsqu’une une plateforme sert à des usages multiples pour le présent comme pour l’avenir. Pour illustrer ses propos, Tim Wu préconise de prendre en exemple un réseau analogue, le réseau électrique. Pour lui « L’emploi général et la nature neutre du réseau électrique sont des composantes qui le rendent extrêmement utile. Le réseau électrique ne soucie pas de savoir si vous brancher un grille-pain, un fer, ou un ordinateur. Par conséquent ce dernier a survécu et a été le support de vagues massives d’innovations à destination du marché des consommateurs. L’armature à fonctionné pour des radios datés des années 30 et fonctionne encore pour la télévision à écran plat des années 2000. Pour cette raison le réseau électrique est un modèle de réseau neutre vecteur de l’innovation. »
Une controverse ancienne
Aux États-Unis, la discussion autour du devenir du réseau a refait surface en 2014, pourtant c’est un thème qui préoccupe les acteurs du secteur depuis 1996. Durant les années 90, la FCC a caractérisé les fournisseurs d’accès à internet comme étant des « transporteurs publics » dont le statut est régi par le Communications Act de 1934. Ainsi les FAI étaient considérés comme des personnes morales de droit privé remplissant un service public. En 2002 la FCC a émis une décision requalifiant les FAI en tant que services d’information, ce changement de statut a eu pour conséquence de soustraire les fournisseurs haut débit du contrôle de l’autorité de régulation américaine. Certains d’entre eux ont ainsi mis au point un système préférentiel quant à transport de l’information.
Le premier cas discriminatoire à l’égard du trafic internet date de 2005, dans cette affaire le fournisseur d’accès débit North Carolina broadband company Madison River a décidé de bloquer le contenu émanant de Vonage, une société fournissant des services VOIP. Ce blocage avait pour but d’empêcher les clients d’opérateurs de téléphonie mobile de souscrire au service proposé par Vonage. Cette pratique déloyale a mené la FCC à réagir cette dernière a infligé une amende de 15 000 dollars à l’encontre du fournisseur haut débit de Caroline du Nord. Le législateur américain a essayé de prévenir le risque lié à ce type pratique, voulant garantir de ce fait le principe de neutralité du net. Cette loi n’a pas été approuvé par le congrès américain, les normes encore applicables de nos jours au domaine relèvent du Telecommunications Act de 1996. Il s’ensuit depuis cette période une longue controverse judiciaire, les fournisseurs haut débit et notamment Comcast remettent en question la compétence de la FCC quant à la régulation du réseau. Après quelques déconvenues judiciaires, l’autorité américaine a décidé d’établir un nouveau cadre s’agissant de neutralité.
L’aplanissement des normes ne s’est pas fait sans remous, la FCC n’a pas hésité à changer son fusil d’épaule. Avant de se prononcer en faveur d’un strict respect du principe de neutralité, cette dernière a émis une curieuse proposition afin que les fournisseurs haut débit puissent pourvoir des lignes internet « rapide » à des sociétés prêtes à payer un prix plus élevé. Les laissés-pour-compte en la personne des entreprises dont le patrimoine financier ne leur permettrait pas de s’offrir un traitement préférentiel se verraient de facto pénalisés face à la concurrence. Cette proposition a été vivement critiqué par une coalition réunissant les acteurs du web et par les parlementaires américains. Chahuté, le président de la FCC TomWheeler, a été contraint de reconsidérer sa position. Le 12 mai 2014 il aurait assuré au Wall Street Journal que l’autorité de régulation, ne permettrait pas aux fournisseurs d’accès au débit de diviser le trafic internet entre voies rapides et voies lentes. Naît alors un nouveau modèle où les fournisseurs d’accès à internet auraient, eu possibilité d’opérer un traitement préférentiel pour des personnes souhaitant une qualité de service plus rapide. Toutefois ce cas de figure, permettrait à des fournisseurs haut débit tel que Comcast, d’augmenter la tarification à l’égard des consommateurs et les entreprises gourmandes en bande passante à l’instar de Netflix. Le débat prend de l’ampleur et déchaine les passions, Barack Obama intervient à son tour et se prononce contre la proposition permettant la création de « voies rapides » et se prononce en faveur d’une neutralité du réseau. D’autres géants de l’industrie comme IBM, Qualcomm ou Cisco sont au contraire opposé à cette neutralité, au motif qu’elle entrainerait une dépréciation de l’investissement dans le secteur. Le débat se cristallise autour de fait savoir s’il faut ramener ou non, les fournisseurs haut débit sous la coupe de la FCC et lui imposer un cadre règlementaire.
Les FAI de retour sous le contrôle de la commission
Par trois voix contre deux, les commissaires de la FCC ont validé le retour des FAI au statut de fournisseur de service public régi sous le titre II du Telecommunications Act. Dans un communiqué de presse, l’ autorité énonce prendre des mesures fortes, durables, afin de préserver un internet ouvert pour le présent et le futur. Révolu l’idée de lignes rapides et d’un traitement préférentiel moyennant rétribution. Le titre II interdit aux entreprises de prendre part à une discrimination « injuste ou déraisonnable », afin qu’aucun consommateur ne se voit refuser le service demandé. La crainte des entreprises de fourniture d’accès haut débit réside en la section 201, donnant autorité à la FCC de fixer les prix quant aux services que ces sociétés proposent, ce que dément le président de la commission. Le retour sous le giron de la FCC des FAI ainsi qu’une interdiction stricte de créer un internet à deux vitesses et l’ajout des données mobiles au secteur relevant de la compétence de commission sont les principales avancées afin de promouvoir un internet libre et ouvert.
Les détracteurs de la neutralité dénoncent quant à eux une régulation excessive entrave leurs libertés. Il n’est pas sûr que ces derniers plieront aux exigences de l’autorité américaine leur intérêt économique étant fortement menacé.
Sources :
FCC, « FCC adopts strong, sustainable rules to protect the open internet », consultive 28 février 2015, <http://www.fcc.gov/document/fcc-adopts-strong-sustainable-rules-protect-open-internet>
(M.) GOKEY,« FCC Net neutrality timeline: The new rules pass with flying colors », consulté le 28 février 2015, <www.digitaltrends.com/web/net-neutrality-timeline>
(M.) GOKEY «The FCC just changed the Internet forever: Here’s what it means for you », consulté le 28 février 2015, <http://www.digitaltrends.com/web/fcc-reclassify-broadband-title-ii-explained/>