La chaîne de télévision privée TF1 a annoncé pour Mars 2015, le lancement d’un nouveau service de vidéos à la demande en partenariat avec la plateforme de streaming Afrostream créée par le franco-camerounais Tonjé Bakang. Pour rappel, le service de médias audiovisuel à la demande (SMAD) est tout service de communication au public par voie électronique permettant le visionnage de programmes au moment choisi par l’utilisateur et sur sa demande, à partir d’un catalogue de programmes dont la sélection et l’organisation sont contrôlées par l’éditeur de service. Depuis la loi du 5 septembre 2009, il relève de la compétence du Conseil supérieur de l’audiovisuel. L’offre audiovisuelle de ce nouveau service est exclusivement réservée au cinéma Africain, Afro-américain et Caribéen. L’objectif est d’ouvrir le spectateur à une nouvelle offre cinématographique. Mais pour certains, il constitue un moyen de contourner un problème plus profond, celui de l’absence de représentation des minorités sur les chaînes généralistes.
- Le principe de la représentation de la diversité dans les médias audiovisuels français
En France, le Conseil supérieur de l’audiovisuel est garant de la diversité à la télévision. En vertu de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 « le Conseil supérieur de l’audiovisuel veille à ce que la programmation des services de communication audiovisuelle reflète la diversité de la société française. En tant que garant de la diversité, chaque année, il doit rendre compte au Parlement des actions prises par les éditeurs de services de télévision en matière de programmation pour refléter la diversité de la société française ». A ce titre, a été rendu au Parlement en avril 2014, un rapport portant sur la représentation de la diversité de la société française à la télévision et à la radio. Ce rapport souligne qu’un progrès a été enregistré au sein des programmes de télévisions en matière de représentation de différentes origines socioculturelles.
La diversité pouvant prendre de nombreuses formes, il convient de souligner la définition de la diversité culturelle.
En droit Européen, la Convention sur la protection et promotion de la diversité culturelle adoptée sous l’égide de l’UNESCO le 20 octobre 2005 précise que « la diversité culturelle renvoie à la multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociétés trouvent leur expression (…), elle se manifeste (…) à travers divers modes de création artistique, de production, de diffusion, de distribution, et jouissance des expressions culturelles, quels que soient les moyens de technologies utilisées ». Cette convention, dont la France a été l’instigatrice, met en avant l’idée que les biens et services culturels ne sont pas des services comme les autres, par conséquent ils doivent jouer un rôle de cohésion sociale et porter des valeurs symboliques spécifiques.
Ce principe de la diversité est reconnu et encadré tant par le droit français que par le droit européen. Pourtant, certains estiment qu’il n’est pas réellement appliqué en pratique.
L’arrivée du service de vidéos à la demande relance le débat et pose la question de savoir s’il s’agit d’un service visant à promouvoir la diversité culturelle ou si au contraire c’est un service vecteur d’une forme d’apartheid audiovisuel.
- Un service de vidéo à la demande, moyen de promotion de la diversité culturelle ou vecteur d’une forme d’apartheid audiovisuel ?
La chaîne Canal+ apparaît comme le précurseur de la télévision « ethnique » puisqu’elle offre des bouquets destinés aux chaînes de télévisions africaines, arabes, espagnoles. La création d’un service qui cible une communauté n’est donc pas un phénomène nouveau. Pourtant, le lancement de ce média non linéaire de TF1 suscite de vives réactions. Contrairement aux chaînes-bouquets de Canal+ (Al Jazeera, Algérie 3, Télévision Tunisienne) qui revendiquent la nécessité d’un pluralisme de l’information, le service de vidéo à la demande de TF1 concernerait principalement la diffusion des films d’origine africaine ou afro-américaine. On peut donc s’interroger sur la restriction de cette offre. (n’aurait-il pas été plus judicieux d’intégrer au service MyVOD TF1 une catégorie réservée aux films africains ?) Le groupe TF1 et le fondateur de Afrostream affirment que « ce nouveau service ne s’adresse pas seulement aux populations d’origines africaines (…) » et « qu’il permet de sortir quelques films de l’obscurité ». Mais cet avis n’est pas partagé par la sociologue des Médias, Marie-France Malonga. Spécialiste de la représentation des minorités, qui estime « qu’il s’agit d’un marketing de la diversité déplacé ». Par ailleurs, Mémona Hintermann, présidente du groupe du travail « Diversité » au sein du Conseil supérieur de l’audiovisuel est partagée. Selon elle, ce service n’est pas une mauvaise chose, cependant, elle craint que cette offre ne se transforme pas in fine en une chaîne ghetto. Elle ajoute « il ne faut pas penser que ce type de chaîne éradiquera le problème de la sous-représentation de la diversité sur les chaînes françaises. Il s’agit selon elle d’un moyen de contourner le problème de représentativité sans réellement le résoudre ». En résumé, le service proposé peut être considéré de deux façons. Soit comme un service destiné à tout public qui permet de faire la promotion de films d’origines africaines et dans cette optique, il participerait à la promotion de la diversité culturelle par la représentation d’une minorité. Soit il est interprété comme un service exclusivement réservé à une communauté pour pallier à un manque de diversité dans l’offre cinématographique à la télévision française. Dès lors, il pourrait contribuer à renforcer le sentiment de ghettoïsation d’un public et donc une forme « d’apartheid culturel moderne » comme il en a été fait état sur Twitter.
Quoi qu’il en soit, le débat est ouvert et les contributions argumentaires des citoyens et du CSA, ainsi que les analyses qui s’en suivront permettront à tout un chacun de se faire une opinion sur ce service de vidéo à la demande particulier.
Sources:
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’AUDIOVISUEL., « Quel est le rôle du Conseil dans la promotion de la diversité », csa.fr, consulté le 28 février 2015, <http://www.csa.fr/Television/Le-suivi-des-programmes/La-representation-de-la-diversite/Quel-est-le-role-du-Conseil-dans-la-promotion-de-la-diversite >
DOSSIER THÉMATIQUE AUDIOVISUEL, « Protection de la diversité culturelle européenne», culturecommunication.gouv.fr, mise en ligne le 22 mai 2012, consulté le 28 février 2015 <http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Audiovisuel/Dossiers-thematiques/Protection-de-la-diversite-culturelle-europeenne>
BOUANCHAUD (Ce)., « TF1 se lance dans la vidéo à la demande ethnique », europe1.fr, mis en ligne le 24 février 2015, consulté le 28 février 2015, < http://www.europe1.fr/medias/tf1-se-lance-dans-la-video-a-la-demande-ethnique-2382687 >