Le Château de Versailles accueille depuis plusieurs années, des artistes illustres tel que Jeff Koons en 2008 ou encore Joana Vanconcelos en 2012. Ces artistes qui s’inscrivent dans l’art contemporain avaient suscité des polémiques et aujourd’hui, il en va de même avec l’exposition de Dirty Corner.
En effet, depuis le 9 juin est exposée dans le jardin du Château de Versailles, la célèbre sculpture d’Anish Kapoor, artiste inscrit lui aussi dans l’ère de l’art contemporain. Le vagin de la Reine, surnommée ainsi, a subi sa troisième dégradation le 6 septembre dernier. Cette trompe d’acier, monumentale de 60 mètres de long et entourée de blocs de pierre, déjà exposée à Milan en 2011, s’est vue infliger des inscriptions antisémites. On ne peut qu’être choqué par certains de ces tags à la peinture blanche qui représente des signes SS ou qui énonce un « deuxième viol de la nation par l’activisme juif déviant ».
Suite à cette attaque, l’artiste avait alors décidé avec le soutien de la Présidente du Château de Versailles, Catherine Pégard, de la Ministre de la Culture et de la communication, Fleur Pellerin et le Président de la République, François Hollande, de laisser ces inscriptions arguant que « désormais ces mots infamants font partie de mon oeuvre ».
Si l’auteur est supposé être roi de son œuvre, c’est sans compter l’intervention de la justice qui, doit, dans un but de cohésion sociale, composer entre la liberté de l’artiste et son droit d’auteur avec la protection des libertés fondamentales.
Saisi par l’association Avocats sans Frontières et un conseiller municipal de Versailles, Fabien Bouglé, le juge des référés avait du se prononcer sur la nature de l’atteinte portée par ces inscriptions.
Ainsi, c’est dans une décision symboliquement rendue lors des journées du Patrimoine, que le Tribunal Administratif de Versailles avait ordonné à la Présidente du Château de cacher ces inscriptions à la vue du public estimant que, « Eu égard au caractère particulièrement choquant de ces inscriptions et à l’importante diffusion, notamment par les médias audiovisuels, dont elles font l’objet, leur exposition porte atteinte à l’ordre public, dont la dignité de la personne humaine est une composante consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine, et constitue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».
Le Tribunal administratif avait également condamné le Château de Versailles pour avoir maintenu visibles ces inscriptions de nature antisémites.
Mais la commissaire de l’exposition avait énoncé dans Le Monde que cette condamnation « C’est oublier que l’artiste a aussi des droits sur son œuvre ».
L’invocation du droit au respect comme fondement de son droit d’artiste.
Nous savons que le droit moral de l’auteur est un droit extrapatrimonial attaché à la personne même de l’auteur. C’est un droit puissant qui lui confère une protection importante.
C’est l’article 121-1 du code de propriété intellectuelle qui érige le droit moral et ses prérogatives. On cite notamment le droit de divulgation, le droit de repentir et de retrait, le droit de paternité mais c’est celui que l’on va énoncer qui est le plus intéressant.
« L’auteur jouit du droit au respect (…) de son œuvre ». En effet, le droit au respect de l’œuvre va permettre à l’auteur de défendre l’intégrité de son œuvre, de s’opposer à toute forme de dénaturation. Inaliénable et imprescriptible, l’auteur peut disposer grâce à ce droit, de son œuvre comme il entend.
Par ailleurs, la Convention de Berne permet aussi de s’associer à cette véritable protection de l’oeuvre de l’auteur puisqu’elle dispose dans son article 6 bis, que l’auteur peut « s’opposer à certaines modifications de l’oeuvre et d’autres atteintes à celle-ci ».
Maitre Christophe Caron, spécialiste de la propriété intellectuelle avait énoncé lors d’une interview à l’AFP reprise dans Le Journal des arts que l’artiste « est tout puissant sur son œuvre et peut tout à fait décider d’accepter une modification sur celle-ci même si elle porte atteinte à son intégrité. L’artiste est le seul à pouvoir en décider ».
Ce droit au respect de l’œuvre est alors puissant car il signifie une interdiction de corriger ou de modifier l’œuvre sans l’accord.
C’est effectivement le cas de Anish Kapoor, atteint dans son travail d’artiste, il avait exprimé alors le souhait que ces inscriptions à caractère antisémites, bien qu’elles soient choquantes demeurent sur son œuvre. C’est une des raisons qui ont amené le Château de Versailles à ne pas intervenir estimant que aucune modification ne pouvait être faite sans l’accord de l’artiste.
Application positive de ce droit car il autorise une modification bien qu’elle atteint de façon subjective et objective, l’intégrité de l’artiste et de l’œuvre. Spirituellement touché, Anish Kapoor a expliqué lors d’une rencontre exclusive avec Le Figaro, qu’il voulait montrer publiquement ce que l’art peut provoquer, « convaincu qu’il ne faut rien retirer de ces insultes, de ces mots propres à l’antisémitisme que l’on voudrait aussitôt oublier ».
Anish Kapoor, blessé, a usé de son droit au respect niant l’équilibre qui doit être fait avec le respect des autres libertés fondamentales.
Le respect de la dignité humaine comme limite à la liberté de l’artiste.
En laissant ces propos inscrits, Anish Kapoor risquait d’être confronté au droit pénal. D’ailleurs Maitre Caron s’était exprimé sur une telle action en disant que « Si une action pénale est engagée, réclamant que les inscriptions soient effacées sur la sculpture d’Anish Kapoor, mon sentiment est que le droit pénal aura le dernier mot car l’intérêt public l’emporte sur la seule protection du droit de l’artiste ».
