La loi pour la croissance l’activité et l’égalité des chances économiques dite «Loi Macron » du 6 août 2015 est de nouveau au cœur de l’actualité en raison d’un dispositif inséré par un amendement venant abroger des dispositions de l’article L.35-1 du Code des postes et des communications électroniques. Cette modification marque un tournant dans l’histoire des télécommunications puisqu’elle vient annuler l’obligation incombant à l’opérateur historique Orange (anciennement France Télécom) d’installer et d’entretenir des cabines téléphoniques. Ces dernières, composantes à part entière de notre mobilier urbain sont vouées à disparaître d’ici 2017.
(Une cabine téléphonique, photo d’illustration. ©BALEYDIER/SIPA)
I. Un service public de publiphonie à l’agonie face au développement de la téléphonie mobile
Au 1er avril 2015, Orange ne disposait plus que d’un total de 65 250 cabines, dont 39 600 au titre du service universel. Elles représentent les vestiges d’une longue histoire des télécommunications en France, ce chiffre traduit un changement majeur dans la pratique téléphonique puisque nous sommes bien loin de l’âge d’or des cabines qui se comptaient au nombre de 300 000 en 1997 !
La gestion d’un réseau de cabines téléphoniques sur l’ensemble du territoire relève d’une obligation de service public dont les conditions sont posées à l’article L.35-1 du Code des postes et des communications électroniques. L’alinéa 3 abrogé par l’article 129 de la loi Macron prévoyait « l’accès à des cabines téléphoniques publiques installées sur le domaine public […] ». Le cadre réglementaire européen actuel résulte de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 modifiée par la directive 2009/136/CE du 25 novembre 2009 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, dite directive« Service universel ». Celle-ci a été transposée dans le code des postes et des communications électroniques.
La particularité française est que ce service public englobe les services obligatoires de télécommunications et les missions d’intérêt général dans le domaine des télécommunications.
Ainsi, le service universel consiste en la fourniture de trois prestations : le raccordement et le service téléphonique, le service universel de renseignements et l’annuaire, la publiphonie correspondant à l’installation et à l’entretien des cabines téléphoniques sur le domaine public ainsi qu’à la fourniture dans ces cabines d’un service téléphonique de qualité à un tarif abordable. En bref, la publiphonie garantissait un accès à la téléphonie visant à satisfaire les besoins de tous les usagers. L’objectif prend tout son sens à une époque où le mobile faisait ses premiers pas voire n’existait pas. La désignation du ou des opérateurs en charge du service universel se fait par le Ministre en charge des communications électroniques à l’issue d’appels à candidature. Ainsi concernant la publiphonie, le dernier arrêté du 14 février 2012 prévoit que France Télécom met à disposition du public pendant toute la durée de sa désignation au moins un publiphone dans chaque commune et un supplémentaire dans les communes de plus de 1000 habitants. On retrouve ces exigences à l’article R. 20-30-3 du Code des postes et des communications électroniques. En 2014, au terme de la convention et face à un flou juridique Orange cesse la commercialisation des télécartes en vente dès 1984 et dont le stock sera écoulé d’ici 2016 année de fin de validité des fameuses cartes à puce. Avec le développement des nouvelles technologies et l’explosion de la téléphonie mobile, l’utilisation des cabines téléphoniques a chuté considérablement en l’espace d’une dizaine d’années. Plusieurs dossiers législatifs mettent en évidence le déclin du publiphone et l’évolution des usages. Un rapport parlementaire remis le 17 octobre 2014 à la Secrétaire d’Etat au Numérique intitulé « Le service universel des communications électroniques au regard des nouveaux usages technologiques : enjeux et perspectives d’évolution » met en exergue le fait que la généralisation de la téléphonie mobile peut expliquer en partie la désaffection pour la publiphonie dont 95% du parc installé au titre du service universel est obsolète et quasi-inutilisé. D’autre part, à l’heure actuelle une cabine est utilisée en moyenne moins d’une minute par jour (Chiffres Orange). De ce fait, le chiffre d’affaires généré par ces dernières est insuffisant au regard du coût de leur maintenance. L’Arcep (régulateur des télécommunications) souligne dans un avis du 16 avril 2013 des coûts d’entretien bien trop élevés des cabines par rapport à l’utilisation de ces dernières. Cette situation est appelée à s’aggraver avec le temps. Par conséquent, le rapport parlementaire précise que « le dispositif de service universel doit s’adapter aux mutations technologiques intervenues ces dernières années et aux nouveaux usages en découlant, qui impliquent notamment de réorienter les fonds alloués au financement de ce dispositif vers des dispositifs répondant aux besoins de nos concitoyens ».
