Et si vous aviez le pouvoir de remonter dans le temps ? Et si on vous donnait une seconde chance d’aborder ce(tte) bel(le) inconnu(e), croisé(e) au détour de votre rue ce matin ? C’est le pari fou, mais néanmoins réussi, dans lequel se sont jetés deux frères français, Fabien et Antony Cohen, ainsi que le co-fondateur de Dailymotion, Didier Rappaport. De leur rencontre est née l’application pour mobiles « Happn »
Une appli de dating plus proche de la réalité
Happn est une appli de dating, c’est à dire une application de rencontre, comme il en existe aujourd’hui de nombreuses autres. À une exception près, car à la différence de tous ses concurrents (Tinder, Meetic, Adopteunmec …) Happn flirt sur la magie du vrai coup de foudre, avec son slogan « Tout commence dans la vraie vie ». En effet, cette application vous propose de retrouver la personne que vous avez croisée dans votre journée, et se base donc sur une première rencontre concrète, en dehors du monde virtuel. C’est donc le hasard des déplacements et activités de la personne qui va déclencher un possible échange, comme dans la vraie vie.
Question fonctionnement tout d’abord : sur votre page d’accueil, vous retrouvez un trombinoscope de tous ces inconnus que vous avez croisé dans la journée (ou dans les jours précédents). Cette timeline mentionne leur prénom, leur âge, leur profession, leur photo, ainsi que le nombre de mètres qui vous séparent en temps réel, et le nombre de fois où vous avez croisé son chemin (Pourvu, bien entendu, que ces personnes aient également l’application sur leur smartphone). Libre à vous ensuite d’envoyer ou non un « like » à la personne qui vous fait fondre (symbolisé par un petit cœur rouge). Cette action est secrète, ce qui veut dire que la personne en question ne sera averti de votre intérêt pour elle que si, et seulement si, elle a elle aussi envoyé un « like » à votre égard. On parle alors d’un « crush » lorsqu’il y a eu deux « likes » réciproques, et c’est ce « crush » qui permet l’ouverture d’une discussion.
Le pari réussi de cette start-up française aux milliers d’utilisateurs
Afin de se différencier de ses concurrents, les créateurs d’Happn ont ajouté une nouvelle fonctionnalité à leur application, nommée le « charme ». Ce dernier permet d’enclencher une discussion avec une personne, et ce même si elle n’a pas « liké » votre photo. Cette fonctionnalité vise tout particulièrement les hommes, mais attention, ce privilège, gratuit pour les dames, a tout de même un coût pour ces messieurs : de 1,79€ les 10 charmes, à 27,99€ les 300 charmes. On pourrait se demander si cette possibilité ne risque pas d’aller au delà de certaines limites acceptables, en monnayant le droit de « harceler » une personne croisée dans la rue … Heureusement, pour éviter toute dérive, les créateurs ont prévu qu’au delà d’un seul message, il est impossible pour un homme de relancer la discussion s’il n’a pas reçu de réponse en retour. Une précaution nécessaire afin d’éviter que cette aubaine économique pour la start-up ne réduise en miettes son intérêt.
Par ailleurs, le succès ne semble pas près de s’estomper pour Happn. Encore relativement fragile car récent face à son premier concurrent, le géant américain Tinder, Happn compte désormais plus de 1,2 million d’utilisateurs dans le monde, en moins d’un an. L’appli française ne s’est en effet pas contenté de son berceau parisien, et s’est rapidement exportée vers Londres, Madrid, Los Angeles, Barcelone et même New York … Le tout financé par une levée de fond de plus de 6,45 millions d’euros auprès de deux fonds d’investissement français et britannique.
Une appli gourmande en captation de données
Lors de l’inscription, Happn vous propose de simplifier les formalités en utilisant la technologie « Facebook Connect ». Cela permet de ne perdre du temps à compléter un certain nombre d’informations, mais en contrepartie, l’application se retrouve détentrice de nombreuses données vous concernant : votre profil Facebook, vos amis, vos photos de profil, votre e-mail, vos mentions « j’aime », votre parcours professionnel … Des données personnelles donc, mais le nerf de la guerre se situe plus particulièrement sur un autre terrain.
D’aucuns l’auront compris, si cette application est susceptible de repérer toutes les personnes étant passées à côté d’un utilisateur, c’est qu’elle utilise la technologie de géolocalisation incluse dans les smartphones. Une contrainte nécessaire pour faire fonctionner l’application, mais qui n’en reste pas moins assez intrusive dans la vie privée de ce dernier, et des autres usagers … En effet, avec la géolocalisation en continu, Happn est susceptible de retracer vos trajets en temps réel. Un risque que l’un des créateurs, Didier Rappaport, s’est empressé de nuancer : “Happn n’enregistre pas les trajets des gens, mais uniquement les points de croisement entre les personnes“. Mais à cause de l’engouement certain généré par cette nouvelle appli, et la multiplication du nombre de personne susceptibles de la rejoindre, il ne semble pas absurde de craindre que les points de croisement ne finissent par être assez nombreux pour déterminer clairement les allers et venues d’un utilisateur.
