L’internet est aujourd’hui à la fois un outil et une menace pour les entreprises. En effet, ces dernières ont de plus en plus conscience de l’impact que peut avoir ce média sur la pérennité de leur activité et doivent désormais veiller à la bonne santé de leur e-réputation. La condamnation récente d’un internaute par le Tribunal de grande instance de Dijon nous amène à nous pencher sur les commentaires concernant des établissements culinaires.
D’abord existe t-il un droit de critique ?
Le droit de critique découle en droit interne de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui énonce que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement. ». La critique gastronomique est donc libre et n’est pas réservée à une profession telle que le journalisme.
Pour la Cour de cassation la critique gastronomique permet d’apprécier notamment de la « qualité et de la préparation des produits servis dans un restaurant ».
Peut-on alors critiquer librement sur internet ?
En droit, la critique est libre. Cependant celle-ci devra rester mesurée et objective. Il faudra que la critique soit réalisée de bonne foi et ne dégénère pas en un abus constitutif de dénigrement.
A ce sujet un internaute a été condamné le 6 octobre dernier à 2.500 euros d’amende pour le dénigrement du restaurant Loiseau des Ducs de Dijon sur le site internet des pages jaunes. Ce site offre aux internautes la possibilité de juger différents établissements en publiant leurs avis concernant l’ambiance, la cuisine, le service, la décoration ou encore le rapport qualité/prix. Ce dernier pouvant être accompagné d’un commentaire.
Le cas de la fausse critique culinaire
Ainsi, en juillet 2013 un internaute avait publié le commentaire suivant : « Restaurant très surfait, tout en apparat, très peu de chose dans l’assiette, l’assiette la mieux garnie est celle de l’addition ». Le restaurant n’ayant pas encore ouvert ses portes au jour du commentaire mais 5 jours plus tard, l’intention de nuire de l’internaute se révélait alors manifeste. Par voie de conséquence pour le Tribunal de grande instance de Dijon cela prouve qu’il «ne peut pas correspondre à l’expression d’un avis objectif se fondant sur une expérience réelle». Le juge ajoutant que «Ces commentaires fautifs (…) du fait même de leur diffusion sur internet sur un site largement consulté par les internautes à la recherche des coordonnées d’établissements, visaient à dissuader de potentiels futurs clients de se rendre dans le restaurant critiqué».
L’internaute ne fut pas condamné ici par application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse mais sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. L’injure ou la diffamation pour être constituée doit expressément viser une personne, le dénigrement concerne lui les propos tenus à l’égard d’un produit ou d’un service. Cette différence entre les deux nous est rappelée dans un arrêt de la Cour de cassation en date du 19 janvier 2010. En conséquence les délais pour agir ne sont alors plus de 3 mois comme en matière de presse mais de 5 ans.
Le cas de la critique culinaire virulente
En 2013, une blogueuse avait également été condamnée suite à son article intitulé “L’endroit à éviter au Cap Ferret : Il Giardino ». Sa publication était référencée en deuxième position sur le moteur de recherche de Google à l’époque des faits présentant alors un risque potentiel sur la fréquentation du restaurant (le nom et l’adresse du restaurant figurant également dans l’article). Le Tribunal de grande instance de Bordeaux la condamna pour dénigrement, cet article jetant le discrédit sur l’établissement en question. On peut cependant s’interroger sur la légitimité de la décision comme l’a fait l’avocat et blogueur Maître Eolas dans l’express. C’est ici surtout le titre de l’article et son positionnement dans le référencement Google qui était en cause. L’intention de nuire est elle à modérer. La blogueuse s’exprimait certes de manière virulente mais ne faisait que relater publiquement une mauvaise expérience dans un restaurant, usant alors de son droit à la liberté d’expression figurant à l’article 11 de la DDHC et agissant en qualité de simple consommatrice et non comme un concurrent. La portée de cette décision reste mineure s’agissant d’une ordonnance en référée.
La fiabilité des critiques
Les pratiques actuelles des professionnels comme des non professionnels nous amènent également à nous poser la question de la fiabilité de ces critiques. Dépassant ici le simple secteur de la restauration, les avis donnés par les internautes peuvent être remis en cause tous secteurs confondus (automobile, électroménager, habillement…). Cela est mise en avant par une enquête sur les faux avis menée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) depuis 2010, dont les résultats ont été publiés le 22 juillet 2014.
Différentes pratiques trompeuses existent en la matière comme la modération trompeuse des avis ou encore la rédaction de faux avis par le professionnel, des sous traitants ou son entourage. Les faux avis peuvent concerner aussi bien des commentaires et critiques négatives comme positives. Pour l’année 2013, tous secteurs confondus, la DGCCRF estime le taux d’anomalies des avis constaté en augmentation de 45 %.
Sources :
Cass. Civ. 2e, 23 janvier 2003, pourvoi n°01-12848, Bull. civ. 2003 II N° 15 p. 12, juricaf.org, <http://www.juricaf.org/arret/FRANCE-COURDECASSATION-20030123-0112848#>
Cass. Crim., 19 janvier 2010, n°08-88.243, Inédit, legifrance.gouv.fr, <http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000021829294&fastReqId=1462710740&fastPos=1>
DGCCRF, economie.gouv.fr, publié le 22 juillet 2014, consulté le 29 octobre 2015, <http://www.economie.gouv.fr/dgccrf/consommation/conso-par-secteur/e-commerce/faux-avis-consommateurs-sur-internet>
Le Monde, “2 500 euros d’amende pour avoir dénigré un restaurant sur Internet”, publié le 27 octobre 2015, consulté de le 29 octobre 2015, <http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/10/27/2-500-euros-d-amende-pour-avoir-denigre-un-restaurant-sur-internet_4798047_3224.html utm_medium=Social&utm_source=Twitter&utm_campaign=Echobox&utm_term=Autofeed#link_time=1445977664>
MAJOUBE (U.), lexpress.fr, publié le 10 juillet 2014, consulté le 29 octobre 2015, <http://www.lexpress.fr/styles/saveurs/blogueuse-condamnee-pour-une-critique-de-resto-l-exemple-a-ne-pas-suivre_1558569.html>