Le 11 janvier dernier s’est déroulée à Los Angeles la 72ème cérémonie des Golden Globes. Une cérémonie souvent désigné comme « l’antichambre » des oscars et qui permet au « Hollywood Foreign Press » de récompenser les séries télévisées et les films qui ont marqué l’année. Cette année, au niveau des séries télévisées, House of Cards et Transparent ont raflé des récompenses majeures. Deux séries télévisées qui ne sont pas diffusées à la télévision dans leur pays d’origine… Une tendance de plus en plus répandue.
Du commerce électronique à la production de séries
Depuis quelques années Netflix et son service de vidéo à la demande rencontre un vif succès notamment en raison des contenus originaux qu’il propose. Face à un tel engouement, plusieurs sociétés possédant des moyens financiers importants ont décidé de se lancer dans la création et la diffusion de séries originales. Cependant, si Netflix avant la création de ses propres contenus avait déjà un pied dans le secteur ce n’était pas le cas d’Amazon et d’Alibaba, deux entreprises spécialisées à la base dans le commerce électronique.
La série « Transparent » produite par Amazon a remporté le Golden Globe de la meilleure série comique, une vraie réussite pour Amazon qui ne s’est lancé que très récemment dans la production et la distribution de séries. En effet, ce n’est qu’en 2010 qu’Amazon a décidé d’emboîter le pas à Netflix en créant Amazon Studios dans le but d’alimenter en contenus originaux son service de streaming, « Amazon Instant Prime ». En décidant de créer ses propres contenus, Amazon a également adopté des techniques de production relativement différentes de celles pratiquées par les chaînes traditionnelles. Ainsi, pour la création de contenus originaux le géant du commerce électronique s’est basé sur les données de ses utilisateurs qu’il a pu récolter afin de répondre au mieux à leurs attentes. Un nouveau souffle qui semble plaire, puisque Woody Allen vient de signer un accord avec Amazon pour la création d’une série télévisée de 12 épisodes, une première pour le cinéaste.
Par ailleurs, Alibaba le concurrent chinois d’Amazon a également décidé de se lancer dans l’aventure. En effet, suite à son introduction historique en bourse, le géant chinois du commerce électronique cherche désormais à diversifier ses activités. C’est pourquoi, en 2014 Alibaba a pris le contrôle de China Vision Media Group, en rachetant 60% de son capital pour 804 millions de dollars, une société spécialisée dans la production audiovisuelle et cinématographique. Cependant, pour le moment Alibaba semble plus axé sur la production cinématographique avec des partenariats liés avec des cinéastes de renoms comme Wong Kar-Wai et Jean Jacques Annaud.
Mais, ces deux géants du commerce électronique ne sont pas les seuls à vouloir se tailler la part du lion.
Une diffusion légale par torrent ?
Le torrent, est un protocole de transfert de données en pair à pair (p2p) crée en 2001 par la société BitTorrent. Le torrent est l’un des outils les plus populaires afin de partager illégalement des musiques, films… et séries. A ce titre, les ayants droits français ont depuis quelques temps initié plusieurs actions en justice afin d’obtenir la fermeture de sites comme The Pirate Bay ou T411, des « trackers » aidant à la diffusion de contenus illégaux par torrents.
Cependant, la société BitTorrent INC qui est à l’origine de ce protocole a récemment décidé de promouvoir une offre légale de séries télévisées. La société avait déjà fait l’expérience de promouvoir une offre légale musicale en 2014 avec le « BitTorrent Bundle » qui avait enregistré plus de 100 millions de téléchargements permettant aux artistes de proposer leurs œuvres avec une plus grande flexibilité que sur le circuit traditionnel. Ainsi, les artistes pouvaient choisir de distribuer gratuitement certains contenus, demander un paiement pour d’autres ou bien encore imposer un prix au-delà d’un certain nombre d’écoutes.