Par ailleurs, il est difficile de parler de négationnisme car l’artiste n’a pas entendu contester la réalité du génocide juif en l’espèce, ainsi la loi Gayssot, qui punit l’opinion négationniste ou toute expression de cette opinion n’aurait pas vocation à s’appliquer. Si cette loi réprime tout incitation à la haine raciale ou antisémite, ce n’était pas la volonté de Monsieur Kapoor.
Si le droit pénal peut être invoqué, quel est son fondement ?
L’article 227-24 du code pénal réprime « Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ».
Le problème avec Anish Kapoor est qu’il n’a pas eu de rôle actif quant à la modification de son œuvre. Cet article prend en compte le rôle passif de celui qui diffuse des propos qui portent atteinte à l’ordre public et Anish Kapoor s’inscrit dans ce rôle. En effet ne voulant pas retirer ces propos, il a participé sciemment à l’exposition des propos antisémites.
Fabien Bouglé, conseiller municipal à Versailles a énoncé que le droit de l’artiste n’est pas au dessus du droit. C’est le rôle de la justice de garantir un juste équilibre entre la liberté d’expression des artistes et l’ordre public.
Avec la décision du Tribunal administratif, l’atteinte à l’ordre public et à la dignité humaine est à nouveau érigée contre le droit moral de l’auteur.
Le tribunal a ainsi énoncé que « la liberté de création et d’expression implique le respect du droit moral de tout auteur sur son œuvre mais lorsqu’elle celle-ci est exposée publiquement, cette liberté doit se concilier avec le respect des autres libertés fondamentales ».
Ainsi, peut se poser une certaine acceptation de la censure. Souvenez vous de l’exposition Our Body qui avait suscité une polémique. Elle présentait des corps humains disséqués. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris avait alors interdit cette exposition au motif qu’elle présentait une atteinte à la dignité humaine et qu’elle était contraire à l’ordre public.
Anish Kapoor, suite à cette décision, s’est soumis à la loi française. Il est resté maitre quant aux choix créatifs pour cacher les inscriptions. Les tags ont été depuis recouverts par des feuilles d’or et l’exposition se terminera comme prévu le 1er novembre 2015, malgré une nouvelle dégradation de l’œuvre.
Enfin, ce mois-ci, le projet de loi « Liberté de création, architecture, patrimoine » a été voté en première lecture à l’Assemblée Nationale et il entend consacrer la liberté de création au même titre que la « liberté d’expression ou la liberté de conscience » selon Fleur Pellerin, Ministre de la culture et de la communication.
Sources :
BAERT (S.), «Inscriptions à caractère antisémite apposées sur l’oeuvre d’Anish Kapoor », lemondedudroit.fr, publié le 30 septembre 2015, consulté le 15 octobre 2015, <http://www.lemondedudroit.fr/droit-a-entreprises/propriete-intellectuelle/209462-inscriptions-a-caractere-antisemite-apposees-sur-luvre-danish-kapoor-.html>
LABRUYERE (J.), « L’œuvre vandalisée d’Anish Kapoor ou la négation du droit au respect de l’œuvre », mapreuve.com, publié le 2 octobre 2015, consulté le 24 octobre 2015, <http://www.mapreuve.com/blog/respect_droit_auteur/>
HALIOUA (N.), « Un élu de Versailles porte plainte contre Anish Kapoor », lefigaro.fr, publié le 15 septembre 2015, consulté le 24 octobre 2015, <http://www.lefigaro.fr/culture/2015/09/15/03004-20150915ARTFIG00193-un-elu-de-versailles-porte-plainte-contre-anish-kapoor.php>
ANONYME, «La justice ordonne de cacher les inscriptions antisémites de l’oeuvre d’Anish Kapoor », lexpress.fr, publié le 19 septembre 2015, consulté le 25 octobre 2015, <http://www.lexpress.fr/culture/art/la-justice-ordonne-de-cacher-les-inscriptions-antisemites-de-l-oeuvre-d-anish-kapoor_1717506.html>
ANONYME, « Anish Kapoor veut montrer sa grande sculpture à Versailles avec les tags antisémites », lemonde.fr, publié le 8 septembre 2015, consulté le 25 octobre 2015, <http://www.lemonde.fr/arts/article/2015/09/06/la-grande-sculpture-d-anish-kapoor-vandalisee-une-nouvelle-fois-a-versailles_4747322_1655012.html>
Tribunal administratif de Versailles : Inscriptions antisémites sur l’oeuvre «Dirty Corner» d’Anish Kapoor : Le château de Versailles doit, sans délai, prendre toutes mesures pour faire cesser leur exposition au public, versailles.tribunal-administratif.fr, publié le 21 septembre 2015, consulté le 26 octobre 2015, <http://versailles.tribunal-administratif.fr/A-savoir/Communiques/Inscriptions-antisemites-sur-l-oeuvre-Dirty-corner-d-Anish-Kapoor-le-chateau-de-Versailles-doit-sans-delai-prendre-toutes-mesures-pour-faire-cesser-leur-exposition-au-public>
ANONYME, « Anish Kapoor, le vandalisme antisémite des oeuvres d’art, l’ordre public et la loi de 1881 », libertésetdroitsfondamentaux.fr, consulté le 26 octobre 2015, <http://www.libertesetdroitsfondamentaux.fr/Anish-Kapoor-le-vandalisme-antisemite-des-oeuvres-d-art-ordre-public-loi-de-1881>