II. Un retrait des cabines téléphoniques au profit de l’élargissement de la couverture mobile
La suppression totale des cabines téléphoniques pose problème en particulier dans les zones dites « blanches » ou « grises » c’est-à-dire celles qui ne sont pas ou peu desservies par un réseau de communications électroniques. Dans ces zones souvent rurales, l’enjeu est majeur puisqu’il s’agit de maintenir une accessibilité au service téléphonique. En contrepartie de la fin de la publiphonie, Orange s’est engagé à couvrir les zones blanches. En outre, Les opérateurs devront améliorer la 2G dans 170 communes situées en zone blanche non couverte par les réseaux, et la 3G ou 4G dans 2 600 autres communes. En mai dernier, les quatre opérateurs avaient signé avec le gouvernement une charte les engageant à terminer d’ici à 2017 la couverture de la France. Cependant, le coût de certaines installations pèsent sur les collectivités territoriales ne disposant parfois pas du budget nécessaire afin de permettre un aménagement satisfaisant.
Pour le Ministre de l’économie Emmanuel Macron, il n’est pas question de supprimer les cabines tant que les obligations de couverture numérique ne seront pas remplies. Il estime que le mobile apportera au final un service «largement enrichi par rapport aux cabines». La Secrétaire d’Etat au Numérique Axelle Lemaire a quant à elle déclaré que les cabines téléphoniques ont vécu. Cependant des voix s’élèvent pour contester la fin de ce service public, en particulier des Maires situés en zones rurales qui s’inquiètent de voir la population privée de tout accès à la téléphonie surtout en cas d’urgence.
De même qu’un rapport de la Fondation Abbé Pierre signale que la disparition progressive des cabines téléphoniques rend plus difficile la prise de contact pour les SDF avec le service d’accueil d’urgence (115). Le même problème se pose en cas de casse, de vol, de perte ou de manque de batterie du téléphone mobile, la cabine apparaît être une bonne solution de dépannage. Des propositions avaient été faites sur une éventuelle reconversion en point wifi comme c’est déjà le cas à New-York avec le projet « LinkNYC ». Ainsi, en 2010 et 2011 Orange en partenariat avec JCDecaux ont installé à titre expérimental des cabines multimédia tactiles avec connexion internet, VoIP, géolocalisation et portail de services. La voix et les données sont transmises par ADSL. Paris et Marseille en ont fait l’expérience mais le succès ne fut pas au rendez-vous. L’aménagement numérique du territoire passera par le développement du très haut débit dont le plan « France très haut débit » prévoit de couvrir l’ensemble du territoire d’ici 2022 avec un investissement de 20 milliards d’euros . Il sera donc désormais difficile de se passer du téléphone mobile même pour les plus réticents ayant fait le choix de ne pas s’en équiper.
Beaucoup d’autres pays en Europe comme la Belgique, la République Tchèque ou l’Allemagne voient leurs publiphones disparaître peu à peu. Au grand dam des nostalgiques, les cabines sont bel et bien en passe de devenir des pièces de musées ou de véritables objets artistiques. Certaines sont même devenues des bibliothèques ou des aquariums !
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