Suite à ce succès, au même titre qu’Amazon et Alibaba, la société BitTorrent INC a décidé de créer ses propres séries et de les diffuser en exclusivité par torrent en profitant de l’énorme base d’utilisateurs du logiciel. Une manière pour la société de redorer son blason et de démontrer que le torrent peut également être synonyme d’offre légale. Pour ce faire, BitTorrent Inc vient en effet d’annoncer la mise en place d’un partenariat exclusif avec Rapid Eye Studios et la création d’une plateforme spécifique, BitTorrent Originals. Le premier projet qui devrait voir le jour est une série de science-fiction « Children of Machines » qui sera disponible à l’automne 2015. BitTorrent Inc à l’intention de proposer une version gratuite avec de la publicité ainsi qu’une version payante sans publicité à 4,95 dollars, toujours dans cette volonté d’offrir une plus grande flexibilité dans l’offre. Mais, reste à savoir si les internautes joueront le jeu ou si la série sera elle aussi piratée massivement.
Cependant, si outre-Atlantique les séries arrivent à se passer de la télévision reste à savoir si une telle situation est possible en France.
Une situation bientôt française ?
En France, la situation d’une série télévisée diffusées uniquement en ligne devrait se présenter incessamment sous peu. En effet, Netflix récemment implantée en France, a prévu la création et la diffusion de la série « Marseille » qui sera uniquement disponible sur la plateforme. Jusqu’à présent, les séries diffusées uniquement sur Netflix outre-Atlantique comme House of Cards était diffusées en France sur Canal +. Une situation qui démontre que si des séries sont conçues à la base pour une diffusion en ligne, cela n’est pas indissociable avec une diffusion en télévision. Cependant, la diffusion en ligne d’une série télévisée est radicalement différente d’une diffusion télévisée traditionnelle. En effet, sur Netflix ou sur Amazon tous les épisodes d’une série sont accessibles directement ce qui crée un phénomène de «blinge-watching » qui consiste à regarder à la suite le maximum d’épisodes d’une série.
A l’inverse, à la télévision les séries bénéficient d’une programmation plus lente à hauteur d’un ou deux épisodes par semaine, ce qui laisse la possibilité de garder le téléspectateur en haleine. Cependant, avec le développement du streaming et des moyens de téléchargements, au fil du temps le spectateur a eu de plus en plus tendance à poursuivre le visionnage de sa série sur internet et ne plus accepter l’attente que pouvait engendrer certains finals ou « Cliffhanger » de séries. Face à cette tendance, les chaînes de télévision optent désormais le plus souvent pour des séries télévisées « Standalone », c’est-à-dire une série avec des épisodes qui se suffissent à eux-mêmes, avec des intrigues compréhensibles aussi bien par le téléspectateur néophyte que par le téléspectateur fidèle et qui sont plus enclin à un visionnage passif et irrégulier. A ce titre, la série américaine The Mentalist qui est l’un des exemples parfaits de « Standalone » a occupé en 2014, plusieurs places du classement des 100 meilleures audiences télévisuelles françaises.
Finalement, l’engouement pour les séries à la télévision ne semble pas encore s’estomper, mais les chaînes de télévision ont dû adapter leurs programmations aux nouvelles habitudes de visionnage des téléspectateurs. Des nouvelles habitudes de visionnage auxquelles tentent de répondre de nouveaux acteurs en créant des contenus et des modes de diffusion sortant du schéma classique télévisuel. Ainsi, si la série télévisée peut désormais exister en dehors du schéma classique télévisuel, elle n’en est pas exclue pour autant. La venue de ces nouveaux acteurs a pour effet de créer une offre complémentaire. Par ailleurs, la multiplication des modes de diffusion et de production illustre plus que jamais le brouillage qui existe bien souvent entre internet et télévision.
Sources :
– JULIEN (L.), « BitTorrent aura des séries TV en exclusivité », numerama.com, mise en ligne le 12 février 2015.
– CROISET (L.), « Cette offensive qu’Alibaba prépare activement dans le cinéma », challenges.fr, mise en ligne le 13 janvier 2015.
<http://www.challenges.fr/entreprise/20150113.CHA2163/cette-offensive-qu-alibaba-prepare-activement-dans-le-cinema.html>
– SIMON (J-P.), « Amazon déclare la guerre des contenus », inaglobal.fr, mise en ligne le 11 février 2015.
<http://www.inaglobal.fr/numerique/article/amazon-declare-la-guerre-des-contenus-8103>