Autre menace planant sur le respect de la vie privée et la sécurité : le fait qu’une personne mal intentionnée puisse se servir de l’application comme d’une sorte de radar, lui permettant de traquer les habitudes et horaires de passage d’un autre individu. En sachant tout de même que le rayon de géolocalisation des autres utilisateurs ne dépasse pas les 250m sur Happn, ce qui limite tout de même l’efficacité de ce système pour une utilisation malveillante.
Enfin, Happn serait actuellement en pleine création d’un moteur de recherche interne pour retrouver des personnes déjà identifiées. Un moyen de plus pour retrouver son âme sœur, et peut-être accéder, par la même occasion, à une foule de données la concernant … Mais que les utilisateurs soient rassurés, s’ils souhaitent un jour clôturer leur compte, la société s’est engagée à supprimer définitivement les données du membre, à la suite d’une période de conservation de 3 mois. Happn prévient toutefois dans ses CGU que les données qu’elle collecte sur ses membres pourront lui servir « hors de l’Application sur ses supports de communication vidéo, papier ou dans tout autre lieu où happn souhaiterait promouvoir l’Application happn et ses Membres ».
À titre d’information, la CNIL (à qui l’application à fait une déclaration préalable concernant ses collectes), a rendu en novembre 2014 un nouveau numéro de sa lettre IP consacrée aux smartphones, et notamment à la question de la protection des données personnelles. Elle précise que la géolocalisation est en volume la donnée la plus collectée, et juge également que « l’accès quasi-permanent à cette information sur une longue période semble disproportionné et constitue une source de risques pour la personne géolocalisée ». Ce qui est pourtant bien le cas de Happn, qui demande d’accéder aux données de localisation toutes les deux secondes. Pour la CNIL, ce fonctionnement excessif répondrait plus à des objectifs de marketing, et de profilage, qu’à une amélioration de l’expérience de l’usager. Toutefois, concernant Happn, on peut avoir du mal à envisager quelle pourrait être la solution permettant à la fois à cette application d’être efficace, tout en étant moins vorace en terme de consommation de données de géolocalisations.
Sources :
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ANONYME, « conditions générales d’utilisations », happn.fr, consulté le 16 février 2015, <https://www.happn.fr/fr/cgu>
ANONYME, « L’appli de rencontre Happn bouscule le marché », lepoint.fr, mis en ligne le 16 décembre 2014, consulté le 14 février 2015, <http://www.lepoint.fr/high-tech-internet/l-appli-de-rencontre-happn-bouscule-le-marche-16-12-2014-1890106_47.php>
ANONYME, « Lui rencontre Happn », luimagazine.fr, mis en ligne le mardi 13 janvier 2015, consulté le 26 janvier 2015, <http://www.luimagazine.fr/geek/application/rencontre-happn/#toptitre >
CNIL, « Lettre IP n°8 – Mobilitics, saison 2 : les smartphones et leur apps sous le microscope de la CNIL et d’Inria », cnil.fr, mis en ligne en novembre 2014, consulté le 20 février 2015, <http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/La_CNIL/publications/DEIP/Lettre_IP_N-8-Mobilitics.pdf>
DURIEZ-MISE (J.), « Happn, l’app’ française qui concurrence Tinder », europe1.fr, mis en ligne le 7 novembre 2014, consulté le 16 février 2015, <http://www.europe1.fr/high-tech/happn-l-app-francaise-qui-concurrence-tinder-2283119>
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KACI (A.), « Happn, l’appli qui exporte le coup de foudre à la française autour du globe », madame.lefigaro.fr, mis en ligne le 24 décembre 2014, consulté le 14 février 2015, <http://madame.lefigaro.fr/societe/happn-nouvelle-appli-drague-pour-timides-271014-986259>
KRISTANADJAJA (G.), « Et si, avant de draguer, vous lisiez les conditions d’utilisations ? », rue89.nouvelobs.com, mis en ligne le 20 décembre 2014, consulté le 15 février 2015, <http://rue89.nouvelobs.com/2014/12/20/si-avant-draguer-lisiez-les-conditions-dutilisation-256612>
WARLIN (L-A.), « Happn : la rencontre, le point de départ d’une histoire. », silicon-valley.fr, mis en ligne le 22 septembre 2014, consulté le 17 février 2015, <http://www.silicon-valley.fr/happn-refaire-rencontre-point-depart-dune-histoire/>